Cons ou malfaisants ?

par Jacques-Robert SIMON
lundi 31 janvier 2022

Il est possible de se poser cette question lorsqu’on lit les propositions de la Commission Européenne concernant la ‘taxonomie* verte’ qui inclut gaz et nucléaire dans les énergies permettant de lutter contre le réchauffement climatique. Pour répondre à cette question il faut prendre un peu de recul.

Les premiers ébranlements des sociétés du carbone datent du premier choc pétrolier dû en partie à l’embargo arabe lié à la guerre du Kippour d’octobre 1973. Le prix du baril de pétrole passe de 3 à 18 dollars en quelques semaines désorganisant l’ensemble des économies. D’inévitables mesures devaient être prises par les dirigeants occidentaux pour stabiliser un tant soit peu le système et offrir un futur crédible à leurs populations.

Un dirigeant par essence cherche à asservir, quelquefois guider, son peuple mais les méthodes employées peuvent grandement différer.

Il existait deux piliers de soutènement à la civilisation occidentale, deux êtres suprêmes, le Dieu-Amour et le dieu-Égalité. Aussi étrange que cela puisse paraître ces deux spiritualités étaient étroitement imbriquées, l’une ne pouvant vivre sans l’autre même si souvent elles se combattaient.

Les ‘éveillés’ de l’époque annoncèrent clairement les problèmes comme les solutions (qui resteront inchangés un demi-siècle plus tard).

« La voiture, ça pue, ça pollue et ça rend con… » « Dans 30 ans notre monde sera mort… » « Si vous continuez à vivre dans le système actuel, si vous vous entêtez à gaspiller, polluer, appauvrir le sol, vous provoquerez la catastrophe... Je veux dire à tous ceux qui m’écouteront, le ventre bien calé par de lourds dîners devant leur petit écran : Je vous accuse**. »

Pour dissuader les ‘promeneurs du dimanche’, René Dumont propose aussi de limiter la vitesse automobile à 80 km/h et une augmentation d’un facteur environ 3 du litre d’essence. Adepte de la bicyclette et de la vie au grand air, il déclare également : « ... dans deux ou trois générations ce sera le déchaînement de l’Apocalypse. » Et encore : « Il faut s’élever contre la religion de la croissance, imposée par l’oligarchie des riches — ceux-là mêmes qui gaspillent le plus. » « On nous accuse d’être des prophètes de malheur et d’annoncer l’apocalypse. Mais l’apocalypse, nous ne l’annonçons pas, elle est là parmi nous, dans les nuages de pollution qui nous domine, dans les eaux d’égoûts que sont devenues nos rivières nos estuaires et nos littoraux marins… »

On est loin de la taxonomie verte mais plus proche de la réalité.

Quoi qu’il en soit les problèmes d’approvisionnement énergétique et les pollutions devenues par trop conséquentes demandaient des mesures radicales, elles seront prises.

L’instauration d’un libéralisme économique et sociétal fut mis en branle : dénonciation de l’État-providence, économie de marché et dérégulation, amenuisement du secteur public au profit du secteur privé. La Révolution conservatrice qui en résulte se manifeste lors des années 1980 par l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et Margaret Thatcher. La mondialisation financière permettant une mobilité des capitaux d’un pays à l’autre prendra place consécutivement à la même époque.

Le Libéralisme devant rester le Libéralisme, les modes de fonctionnement sociétaux permirent aussi (dans une certaine mesure) de « jouir sans entraves ».

Toute civilisation qui s’éteint voit resurgir l’Argent et le Sexe (le pognon et le cul) comme valeurs suprêmes. Le néo-libéralisme permit avec le premier de satisfaire les nantis qui purent s’enrichir davantage par les seuls jeux d’écritures en ayant relégué ses ‘esclaves’ à l’autre bout de la planète. Avec le second il permit l’accès aux démunis au libertinage transformé pour l’occasion en débauches. La recherche des jouissances immédiates se répercute d’une façon très asymétrique selon la classe sociale, la conséquence est anodine pour ceux qui peuvent louer les services d’autrui pour suppléer des absences familiales, mais mortifère pour les autres qui voient ainsi disparaître le seul pôle de stabilité qu’ils pouvaient espérer.

Cette façon de procéder avait un autre avantage considérable en faisant disparaître le Dieu-Amour dissout dans l’argent, ce qui satisfaisait la ‘Droite’, et en anéantissant la morale Républicaine dans les gesticulations sexuelles, facteur de progrès selon les dires de la ‘Gauche’. Un gouvernement mondial pouvait prendre leurs places où le quantitatif, dans lequel tout s’achète et tout se vend, a pris toute la place des valeurs spirituelles.

Reste les Démocraties !

Les processus électoraux ont été sacralisés comme représentant la volonté populaire. Cette présentation a été écornée en évacuant l’aspect populaire pour représentatif. Plus personne ne croît que les assemblés de notables représentent tous les aspects du peuple dont elles sont normalement l’émanation. Alors ‘on’ organise des spectacles. Les Hommes politiques se livrent aux délices des combats de roquets où les plus hargneux, les plus teigneux excellent. De toute façon les choses importantes ne se déroulent pas là. La mécanique financière a sa propre logique : la somme des intérêts individuels représente l’intérêt général. Plus besoin d’idéologie, de morale, de valeurs spirituelles, même les gens honnêtes sont devenus des nigauds qui ‘ne savent pas y faire’. Les dirigeants occidentaux, et ils en sont conscients, ne sont en poste que pour donner une image à peu près acceptable à un processus où les plus puissants sont les plus retors.

Les années 70 ont marqué une bifurcation dans l’histoire de l’Humanité : il était possible d’élever l’Homme pour en faire l’égal d’un Dieu, une poignée de hiérarques a préféré la ramener à une plus commune bestialité. Ils ont à leur disposition la plus puissante des armées : les sujets eux-mêmes grâce à un savant dressage numérique. L’autodiscipline a toujours conduit au meilleur des servages.

Dans ce cadre les péripéties de l’instant perdent toute espèce d’intérêt et les gesticulations écologiques des uns comme des autres deviendraient dérisoires si elles ne mettaient pas en cause l’existence même de populations. Il est enfin possible de donner une réponse claire à la question d’origine.


* La taxonomie est la science des classifications. ** René Dumont (1904-2001)


Lire l'article complet, et les commentaires