Comprendre la pensée et le religieux dans le nouvel essor du monde

par Hamed
jeudi 25 août 2022

 Pour comprendre le monde d’aujourd’hui, il faut avant tout nous, en tant qu’êtres existants, en tant qu’humains, nous définir, comprendre non pourquoi nous existons, mais ce que nous sommes réellement. Et expliquer ce que nous sommes est un sujet très vaste ; ni une vie ni plusieurs vies ne suffiraient à l’expliquer tant le sujet humain est ce qu’il est. Chaque instant, chaque seconde, même en dormant nous pensons dans le rêve, parfois nous nous remémorons ce qu’on a rêvé, parfois non. Toujours est-il nous pensons ; par cette pensée nous existons. Et notre cœur ne bat que parce qu’il est mû par la pensée. Qui fait fonctionner les battements du cœur ? Un courant électrique neuronal venant du cerveau ? Qui fait fonctionner le cerveau, i.e. toutes les lobes cérébrales et leur octroie cette électricité ? Des réactions chimiques « automatisées », « programmées » au sein herméneutique de la matière cérébrale ?

Sûrement ! Le neurologue, le cogniticien peuvent-ils l’expliquer ? Difficile de répondre. Une seule réponse, la pensée humaine, une matière immatérielle, provenant de l’éther, est certainement à l’œuvre dans le fonctionnement, dans la direction du cerveau humain.

Si nous ne pensions plus, nous ne pouvons plus exister ; un être humain dans le coma, et son cœur bat, il pense sans qu’il prenne conscience qu’il pense, mais il pense tout de même, sinon il n’est pas vivant. Et cette pensée en nous, nous pourrions très bien en discuter durant notre vie, nos vies et jamais nous n’aurions terminé d’en discuter. Pourquoi ? Parce que nous sommes des êtres pensants et nous ne pourrons que penser notre pensée, et, dans l’absolu, en fait, ce n’est pas nous qui pensons notre pensée, on croit seulement que nous pensons, mais « c’est notre pensée qui pense nous », « qui pense en elle », bien sûr à travers nous parce que « nous sommes ses êtres » ; « nous sommes les êtres humains de la pensée ».

Ceci étant, le sujet de la pensée est vaste, et ce n’est pas le thème qui est abordé dans cette analyse, la question se porte sur le religieux, sur son sens, parce que ces dernières décennies, le religieux a tant fait parler de lui, et encore aujourd’hui, le débat reste toujours actuel, toujours ouvert. Aussi interrogeons-nous ? En Occident, en particulier où un courant athée est très fort, le religieux fait-il peur ? Faut-il en avoir peur ? Selon les opinions et les événements qui ont eu lieu dans le monde, surtout depuis les guerres au Moyen-Orient, en particulier après les attentats du 11 septembre 2001, tout se ligue pour faire accroire qu’il y a danger pour l’Occident.

Evidemment, le religieux a bouleversé les donnes géostratégiques aujourd’hui, cela obéit en grande partie aux enjeux géoéconomiques qui opposent les grandes puissances sur les richesses fossiles qui se trouvent dans les pays musulmans. Donc l’impact du religieux, notamment l’islam, dérive de cette situation de répartition des richesses fossiles entre les nations. Et il se trouve que le monde de l’Islam est favorisé et, par cette donne, se trouve propulsé malgré lui sur l’avant-scène du monde. Mais pouvons-nous reposer la problématique du religieux seulement sur les enjeux géostratégiques qui se jouent entre les grandes puissances ? Et la crise identitaire en Occident, qu’en est-il ? Il y a donc une question de fond qu’il faut débattre si l’on veut comprendre le phénomène qui est récent, qui n’a existé que depuis un demi-siècle.

Pour y répondre, il faut aller jusqu’à l’« essence » de la question. Qu’appelle-ton « religieux » ? Evidemment, la réponse ne doit pas être prise dans le sens classique du terme sinon on aurait une réponse biaisée, insuffisante pour comprendre la problématique que pose le « Religieux » pour les êtres humains. L’essentiel ne serait pas expliqué et les antagonismes seraient pris comme des épiphénomènes au lieu et place du phénomène lui-même. C’est comme faire abstraction d’une crise identitaire réelle en Occident.

