Coriolis et lavabo

par Brutus
samedi 7 janvier 2023

Pour ceux qui ne l'auraient pas encore fait, je ne saurais que recommander la consultation du dernier ouvrage de M. François Rollin, intitulé "Dictionnaire amoureux de la bêtise".

Si l'acquisition de cet usuel dont vous ne pourrez plus vous passer est au-dessus de vos moyens, empruntez-le ou consultez-le à la bibliothèque, mais, contrairement aux conseils prodigués autrefois par Georget Bernier dit « professeur Choron » à propos du journal Hara-Kiri, ne le volez pas, car ça serait malhonnête. Il est vrai que, contrairement aussi à l'ouvrage que je vous conseille de compulser avant de rédiger le texte de votrre prochain article sur Agoravox, l'hebdomadaire sus-évoqué s'adressait à ses propres lecteurs par ces mots :

« Vous êtes bêtes. Et non seulement vous êtes bêtes, mais vous êtes méchants. »,

alors que le ton de M. Rollin ne se départit jamais de la plus grande courtoisie (mêlée, il est vrai, d'une certaine malice qu'on trouve d'ordinaire dans les bonnes charcuteries où il est difficile de distinguer le lard du cochon).

Pourquoi payer, me direz-vous, si c'est pour obtenir un étalage alphabétique et sélectionné de la bêtise ambiante alors qu'il suffit de regarder les journaux télévisés ou lire la presse quotidienne (nationale et régionale) pour obtenir en très grande quantité la même denrée brute de décoffrage, c'est-à-dire bio, en quelque sorte, sans pesticides ni sucre ajouté ? La réponse est que, sans vous en rendre compte, vous payez aussi pour obtenir cette bêtise-là et aussi pour ingurgiter la publicité y afférant. En plus, même si la taxe audio-visuelle est supprimée, il faut amortir l'achat de votre récepteur et/ou gratifier de votre obole quotidienne le gérant du kiosque le plus proche de votre station de métro. Et, cerise sur le gâteau, alors qu'il vous faut trier la marchandise en vrac déversée par les médias pour arriver à esquisser parfois un sourire en réaction à une connerie de première catégorie noyée parmi des bêtises médiocres qui ne la mettent pas en valeur, vous pourrez vous délecter de pépites débarassées de leur gangue épaisse et insipide, valorisées de surcroit par la proximité d'autres perles, émaux et camées de la crétinerie ordinaire.

Mais foin de ces billevesées, venons en au fait !

Depuis un certain nombre d'années je m'étais installé dans un confort intellectif dont je me contentais à la fois par paresse et par affinité pour ma sécurité mentale, fût-elle illusoire, et ma torpeur s'est trouvée brutalement interrompue, pas plus tard qu'hier, quand j'ai consulté l'entrée intitulée "lavabo" à la page 300 du recueil qui fait l'objet de ce billet.

Quelle ne fut pas ma stupeur quand j'ai lu :

"Beaucoup de gens croient (et maintiennent avec aplomb) que l'eau d'un lavabo qui se vide tourne dans le sens des aiguilles d'une montre dans l'hémisphère Sud, et dans l'autre sens dans l'hémisphère Nord.

C'est une bêtise".

Et d'insister en expliquantque la position géographique du lavabo ne faisait rien à l'affaire, mais qu'il fallait chercher la raison du sens de rotation de l'écoulement dans la conception du dispositif d'évacuation. La suite des explications développe des objections pertinentes au fait d'attribuer à la force de Coriolis les vicissitudes d'une bonne gestion des équipements de salles de bains.

A l'instar de la Vénus de Milo, les bras m'en sont tombés.

Fichtre, me disé-je, voilà que toutes mes certitudes s'écroulaient simultanémant simplement parce qu'un imposteur se faisant passer pour un prof de physique m'avait raconté des bobards quand j'étais en terminale, au siècle dernier.

Je suis donc allé consulter Mme Wikipédia pour en avoir le cœur net, et, malheureusement pour mes certitudes déjà ébranlées et pour la sérénité du flux neuronal dans mon cortex, je n'ai pu que me rendre à l'évidence concernant l'étendue de mon ignorance, ou plutôt des mes errances.

L'article consacré à la Force de Coriolis, dont je vous laisse prendre connaissance à partir de l'hyperlien que je viens de vous fournir gracieusement, précise même :

"Contrairement à une croyance populaire, la force de Coriolis due à la rotation du globe terrestre est trop faible pour avoir le temps d'influer sur le sens de rotation de l'écoulement de l'eau dans un lavabo qui se vide. Comme l'ont montré Ascher Shapiro et Lloyd N. Trefethen, pour percevoir une telle influence, il est nécessaire d'observer une masse d'eau stabilisée dans un très grand bassin circulaire, d'un diamètre de l'ordre d'au moins plusieurs dizaines de kilomètres pour un effet en centimètres. Dans le siphon d'un lavabo, le sens de rotation de l'eau est dû à la géométrie du lavabo et aux microcourants d'eau créés lors de son remplissage, ou lors d'une agitation de l'eau. Il est donc possible de fausser le résultat en donnant une impulsion à l'eau, comme on peut le voir sur certaines vidéos, où l'expérience est proposée aux touristes sur l'équateur terrestre."

M. Rollin avait donc raison, et j'ai dû faire face à une révélation sans appel : à défaut d'avoir eu connaissance des travaux de MM. Shapiro et Trefethen, je m'étais fourvoyé jusqu'à pas plus tard qu'hier dans les sentiers tortueux de la "croyance populaire". Je remercie donc cet érudit de m'avoir éclairé et vous enjoins de vous en référer à ses lumières.

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P.S. : je ne connais M. François Rollin ni des lèvres ni des dents, pas plus que son éditeur, et la publication de cet article est totalement désintéressée.


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