« Confinement » d’élections municipales et imbroglio juridique

par Daniel MARTIN
samedi 21 mars 2020

Certains experts de droit public ou constitutionnel pensent qu’il faut revoter les deux tours sans exception, quand d’autres le préconisent seulement pour les communes où les conseils municipaux n’ont pas été élus en totalité au premier tour, alors que pour d’autres il faut figer le premier tour.

Près de 5000 communes sur plus de 35 000 concernées par un report du second tour des élections municipales.

Dans la tourmente de la lutte contre l’extension du Covid-19, la décision de reporter le second tour des élections municipale dans les communes qui n’ont pas élu leur conseil municipaux en totalité lors du premier tour peut sembler subsidiaire, car pour plus de 30 000 communes, les élections ont été bouclées dès le premier tour et semble le rester. Mais près de 5 000 (4922) autres, le second tour est gelé dans une situation transitoire d'une durée non déterminée. Si l'état sanitaire du pays le permet, il est prévu qu'un rapport du conseil scientifique statue sur ce sujet courant mai, toutefois le second tour devrait se tenir le 21 juin. Sinon, il sera reporté à l'automne, ce qui imposera de repousser les élections sénatoriales et d'annuler sans doute les résultats du premier tour des municipales, en raison du délai trop long entre les deux tours, sauf pour les candidats déjà élus à la majorité absolue.

Pour le report ou l’annulation d’un scrutin municipal, le taux d’abstention ne peut être retenu

Le débat par les experts du droit s’articule autour du maintien ou non du premier tour pour les communes concernées par un second tour, certains demandent l’annulation pure et simple du premier tour, sans exception pour toutes les communes. Il convient de préciser, même si on peut le regretter sur le plan politique et par rapport à la légitimité des personnes élues avec un très fort taux d’abstention, la légalité de l’élection ne peut être contestée par le taux d’abstention qui n’est pas un problème technique en droit électoral. En effet, dans le droit électoral, actuellement il n’existe pas de condition de seuil de participation pour les élections municipales, hormis pour l’élection des conseillers municipaux au premier tour dans les communes de moins de 1 000 habitants.

Report en Juin, voire à l’automne

En principe, pour les communes qui n’ont pas élu en totalité leur conseil municipal, si le second tour des élections municipales a lieu en Juin, selon le premier ministre, le premier tour sera figé, c’est à dire qu’on ne le remettra pas en cause. Par contre s’il est reporté à l’automne, il sera annulé et on revotera 2 fois. De quoi soulever des controverses juridiques… Car, que ce soit dans trois mois ou six mois, dès lors que le délais légal d’une semaine ou deux est dépassé, les dispositions applicables n’ont pas à être différentes dans le temps.

Le gouvernement avait pris, en Conseil des ministres mardi 17 mars, un décret abrogeant la convocation des électeurs dimanche 22 mars. Un projet de loi concernant le report du second tour doit ensuite être examiné par le Conseil d’Etat, puis a été présenté lors d’un nouveau Conseil des ministres mercredi 18 Mars, avant d’être examiné au Sénat dès jeudi 19 Mars, pour une adoption d’ici la fin de la semaine. Lors de son intervention lundi soir, Christophe Castaner a affirmé que le scrutin aurait lieu « au plus tard au mois de juin ». Mais entre-temps, en mai, des experts sanitaires seront chargés d’établir un rapport sur la possibilité « au plan sanitaire » d’organiser le vote. « Dans l’hypothèse où ça ne serait pas le cas, nous serions amenés à prendre des dispositions législatives » pour le reporter, « par exemple à l’automne », a précisé la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye.

Entre logique et interprétation du droit

Alors que le second tour des municipales a été reporté pour cause d’épidémie, les plus de 30 000 communes qui ont élu en totalité leur conseil municipal, les maires au premier tour peuvent considérer leur élection comme « acquise », a assuré le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner. Dans les près de 5 000 communes restantes, en revanche, le mandat des élus sortants, qui devait s’achever le 31 mars, va être prolongé en attendant le second tour, probablement au moins de juin.