 Dès les années 1970, s’est opérée une floraison de mouvements sectaires, d’écoles confessionnelles, de théories créationnistes et d’intégrisme de tous bords. Auquel il faut ajouter l’intégrisme islamique. En réalité, toute cette flambée religieuse dans le monde est liée à l’évolution du monde qui a suivi la reconstruction de l’Europe et la libération des pays du Tiers monde. L’agent déclencheur a été le mouvement de libération des pays d tiers monde, suivi de la crise économique à la fin des années 1960, qui s’est poursuivie dans les années 1970. L’islamisme politique a été pendant à la fois aux guerres israélo-arabes, à la crise économique, aux krachs pétroliers et aux enjeux qui divisaient l’Est et l’Ouest. Le monde arabo-musulman était devenu pour ainsi dire un «  joker » dans les stratégies planétaires des grandes puissances, en particulier pour l’Occident, dans la guerre froide contre les pays du bloc communiste.

 Cependant, les crises économiques qui n’ont pas discontinué ont affecté tant l’Occident que les pays du reste du monde. On peut même dire, dès cette période, que les idéologies nationalistes, socialistes, social-démocrates n’étaient plus porteuses ; elles perdaient de crédibilité avec la nouvelle donne, la « mondialisation ». Les classes sociales moyennes et pauvres de tous les pays du monde ne se retrouvaient plus dans la nouvelle économie mondiale. La multinationalisation a changé complètement les repères comme les règles socio-politiques, les États-nations se trouvaient désarmés devant les conditions souvent draconiennes imposées par les multinationales. De gigantesques entreprises, et aucun pays au monde n’échappait à cette nouvelle donne internationale. L’Occident perdant ses entreprises, l’Orient, i.e. le reste du monde est exploité jusqu’à devenir dans une forte dépendance du capital essentiellement occidental. Qui ne s’aligne pas paie évidemment le prix, et des régions entières se retrouvent dans le dénuement. Un essor d’associations caritatives et même onusien, comptant sur l’apport d’aides financières des pays occidentaux, est constaté dans le monde pour combler l’insuffisance des États pauvres à prendre en charge les besoins de leurs populations.

 On comprend alors pourquoi des pans entiers de populations dans le monde se sont trouvés attirés par le religieux, trouvant en lui un « refuge » contre l’angoisse de la mal-vie, la misère et des lendemains sans visibilité aucune. Et cette angoisse existentielle ne pouvait que s’étendre aux autres classes sociales ; riches et intellectuels ne vivaient pas dans un cocon séparé, donc mêmes nantis, ressentant des frustrations de tout ordre, se retrouvaient pris dans le sillage du religieux qui n’est pas seulement pour les classes pauvres. Une remise en question totale des repères idéologiques, et le religieux, i.e. le rapprochement avec le Créateur devenait un besoin spirituel comme réponse à cette incompréhension de cette marche à pas forcés du monde, totalement commandée par les puissances du moment.

 Aussi peut-on dire que le retour du religieux n’est pas venu ex nihilo mais s’est avéré une « nécessité » pour une grande partie des peuples du monde. Et l’islam n’était pas seul dans la course ; en Inde un fort courant religieux imprégné les peuples. Quant aux pays occidentaux, en particulier les pays européens, ils sont aussi touchés, et ce n’est pas seulement dû à la crise économique mais surtout au brassage des populations en Europe, conséquence aux guerres mondiales et à la colonisation. L’Etat-nation en Europe et dans le monde s’est affaibli ; les institutions étatiques dans les pays hors-Occident n’assuraient plus le rôle qui leur est échu dans la sécurité politique, économique et sociale des populations au sein des nations, et poussait à l’émigration vers les pays du Nord. Le sentiment de défiance envers les institutions provoquant un repli sur soi concourait forcément à une crise identitaire tant au Nord qu’au Sud.

 Aujourd’hui, on peut dire que le monde a changé, et cette situation rappelle un peu l’après-crise 1929 où le national-socialisme allemand et le fascisme italien avaient bouleversé les cartes du monde. Evidemment, dans la conjoncture actuelle, il n’y a ni Allemagne nazie avec des idées revanchardes ni une Italie fasciste ni une Union soviétique stalinienne. Néanmoins, cette effervescence du religieux dans le monde pose cette question : « Le retour du religieux dans la sphère politique est-il une nouvelle donne pour l’humanité ? »

 Après ce bref aperçu sur le « retour du religieux », il convient d’énoncer que tout est lié à l’évolution, et donc nécessairement à la transition que vit le monde aujourd’hui. D’autant plus que le religieux est lié à l’homme, et à sa transformation au quotidien depuis ces dernières décennies de l’après-libération du monde hors-Occident de la tutelle coloniale européenne. Une situation qui a entraîné d’essence même de l’évolution une métamorphose de l’ensemble des peuples dans le monde. Une métamorphose qui a marqué aussi bien les populations occidentales que les populations du reste du monde.

