Contribution à une nouvelle résistance (2) : Guerre aux corps

par Tristan Edelman
lundi 19 octobre 2020

Je reste encore abasourdi de l’efficacité que la tyrannie sanitaire a sur l’ensemble des populations. Je n’aurais jamais pensé que nous obéirions — et continuons d’obéir — si aisément. Même celles et ceux qui connaissent les ficelles des manipulations libérales, même les professionnels du militantisme, et beaucoup de GJ sont tombés dans le piège. Nous n’étions que quelques-uns à courir d’assemblés en assemblés, de réunions en réunions, de débats en débats, de conversations en conversations, autant dire de déserts en déserts. Comme résultat aussi inattendu que pitoyable, nous avons poussé la chansonnette aux balcons pour soutenir des « héros » révoqués aussi vite qu’évoqués.

Comment une telle obéissance sanitaire est-elle possible ? Comment cette obéissance tord-elle le cou au politique, au collectif, à la solidarité ? On nous a touché au coeur. Posons nous. Cette crise a l’avantage de faire surgir un problème de fond sans doute inaccessible jusqu’alors : l’obsession de la santé, de la maladie, de la contamination, du risque vient nous rappeler à la présence de la mort. Une mort qui revient d’autant plus inquiétante, qu’elle est mise de côté par le flux véloce de la jouissance marchande. Ce n’est donc ni une question d’intelligence et de connaissance, ni une question de culture et d’opinion, mais la question — beaucoup plus intime — de la mortalité de son propre corps.

Les mouvements sociaux ne pourront se reprendre avec force que si notre rapport intime au corps mortel est pacifié. La crise du Covid exhume la liaison intrinsèque entre le politique et l’intime ; deux domaines qui n’auraient jamais du être séparés. Tout comme le Capital travaille à la déstructuration économique et mentale, il nous travaille au corps tant et si bien, que nous n’avons plus aucune prise sur lui ; il est médiatisé de toute part. On ne le connait plus. On ne lui fait plus confiance. On ne sait plus rien de la multiplicité des sentiments, des affects, des sensations, des transformations. A l’instar de la pensée, les changements du corps sont homogénéisées par un corps-marchandise constitué de fantasmes, de représentations narcissiques, de terreurs et de méconnaissances. Devant autant de déconnexions il est naturel que l’alliance entre la techno-science, les médias et les banques trouve un terrain de conquête particulièrement fertile chez cet humain qui se recroqueville. L’anesthésie est telle qu’il faut s’attendre à beaucoup de violences pour que chacun se re-connecte à son énergie primordiale enfouie dans l’enfance.

 

Me voici rendu, comme tant d’autres issus de la « matrice » GJ, à un moment de recul et de méditation, concentré et traversé par ce qui agit désormais en souterrain. Dans un esprit de retour sur soi et au Réel, et afin de repartir de manière plus racinaire, je propose un cheminement orienté vers deux horizons inséparables et concomitants.

Le premier horizon consiste à se mettre, sans se raconter d’histoires, en face de soi-même et en face de cet humain 2.0 apparemment formidable. On découvrira, dans le sombre miroir de vérité, une guerre totale faite au corps. Une guerre totale et millénaire que le système marchand, sous couvert de protection retorse, mène à son apogée en instrumentalisant une mort préfabriquée. Si l’humain persévère dans l’intégrisme hygiéniste, la phobie faite empereur, l’oscillation entre la dépression et la haine, il fond sans faillir vers un mal-être plein d’effroi, qui le précipitera dans l’abîme de la déréliction et de l’extermination.

Le deuxième horizon consiste à écouter, suivre, aimer ce corps et ses changements. Non plus « tuer la mort » et donc la vie, mais « aimer la mort, la vie ». L’amour de la vieillesse et de la mortalité comporte une critique et une désobéissance radicales. Si le Capital s’organise pour tromper la mort, il s’agit ici, de la reconnaitre et d’y trouver — hors des utopies et du fatalisme — le courage de la joie de vivre ici et maintenant. Et pour ce : ne rien faire, laisser faire, écouter et suivre l’énergie commune qui nous dira la prochaine station.