Là où le premier tour n’a pas permis de trancher, le CDD des sortants est prolongé. Les candidat(e)s déjà élu(e)s, de leur côté, pourront être officiellement désignés lors de conseils municipaux qui auront lieu entre ce vendredi et dimanche à huis clos et avec les précautions sanitaires nécessaires.

Ne pas faire revoter dans les communes qui ont déjà élu leur conseil municipal semble logique dans la mesure où il n’y avait pas de second tour de prévu dans ces communes. Mais ce n’est pas l’avis de certains spécialistes de droit

Si certains juristes proposent de faire une exception pour les communes ayant désigné en totalité leur conseil municipal au premier tour, comme l’indique le ministre de l’intérieur, car il serait délicat de ne pas prendre en compte le vote de ces citoyens. Mais d’autres juristes plaident pour une annulation pure et simple du scrutin, tout le monde étant logé à la même enseigne, élus au premier tour ou pas, rappelant que dans la loi, les deux tours forment un tout. D’autres estiment que l’on peut dissocier les deux tours, donc figer le premier tour

Le débat entre expert du droit devra être tranché

Pour Didier Maus, universitaire spécialiste du droit constitutionnel, l’élection municipale est « un bloc », une élection unique composée de deux éléments. Et ce principe est posé par l’article L.227 du code électoral. Le même article indique d’ailleurs que l’élection a lieu en mars et que le mandat des conseillers est de six ans. Cela signifie donc qu’il s’achèvera le 31 mars cette année. Le code électoral indique également que le second tour doit intervenir « le dimanche suivant le premier tour » (article L.56 ). Bref, poursuit M. Maus, il n’y a que deux solutions. Soit reporter l’élection d’une semaine, au 29 mars : « Aucun intérêt », balaie le constitutionnaliste. Soit renvoyer toute l’élection à plus tard, ce qui implique de « passer par perte le premier tour ». Car « il faut rouvrir le jeu ». Mais, reconnaît-il, « vous faites beaucoup de malheureux », ceux qui ont été élus dès le premier tour.

D’autres experts considèrent cependant que rien ne s’oppose, en droit, à la dissociation des deux tours d’une élection municipale. « Ce n’est pas compliqué », assure Bruno Daugeron, professeur de droit public à l’université Paris-Descartes. Les électeurs ont été convoqués aux urnes par un décret pris en conseil des ministres le 4 septembre 2019. Il suffit d’en prendre un nouveau pour revenir sur cette convocation. Annuler le premier tour serait « une monstruosité juridique, estime t-il. Je ne vois pas comment on pourrait le justifier ». D’ailleurs, prévient-il, « le Conseil constitutionnel regarderait cela d’un très mauvais œil. Le droit de suffrage est un droit fondamental ».

Une solution serait de considérer que ceux qui ont été élus dès le premier tour le resteraient. Mais cela déclenche des problèmes en cascade. Si l’on prolonge le mandat des maires, les élus du 15 mars ne pourraient mécaniquement pas être désignés. Et c’est sans compter l’hypothèse d’un confinement qui empêcherait les conseils municipaux de se réunir.

Une loi devra ensuite être adoptée pour définir les modalités : prorogation du mandat de six ans, dérogation à la règle du « dimanche suivant », du renouvellement intégral des conseils municipaux, changement du mois du scrutin (puisque c’est mars, en principe)… Mais « cela ne pose pas de problème juridique, assure Romain Rambaud. Le législateur a le droit de reporter une élection. »

Pour conclure

En final ce sera au législateur de sortir de cet imbroglio juridico-politique. La décision prise par le premier ministre de figer le premier tour pour les communes où le second tour aurait lieu en Juin et l’annuler si le second tour est reporte à l’automne ne manquera pas de soulever des controverses juridiques justifiées. Les experts du droit ne manqueront pas de souligner l’inconstitutionnalité de la mesure en rappelant que les élections à deux tours forment un tout, un seul et unique scrutin. C’est bien pour cette raison que lorsque le juge est conduit à annuler les résultats du second tour d’une élection, il annule l’ensemble du scrutin, même si personne ne contestait les opérations du premier tour.


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