On assiste aujourd’hui à une forte émancipation de la société occidentale et en retour à un retour du religieux dans les pays du reste du monde, religieux qui affecte aussi très fortement l’Occident du fait du brassage des peuples, dû à la forte émigration qui a touché principalement l’Europe suite à la chute démographique, relevant des séquelles de la deuxième guerre mondiale, et aussi à la chute de la fécondité des populations européennes de souche, se traduisant par une dénatalité en Occident.

 Dès lors peut-on dire que l’humanité a été dirigée non par elle-même, mais par les forces de l’évolution ; en clair, une « herméneutique métamorphosante » de l’humain par l’écoulement du temps. Le monde était réellement en mutation ; un monde qui n’était plus à la veille de deux guerres mondiales, comme en 1914 et 1939 ; même la guerre en Ukraine aujourd’hui opposant un pays de puissance moyenne, l’Ukraine, et une grande puissance, la Russie, n’affecte pas l’opinion internationale ; le monde est loin des lourds événements qui ont marqué le monde, il y a un peu plus d’un siècle.

Cependant, d’autres événements plus complexes sont en train de marquer le monde et risquent de l’être durablement. Tout d’abord le recul à la fois manifeste de l’Occident, qui se fait paradoxalement avec de grandes avancées des autres régions du monde. Le plus étonnant est que ces avancées vont de pair avec les inquiétudes occidentales sur l’avenir de l’équilibre politique et économique mondial, qui n’est pas favorable à l’Occident. De donneur de leçon, l’Occident, et le reste du monde l’« écoutant », l’« obéissant », la situation est en train subrepticement de changer. Et on le voit dans les crises politiques et économiques dans les conflits de l’Occident avec les grandes puissances adverses ; les solidarités au sein de l’Occident s’effilochent ou à défaut atteignent des limites, avec un retour de levier négatif. La contestation hors Occident se traduit depuis au moins deux décennies par des difficultés financières réelles dans nombre de pays en Europe, y compris aux États-Unis qui en paient le prix par des crises politiques et économiques à répétition.

Sur le plan géoéconomique, la situation mondiale s’est trouvée, en moins de cinquante ans, complètement changée. L’Occident est désormais « talonné » par une Asie qui veut être « victorieuse », et pas seulement concurrent l’Occident mais cherche à s’imposer comme acteur incontournable dans les affaires du monde.

Le monde de l’islam est aussi en pleine effervescence et regarde lui aussi l’avenir, sa destinée. La Russie, le plus grand territoire du monde avec ses plus de 17 millions de km2 n’est pas en reste. Avec l’Ossétie du Sud en 2008 et la Crimée en 2014, le Donbass ukrainien presque totalement conquis, la Russie cherche à elle seule à se placer comme pôle indépendant de l’Occident et de l’Asie, une situation que l’on peut dire complexe et qui exclut toute détente. Pourra-t-elle se préserver d’un Occident « envahissant et lui-même envahi » ? Qu’en sera-t-il de l’Asie qui, « mystérieuse » par son essence, n’a pas dit son dernier mot ? L’histoire du monde s’accélère.

Pourra-t-on dire que les événements en Ukraine sont des signes avant-coureurs d’une autre mutation du monde ? La montée fulgurante de l’Inde et surtout de la Chine ne changeront-ils pas les donnes du monde ? Précisément, dans ce « envahissement », l’Occident tente de « colmater les brèches » comme l’explique la fuite en avant contre le monde moyen-oriental, pendant deux décennies, et le retrait qui s’est opéré en catastrophe en 2021 ; ce envahissement qui a repris dans l’Europe de l’Est, de nouveau mal lui en a pris l’Occident, à voir les dommages lourds au plan militaire, économique, financier et surtout géopolitique et stratégique.