Zombification du monde

Dans les rues et les campagnes, sur le palier et les couches conjugales : les gens s’observent. Il s’évitent, ils se jugent, ils se craignent. Les visages ont disparu pour laisser place aux peurs, aux fantômes, aux paranoïas. On essaye d’éviter les transports en commun, d’éviter les villes, d’éviter les rassemblements, d’éviter les jeunes, les vieux, d’éviter les travailleurs, les relations sexuelles et bientôt d’éviter de respirer. Mais les interstices se rétrécissent et les professionnels de la fuite se trouvent enfermés dans des espaces de plus en plus réduits. Le sens civique s’est transformé en discipline de la frustration. Celui qui ne respecte pas le costume et le comportement de la peur est un irresponsable, un salaud, un terroriste ; un ennemi à abattre rapidement avant qu’il ne soit trop tard. Plus aucune question sur le bien fondé des impositions sanitaires, plus aucun sursaut de bon sens. Oubli soudain des basiques de la chimie bactériologique et virale du corps. Les années d’école, de science, de raison, d’histoire, de culture, balayées en un commandement. Le vernis des Lumières, du Progrès et de l’Ordre pollué en quelques semaines à coups de thermomètre ; le noir de la haine et de la surveillance déborde le tableau occidental. Ceux qui disaient hier détester les foules se trouvent les premiers à constituer les foules. Ceux qui prônaient hier la bienveillance sont les premiers à mettre en place une morale agressive d’exclusion. Ceux qui parlaient hier du « Grand Soir » sont les premiers à se terrer chez eux quand arrivent le soir. Ceux qui arboraient le raisonnable et le calme bourgeois sont les premiers à diffuser l’hystérie des faussaires.

Nous voici plein de tocs. Les phobies imposent leur despotisme. Approcher le visage de l’autre devient un acte héroïque, ou dément. On ne sait plus rien mais on ne sait jamais : la prophylaxie assassine ce qu’il reste d’humain. La nouvelle application s’appelle Tiktok. Mieux vaut mourir seul mais propre, qu’entouré par l’amour de ses proches : ils sont peut-être porteurs. Vade retro Satanas. Morale à l’endroit du corps : toucher, rire et faire l’amour, oui, mais sous écrans. Le virtuel est la nouvelle vierge immaculée. La marche des zombies n’est pas celle de cadavres ambulants, mais celles de moitié-vivants repliés sur eux-mêmes, végétant dans un sac poubelle fait de masques, de gants et de plexiglass. Buvant du gel hydro-alcoolique, les poches pleines de médicaments, de psychotropes, le cerveau tendu vers le nombre de morts annoncé par les canaux de la propagande, le zombie est en attente d’une reprise miraculeuse. Le dernier homme occidental vénère la sacrosainte liberté au milieu des ordures planétaires, et va à l’abattoir en se persuadant que « ce n’est pas possible », que « ça va revenir à la normal », qu’« ayant payé ses impôts, on lui doit du respect ». Les enfants de ce dernier homme diront, dans le même respect pour le déni affilié : « Ils ne savaient pas ! » On capitalise plus surement sur la victimisation que sur la révolte issue des tripes et du discernement. Voici donc ces derniers hommes, femmes et adolescents dans leur sac poubelle en train de chercher nerveusement les interstices les plus confortables, là où il reste un peu d’air, éventuellement. Bien propres sur eux, les voici sur le qui-vive pour dénoncer celui ou celle qui, n’étant pas encore fou, serait le plus pernicieux vecteur de contamination.

Deux issues. Retourner l’énergie contre soi et c’est la dépression. Retourner l’énergie contre l’autre et c’est le lynchage collectif sur un bouc émissaire. Hagard et confiné, le troupeau apeuré ne voit pas que l’air, l’eau, la terre, les ondes le détruisent de manière certaine, que le reset économique aura raison de lui et que ses gestes barrières le coupe définitivement de ce qui lui reste de santé.

