Contrôle des chômeurs : le suivi mensuel est une arme atomique

par Patrick Salmon
vendredi 27 juillet 2007

Trois questions à Patrick Salmon, auteur de « Chômage, le fiasco des politiques » (Balland, 2006).

Les Échos annoncent aujourd’hui que 42 000 chômeurs ont fait l’objet de sanctions en 2006, un chiffre en très forte augmentation. Comment l’expliquer ?

. Ces chiffres ne me surprennent pas. Le premier constat à faire est qu’ils concernent un nombre très faible de chômeurs, à peine 2%. L’explosion du nombre de sanctions (qui concernaient environ 2 000 chômeurs en 2000 et 2001) naît des effets des textes. D’abord, elle correspond à l’explosion du nombre de convocations qui a découlé du suivi mensualisé des chômeurs au 1er janvier 2006. Quand on envoie plus de convocations, il y a forcément plus de gens qui ne viennent pas, et donc plus de gens qui font l’objet d’une sanction. La deuxième explication est la graduation des sanctions introduite par le décret du 2 août 2005 sur la recherche d’emploi. Avant, le retrait des allocations était total : le fait de moduler les sanctions a conduit à les appliquer beaucoup plus souvent. Le décret a également fait évoluer la notion d’emploi "acceptable" qui, au début des années 2000, était défini par la qualification, alors qu’il l’est maintenant par la notion beaucoup plus large de "compétences".

Ces derniers jours, la CGT a interpellé le gouvernement sur une augmentation des radiations "abusives". Partagez-vous ce constat, ainsi que celui du collectif Les Autres Chiffres du chômage (ACDC), selon qui l’augmentation des radiations a pour but délibéré de diminuer le taux de chômage ?

. La CGT a cité une quinzaine de cas de radiations "abusives", et je ne vois pas quelles conclusions on peut tirer d’un tel nombre. Il est certain que, quand on met en place une procédure de convocations massives, on peut trouver une quinzaine de cas où la lettre de convocation n’est pas arrivée. En revanche, je partage totalement les analyses du collectif ACDC. Je ne suis pas critique a priori sur la procédure de suivi mensuel des chômeurs (même s’il est moins pertinent pour certains, plus autonomes dans leurs recherches, que pour d’autres), mais il faut comprendre quel était l’objectif de cette mécanique : en 2005, Dominique de Villepin pensait être candidat à l’élection présidentielle et voulait donc afficher les meilleurs résultats possibles sur la "catégorie 1" des chômeurs [personnes immédiatement disponibles cherchant un CDI à temps plein, ndlr]. Ce suivi mensualisé est devenu une "arme atomique" qui peut faire disparaître beaucoup de gens, même pendant un mois seulement, des statistiques. Aujourd’hui, ce chiffre du chômage ne reflète plus rien, n’est plus pertinent pour construire une politique. Il ne conduit qu’à l’obsession du court terme et ne dit rien de la précarité, de l’emploi "inadéquat". Il faut sortir de ce fétichisme du chiffre, et le gouvernement partage d’ailleurs cette analyse puisqu’il a lancé une mission sur le sujet. J’ai cependant une crainte : il dit viser 5 % de chômeurs, et la tentation peut être de travailler plus sur l’indicateur que sur la réalité.

Le gouvernement souhaiterait fusionner l’ANPE et l’Unedic, mais ce projet suscite apparemment des réticences en interne. Pensez-vous qu’il serait susceptible d’améliorer l’efficacité du service public de l’emploi ?

. L’essentiel n’est pas là. Ce n’est pas parce qu’il y aura ou non une fusion que l’efficacité du service public de l’emploi sera plus ou moins grande. J’ai malgré tout une inquiétude sur l’approche "financière" ou "mercantile" qui peut en découler, alors que déjà la moitié des chômeurs ne sont pas indemnisés. Le risque est de sélectionner les "chômeurs rentables", ou de continuer à confier, comme cela existe déjà, l’accompagnement à des organismes privés afin de réaliser un bénéfice.

Propos recueillis par Jean-Marie Pottier (le jeudi 26 juillet 2007).
Cet entretien est paru sur Nouvelobs.com et Challenges.fr


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