Un autre problème et non des moindres, la « montée en puissance de l’Islam » dans le monde, surtout en Europe et dans le monde arabo-musulman. Ce qui nous fait dire qu’il y a un véritable faisceau de forces historiques herméneutiques en jeu dans l’évolution de l’histoire de l’humanité. Par le terme « herméneutique de forces historiques », il faut entendre que des forces dans le monde agissent par elles-mêmes et vont au-delà de la volonté des hommes. Et c’est la raison pour laquelle la compréhension de l’avancement du monde est peu claire, très réduite. L’homme ne sait pas où il va, mais ce qu’il y a de curieux sur cette « herméneutique » qu’elle a sur l’homme et sur laquelle l’homme n’a aucune prise, l’« Essence d’elle » sait où elle va. L'histoire en témoigne de la logique du Temps, dans le mouvement de l'Histoire.

 Quant au « retour du religieux », c’est non seulement un phénomène naturel mais il s’inscrit dans l’Essence. Les civilisations comme les idéologies sont mortelles, et toutes s’inscrivent dans le développement du monde ; mais les religions ne sont pas mortelles ; elles sont la transcendance, l’indépassable essence qui fait la nature de l’humain. L’humain religieux ou irréligieux existe par sa pensée, son existence est déjà reli-gieuse sans même qu’il n’en prenne conscience. S’il n’a pas la foi, c’est simplement parce que c’est voulu par l’Essence qui lui a donné vie pour qu’il vive son existence selon ce qui lui est donné dans son libre-arbitre. L’humain qui a été créé n’a pas été créé pour être un robot, mais pour exister et jouir de son existence. Et peu importe en bien ou en mal, il reste redevable pour chaque action qu’il commet dans son existence envers l’Essence à qui il doit existence. Il existe mais il est existé, Heidegger dira qu’il est « ek-sisté ».

On comprend les masses des déshérités qui cherchent, qu’ils ont un refuge en Dieu, qui est leur seul soutien vrai dans leur dure existence. Évidemment, si ces masses étaient plus riches, elles auraient certainement eu plus de désirs, probablement recherché plus d’émancipation, dès lors que tout va pour le mieux pour eux, comme ce qui s’est passé dans l’émancipation des peuples d’Europe. Mais toute cette richesse et cette pauvreté qui vient ou qui s’en va relève de l’évolution du monde. Et qui ordonne la marche du monde ?

L’être humain riche ou pauvre est faible et ne se sait pas. Un jour du 20 décembre 2007 dans un discours à Latran, un orateur affirmait : « Dans la transmission de l’apprentissage entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer un curé ou un rabbin, il lui manquera toujours le charisme d’un engagement porté par l’espérance »… « Je reconnais là la souffrance provoquée par la loi de 1905 »… et dans son livre, la religion comme un calmant social, donnons des imams aux banlieues... je suis pour la laïcité positive. » C’était le discours de l’ancien président français, Nicholas Sarkozy, qui haranguait les foules selon l’air du Temps.

S’il y avait une sécurité économique pour tous, comme dans les années 1960-1970, du temps de l’âge d’or de la décolonisation, il y avait au sein des peuples une volonté de libération, malgré la guerre, les souffrances, il est certain que les antagonismes auraient été beaucoup plus atténués qu’ils ne le sont aujourd’hui. Mais la nature humaine est changeante selon ce que lui offre l’existence, la vie, ce que l’on constate aujourd’hui qui n’est qu’une réponse de l’existant tant pour l’Occident que le reste du monde.

Ce qu'il faut retenir est que toute stigmatisation d’une culture ne pourrait que renforcer celle contre laquelle on lutte ; donc, deux essences humaines qui s'étreignent en s'opposant dans l’angoisse existentielle n’auront pas d’échappatoire possible que de donner le temps au temps pour qu’à la fin, elles s’acceptent et conjuguent ensemble.

L’herméneutique de l’existant est à l’herméneutique du devenir. Et c’est cela qui est intéressant dans la marche de l’histoire. Chercher à comprendre où le monde va. Ce qui dans un certain sens est dans les possibilités de l’existence, puisque l’homme existe et pense, « je pense donc je suis ». Et le cogito ergo sum n’est pas seulement je pense donc je suis, mais je pense donc j’existe pour me projeter au-delà de mon existence, au-delà de ma finitude. J’ai besoin de toute ma pensée, et pas seulement la pensée de tous les jours, la pensée qu’il m’est pratique de penser. Il faut que je m’élève à la pensée pure, à celle ce qui n’est pas donnée, mais qui est le seul chemin pour m’enquérir du sens de mon existence. Et le religieux pur comme la pensée pure participent dans le chemin de cette connaissance, dans le chemin du devenir.
 

Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.

 


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