Comment est-il possible que notre comportement quotidien, nos notions les plus fondamentales, notre corps intime soient à ce point affectés ? Les guerres affectent localement et elles ont une cause historique. Le terrorisme, malgré son effet de surprise, a également ses explications humaines et sa localisation. Mais le virus est un phénomène naturel — même s’il est modifié artificiellement — qui se propage de toute part et de manière invisible. Dès lors qu’on peut lui projeter toutes les formes, la planète entière se met à délirer à partir des peurs les plus archaïques. Nous avons cru tromper la mort par une vie censée être infinie par le miracle de la consommation, de la performance et du divertissement. Elle revient soudainement et se joue de nous.

Si nous voulons sortir de la folie de l’égoïsme et de l’isolement, si nous ne voulons pas construire méthodiquement les prochains camps de concentration, de ré-éducation et de mort annoncée, il nous faut revenir à notre sentiment, notre sensation, notre sens de la mort.

 

Renouer avec la mort

On avait oublié que la mort est le rendez-vous incontournable de notre existence. Combien de fois ai-je entendu : « Je n’ai pas peur de la mort. J’ai peur que mes proches décèdent. J’ai seulement peur de souffrir ». L’humain occidental est arrivé à ce point de dystonie qu’il se concentre plus sur les gens qui risquent de lui manquer et sur les souffrances de son corps, que sur sa propre mort. Il en a oublié que le corps qui souffre c’est le corps en danger de mort, que la mort des autres c’est aussi la sienne, que sa propre mort c’est être connecté avec son instinct de survie. Dans son individualisme outrancier la mort ne le concerne pas. Il passera entre les gouttes. Mort au placard, cadavre à l’hôpital, vieux aux EHPAD. Et la mauvaise foi continue de distribuer les rôles.

Suffit-il d’un virus saisonnier pour lui rappeler sa mortalité ? Non. Il faut une industrie de la terreur pour le maintenir dans un état d’urgence. Cette industrie ne le met pas devant la mort réelle, elle le met devant une mort construite. Une mort fantasmée pour les besoins marchands. Mort à crédit. Terreur recouvrant la mort elle-même. Rafraîchissement de la logique du déni. Détresse mise à profit. Pour les marchands, la mort n’existe pas. Selon le dogme libéral il suffit, pour échapper à la mort, d’exploiter les masses, d’en éliminer le surplus inutile et de détourner le plus possible de ressources avec le projet de bâtir une nouvelle forteresse dans le ciel, sous la terre, sur une île, sur Mars. « Tuer la mort ! » est leur nouveau credo 2.0. Et si elle revient — car elle n’est jamais partie — ce sera sous les traits monstrueux de l’ennemi social, refusant de mourir sur l’autel de l’immortalité promise lors d’une petite fête démente.

 

Reprendre contact avec la mort réelle. Revenir au corps. Revenir aux changements. Le corps qui se transforme. Le corps qui vieillit. Sortir du délire libéral d’un jeune utile qui travaille et d’un vieux devenu inutile qui vide les caisses. Ecouter le message des douleurs : aucune ne se ressemble. La souffrance au travail n’est pas la même que la souffrance d’un deuil. Celui-ci approfondit la présence au corps, celui-là assassine le corps. Bannir le désir d’immortalité, d’amélioration, de contrôle. Lutter contre les maladies du déni. Ré-écouter son corps, c’est se reconnecter avec sa mortalité, sa vitalité, son lien avec le Monde. Ce Monde qui nous façonne de part en part, d’où l’on vient, vers où l’on va. Sortir de l’individualisme narcissique qui nous impose l’angoisse de la solitude. Démarche intime qui dépasse de loin la Raison, les mythes, les religions, la science. Affaire de soi à soi dont il est si difficile de parler, et où portant l’essentiel se passe. L’acceptation — l’amour même — de la mort et du vieillissement, en plus d’être l’arme fatale contre le Capital, est la clef de notre réconciliation avec le Monde.

 

Et c’est encore aux Rond-Points que je reviens. Je me suis occupé de mes parents avant leur décès, mais c’est autre chose que de rencontrer de « veilles » personnes qui ne sont pas de notre famille dans une cabane de fortune pour refaire le monde. Découvrir la richesse de l’expérience, le recul bienfaiteur, l’opiniâtreté surprenante, la complémentarité dans la vigueur. On s’ouvre à l’autre, on rencontre en vrai, on sort de sa boite familiale, de sa cellule communautaire, de son ghetto périphérique. On se rencontre de manière informelle. On découvre une vie après la retraite. Il ne s’agit pas d’un respect traditionnel et tyrannique pour les anciens, mais d’une curiosité qui, au sein des Rond-Points, devient une véritable désobéissance idéologique. Car aujourd’hui, un des joyaux, un des noyaux des GJ ce sont les retraités. Pas de GJ sans eux. Ils tiennent la barre contre vents et marées. L’horreur de la violence d’Etat s’abat sur eux telle la légion légion noire de la pire époque. J’ai vu, à en vomir de rage, trop de vielles personnes bastonnées par les matraques, crachant leurs poumons sous les gaz, et se relevant, les yeux rougies par le cyanure et la ténacité, reprendre leur marche en boitant.

Y-a-t-il encore un nom pour désigner une « gouvernance » qui mutile les vétérans dans les Rond-Points, les décime dans les EPHAD, les met sous terreur, les isole et les suicide au nom de la santé, les dévalorise au nom d’un capitalisme de l’utile, les ruine à petit feu, les jette dans les fosses communes de l’indifférence et du mépris ? Je peux juste dire que ce sont ces personnes-là qui me redonnent de l’espoir, qui me transmettent l’essentiel, qui me rappelle à l’histoire, au courage et à la force de vivre. Quant aux autres, à ceux et celles qui assassinent ce qui reste de ce monde, je n’ai en effet plus aucun nom.

 

Dénouer la terreur

A celles et ceux qui regardent les GJ sans mots dire, qui croient aux mensonges d’Etat, qui ne croient plus en rien, qui ne veulent plus croire rien ni personne, à celles et ceux qui applaudissent l’ordre et la discipline, qui veulent plus de sécurité, qui demandent de bien ajuster le masque, qui vote encore, qui minimisent l’aliénation, à celles et ceux qui ferment les yeux, qui espèrent le retour à la normalité, qui ne veulent pas voir la vélocité abjecte du Capital, à celles et ceux qui divisent et corrompent les luttes en précipitant les immigrées, les hommes et les femmes dans le cycle du travail, du taux de profit et de la légalité au nom d’une pseudo-révolution, à celles et ceux qui, par un jeu de mauvaise foi mentale, croient être différents et non indifférents, à celles et ceux qui ne touchent plus les enfants, les vieux, ni personne et se terrent au nom du virus, à tous ces gens là je rappelle que c’est vous qui véhiculez la terreur. Le plus ahurissant dans cette histoire c’est que ces gens-là c’est la plupart d’entre nous !

 

La crise nous a donc mis devant un fait inquiétant mais incontournable : nous sommes devenus lâches, influençables, dociles. En plus de ce constat peu reluisant, si on suit notre bien aimé ego sur une petite période de 6 mois, on découvrira que l’on entretient une ambivalence pathétique : arrogants et minables, donneurs de leçons et soumis, tyrannique et lèche-bottes, culpabilisateur et culpabilisé, manipulateurs et manipulés. Notre boussole indique simultanément le nord et le sud, l’ouest et l’est. Plus nous errons comme des feuilles d’automnes voletant dans un cyclone chimique nauséeux, plus notre ego identitaire devient la bouée d’un sauvetage têtu. Et lorsque l’Etat nous met au pas, la dépression nous gagne : l’existence de l’autre s’impose sous les traits d’une domination humiliante et infantile. Notre libre-arbitre était donc un simulacre ! Le système pense, mange et baise à travers nous. Nous ne sommes qu’une courroie pour la transmission marchande. Quelle vexation infamante pour notre individualité exceptionnelle !

 

Désorientés à la base, notre plus grande peur est celle de ne plus avoir d’orientation. C’est pourquoi le diktat de la marchandise est une bonne nouvelle. On prie encore pour qu’elle advienne : au moins on sait où aller. Hier le concert aujourd’hui skype, hier le contact aujourd’hui le sans contact, hier l’humain aujourd’hui le robot. La plus grande ironie de l’Histoire, c’est de nous mettre au pas avec des règles absurdes. Qu’importe ce qu’on nous ordonne de suivre du moment qu’on ordonne. Qu’importe le contenu de la règle du moment qu’on préserve la règle. Bientôt il faudra sauter à cloche pied et marcher sur la tête pour éviter le virus. La Loi rassure. Plus elle est absurde et plus elle coûte chère, plus elle prend du poids et plus elle dresse. Depuis au moins 5000 ans, nous pensons que sans règles ce serait le chaos, la jungle. Sans règles le plus fort gagne sur le plus faible. Nous avons perdu de vue que la règle entretient un chaos bien pire que la jungle, à travers lequel le plus fou décime tout ce qu'il reste. Nous préférons suivre une raison folle qui assassine la vie, qu’une raison qui suivrait un instinct de survie. Nous avons cru que la raison sera le garde fou : elle est devenu le garde devenu fou. La Science, le Droit et la Valeur d’échange nous ont fait perdre le corps et la tête. Il a suffit de l’alliance de ces trois têtes d’hydre pour que nous sautions, bien disciplinés et au pas, dans la fosse commune. Rassurés par notre marche militaire régulière, nous espérons éviter l’abîme. Sommes-nous une seule fois sortis de la superstition ?

 

Cela marche comme sur des roulettes parce que nous voulons croire que la consommation de Progrès et de Technique nous ferait oublier la mort par une performance du corps. Et quand la mort revient de derrière les fagots, nous nous obstinons à croire que le Dieu Etat a l’objectif et les moyens de nous protéger. Sommes-nous une seule fois sortis de l’infantilisme ? Le respect des mesures sanitaires vient de notre croyance à pouvoir contrôler la grande faucheuse. Masques, gels, tests, prises de températures, quarantaines, vaccins, distances sociales, fermetures des bars, restaurants, clubs et frontières, isolements forcés et confinements mondiaux. On ne sait plus. On ne sait pas. Mais on ne sait jamais. C’est mieux que rien. Toujours faire. On a tellement fait qu’on a tout défait. Dépendants des instances de la Loi, nous avons remplacé la joie de vivre par des drogues chimiques, narcissiques, spirituelles et des shoots d’adrénaline. Nous vivons sous addiction depuis des siècles. Masquée, cette addiction pointe son nez régulièrement lors des crises, et nous fait un pied de nez afin de rappeler aux zombies qui est le maître.

 

Cette crise est sans doute la première d’une des plus grandes séquences dissociatives de l’humanité. La dissociation concerne cette fois le socle de la vie. En effet, la distanciation sociale condamne le sens du toucher, et de là, toute possibilité de se rassembler et tout rapport direct au monde — du sexe à l’alimentation en passant par les déplacements. L’écran devient la médiation obligatoire, la traduction de la Loi en langage technique. Aucune religion n’avait encore atteint ce degré de fanatisme, de séquençage et de contrôle. La laïcité, le pape, l’artiste affichent leur masque. Il ne faudra pas s’étonner d’un retour majestueux de la morale et des perversions. Retour qui sera l’occasion d’une profusion de procédures et de distanciations. Pas de bon et de méchant dans cette histoire : juste le cancer normatif qui se nourrit de lui-même.

 

Dénouer la terreur dépend d’un parcours personnel qui n’obéit à aucune recette et qui nous amène, d’une manière ou d’une autre, à faire le diagnostique radical et sans état d’âme de l’aliénation de notre corps et de notre âme. La remise en question de la Loi et de la légitimité sera incontournable. Pas facile. Très difficile même. Car après quelques millénaires, la désaliénation sonne comme une trahison d’envergure qui ne manquera pas de faire retentir les foudres psychologiques de la menace et de la culpabilité. Il y aura le piège de la subversion de pacotille et de la révolte de paille. Le piège de la non-violence docile et de l’amour new-age. Le piège de la violence complice et des réformes impossibles. Et tant d’autres. Pour sortir concrètement de la Loi et des addictions du Capital, nous avons besoin d’une cure de désintoxication et de lucidité sur tous les plans : physique, mental, émotionnel, rationnel, spirituel.

Enfin, contrairement à ce que nous ordonne l’intégrisme de l’hygiène, il faut reprendre contact avec le toucher. Ne plus avoir peur de se rassembler, de s’embrasser, de s’enlacer. Abandonner les écrans, se tourner vers le Réel, se retrouver en vrai, et nombreux si possible ; clandestinement si besoin est.

La désobéissance n’est pas une fin en soi, elle est un moyen pour sortir de l’addiction marchande. La liberté n’est pas celle du pouvoir d’achat, mais un mouvement de libération de la domination totale pour s’orienter selon une cadence collective organique et continue.

 

Dé-zombification du monde

Le Capital est profondément enraciné en nous. Il nous prend au plus intime du corps : cellules, neurones, nerfs, organes, réflexes. Le tour de force est la manière dont il congédie la mort pour en faire un fantasme terrifiant sur lequel on peut jouer à souhait. Le corps profond étant atteint, il s’agit de le regagner. Mais comment retrouver ce Réel avec lequel il est bon de vivre ? Tout d’abord ne nous trompons pas : notre corps est colonisé. Ceux qui prétendent que nous sommes tous actifs et participants au Capital, nous font croire au fatalisme de la marchandise comme d’une loi naturelle. Il s’agit d’une stratégie pour briser le mental et assurer le pouvoir. L’ultime réthorique revient à démontrer que l’esclave souhaite son propre esclavage. On arrive à l’argument le plus spécieux qui soit : le colonisateur ne fait que répondre à la demande du colonisé ! Il n’y est pour rien, il est bienveillant, il faut le remercier. Aussi étourdissant et scandaleux que cela puisse paraître, tout cela est vrai. Oui : le fatalisme et la servitude volontaire sont la base de notre système d’adhésion. Du moins tant que la personne ne ressent pas sa colonisation interne et qu’elle croit en les valeurs du colonisateur. Mais du moment que la personne ressent le mal-être de la domination et les valeurs démentes du colonisateur, alors son corps et sa conscience se réveillent. Elle renoue avec son propre mouvement réel et dès lors, elle ne participe plus : elle est astreinte à coopérer. Consciente de sa condition ; elle devient un esclave non soumis, un révolté, une menace, un espoir. Elle devient fil conducteur du Mouvement Réel. Cette personne là, sait alors qu’il existe un autre corps, un autre monde. La priorité n’est pas de repenser l’éthique, l’effondrement et les représentations, mais de (se) ressentir et se relier intimement aux nécessités fondamentales du Mouvement réel.

 

Quand le libéral viendra vous dire que vous participez au système parce que vous utilisez un smartphone, vous pourrez lui répondre que vous n’aviez pas besoin de cet objet, mais qu’il vous a été imposé par un consortium capitaliste faisant en sorte de marginaliser toute personne qui ne l’utilise pas. Rien de naturel, rien d’indispensable. Par ailleurs ne partageant point les valeurs de la marchandise, vous développez le plus possible les communications réelles. Vous vous considérez comme un esclave enchainé qui fait au mieux à son niveau pour lutter contre le taux de profit, le travail et le confinement. Vous verrez derrière le sourire cool du libéral, le rictus de l’avare vous envoyant les forces coercitives de l’Etat de Droit pour réprimer toute alternative. On passe vite du sortfware au hardware. Il est plus facile de convaincre un esclave habitué à son esclavage dans un confort tout relatif, que de faire croire à un esclave enchainé sur l’entrepont qu’il est en train de faire une croisière touristique. Le sens du Réel est une question de mémoire profonde, d’expérience vécue et directe.

 

Nous sommes bien en-deçà du changement de représentations à la manière des écologistes, qui tentent d’édifier une nouvelle morale, d’inverser les valeurs et de vivre « la sobriété pour sauver la planète ». Emettre de nouveaux commandements en réformant les représentations n’a jamais fait autre chose qu’éloigner la personne de l’expérience d’elle-même. Une pierre en plus à l’édifice spectaculaire du théâtre de la mort. Il s’agit d’un rapport au monde qui vient des tripes, du ventre, de la chair et des os. A chacun de faire son propre chemin de crise pour sentir et comprendre que le mode de vie capitaliste est toxique, et ce non seulement à travers ses produits, mais dans sa manière même de produire. Les produits (vegan, bio, énergies « propres », etc.) et les comportements (sport, méditation, tri sélectif etc.) qui semblent les plus sains n’échappent pas à cette logique. Le danger est que les défenseurs de ces produits et comportements participent d’autant plus au système qu’ils croient y échapper alors qu’ils le renouvellent.

Cantonnées dans des luttes partielles et donc récupérables, la plupart des associations écolos sont tombées dans le piège de la peur du virus, parce que justement elles en sont restées à la représentation et à l’éthique de la bonne santé. Elles n’ont pas assumé une critique intégrale de notre rapport aliéné à la toxicité intrinsèque du Capital et de toutes ses propositions. Nous avons pu suivre également le vaudeville des bobos qui, hier, se complaisaient dans les leçons de morales pour, en un instant, s’incarcérer chez eux. Les masques sont tombés par millions.

 

En revanche, chacun a pu voir des personnes auxquelles on n’aurait pas penser, ouvrir les yeux ; la perspicacité subsiste en elles sans qu’il soit besoin d’exhiber les drapeaux. A ce titre, dans mon milieu d’énergéticien, pourtant dépolitisé, je participe à des groupes qui se sont formés dans le but de réfléchir et dénoncer la manipulation. Ce sursaut s’explique par le fait que d’une part, étant attaqué par la médecine conventionnelle ils en connaissent les rouages pervers, d’autre part, prônant une approche holistique ils sont portés à voir le monde comme un tout insécable et enfin, travaillant sur le corps, ils sont parmi les premiers à subir les conséquences brutales de la marginalisation sociale. La prise de conscience et l’ardeur dans la lutte supposent souvent une persécution mondiale, une offensive de l’idéologie de terreur et une prolétarisation extrêmement rapide.

 

Sortir du Capitalisme implique de revenir aux besoins premiers. Retrouver les appels du corps, le goût des aliments, les joies du déplacement. Sensations de plaisir, de souffrance, de joie, de tristesse, de colère ; aucune émotion n’est à exclure. Laisser son système immunitaire agir sans se précipiter sur des médicaments. Laisser son corps vivre sans le contrôle du mental. Laisser se dissoudre le règne de la mauvaise foi. Se laisser aller au vide et à l’ennui. Suivre le rythme des jours et des nuits, des repas et de la fatigue. Se nourrir aux bonnes informations avec un rythme personnel afin de ne pas sombrer dans le désespoir ou les faux espoirs. Sortir de son ghetto narcissique, conjugal, social pour renouer avec le collectif. Et se rassembler, se rencontrer, se toucher : que la peur ne vienne pas raviner les coupures traumatiques du corps.
En suivant ce fil intime corporel, on en viendra tout naturellement — selon un rythme à la fois personnel et collectif — à remettre en question radicalement les règles de comportement, l’éducation, la culture, l’histoire, le travail, le confort, la sécurité, le système de santé, l’agroalimentaire, la techno-science, l’information, le virtuel, la privatisation, l’Etat, la Loi, le Capital, le 2.0 ; notre rapport à la mort. Cette dernière ne sera plus ce squelette grimé qui jaillit des écrans et qu’on retrouve avec effroi pour avoir tenté de l’oublier. Les rhizomes du Capital se retirant de notre corps et de notre imaginaire, on peut enfin suivre le Mouvement du Réel. L’état de guerre s’évanouissant en nous, il redevient stimulant de lutter en toute cohérence et il redevient possible de vivre avec ce qui nous échappe ; en paix avec la mort.


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