Cosi fan tutte

par Michel Koutouzis
lundi 7 février 2011

Il n’est plus besoin de s’attarder sur l’Odyssée du parti socialiste, avec ses sirènes, ses lestrigones, l’ouvrage de Pénélope tricoté et inéluctablement détricoté tous les jours, au vu et au su d’un peuple dépité. D’autres s’en chargent, à commencer par les prétendants. Dans cette fable homérique contemporaine, Ulysse s’empare des habits de Godo, transformant l’épopée en commedia dell’arte. Avec son accent rocailleux, le regretté Strehler aurait dit : Questa squadra teatrale, la voglio benne

Depuis son Teatro Picolo milanais, ce metteur en scène génial aurait invité Goldoni pour nous raconter la Pénélope de la rue Solferino, l’Eole du FMI, Télémaque de la Saône mais aussi de la Loire, le gréco - parisien Eumée fidèle et reconnaissant per sempre, sans oublier l’ombrageux Antinoüs, châtié pour sa propension à la démesure (de droite) ou Euphitélios et son hubris (vis à vis des médias), placé en embuscade mais qui ne perd rien pour attendre (la fureur de Godo étant immesurable). Ne reste, pour parfaire le teatro bufo qu’à dénicher Ulysse et abandonner Circée à son royaume des Deux Sèvres.

De l’autre côté des Alpes, ou plutôt en plein milieu, chez les Helvètes, Giorgio Strehler avait connu la gloire avec Caligula d’Albert Camus. Il est mort en montant Cosi fan tutte à Milan. Entre-temps, en maître de l’Odéon, il monta l’illusion comique, cette pièce si différente de l’ensemble de l’œuvre cornélienne. Ces trois titres, on peut les associer ou les renverser pour décrire la scène politique parisienne. Cependant, le temps n’est plus à la tragédie métaphysique, ni à l’opéra pétillante et astucieuse de Mozart car où que l’on se place, les bouffonneries surgissent, et, hélas, comme dit le Plaideur : tel qui rit vendredi, dimanche pleurera

Mais pour l’instant, ne boudons pas notre plaisir. Au pays des Lotophages, sans doute par mimétisme de leur péché mignon, celui de l’oubli, et à la manière faussement naïve et offusquée de Luca Ronconi - originaire lui aussi de Tunisie -, notre Arès aux allures d’Harpagon conclut par un voilà pourquoi votre fille est malade, au lieu du cri shakespearien mon royaume pour un cheval, qui sied si bien à la situation d’un ministre pris, bis repetita, la main dans le sac. Je vois d’ici Molière susurrer Ma foi, excusez-moi, c'est que j'avais l'esprit en écharpe, avant de clamer haut et fort à l’encontre des sceptiques médisants  : Parce que le nombre de trois est celui de la perfection, selon Aristote ; et comme je suis parfait, et que toutes mes productions le sont aussi, je suis trois fois docteur… sorry, ministre. 

Si la caravelle socialiste prend l’Odyssée de toutes parts, la nef des fous gouvernementale vogue entre Ionesco et Aristophane, entre l’absurde et le grotesque. Il faudrait, pour être juste, ajouter une pincée d’Arrabal tant cette nef, où qu’elle passe, se déclare la panique. Il y a un côté roi Béranger chez le président, se révoltant contre tout - du chauffage à l’Univers -, des policiers, des prédécesseurs fainéants, de ses propres ministres, du système monétaire mondial, des tempêtes de neige, des voyous des cages d’escalier, des primes financières newyorkaises, de ses conseillers mais aussi des illustres inconnus (à qui il demande de débarrasser le plancher illico) et, bien sûr, des juges. Comme disait La Fontaine : … la candeur du juge, ainsi que son mérite, furent suspects au prince : On cabale, on suscite accusateurs et gens grevés par ses arrêts

Cette propension à trouver des responsables puis des coupables pour enfin de compte se résigner à ce que le froid s’installe et que le soleil se rebelle, transforme son palais mirobolant en un non-lieu, tout disparaît, murs inclus, le roi Béranger, comme dans l’homme qui rapetissait, disparaissant à son tour, prenant la taille d’une tête d’épingle continuant à rouspéter. Dans cette comédie de l’absurde, interprétée quotidiennement au vingt heures, apparaît de plus en plus la caractère d’ Iznogoud, cherchant désespérément un tapis à tirer (sous les pieds du roi – président – Calife), mais la dynamique de la pièce étant ce qu’elle est, il en trouve de moins en moins. Alors il se rabat sur des carpettes élimées du nom de TVA ou de 35 heures, on ne sait jamais, ça peut toujours servir. Faire du neuf avec du vieux, essorer tant qu’il est temps.… Il demande donc à son maître, roi – président - calife, par la voix de Strepsiade : On dit qu’il y a deux raisonnements, le supérieur et l’inférieur. Il paraît que par l’inférieur on gagne les causes injustes. Si donc tu m’apprenais ce raisonnement injuste, de toutes les dettes que j’ai contracté pour toi, je ne paierais un sou à personne… Mais Béranger, qui en veut à tout le monde (sauf à lui même) répond par la voix de Socrate : il te faut (espèce de jeunot écervelé) les Nuées célestes, grandes divinités des hommes oisifs, qui nous suggèrent pensée, parole, intelligence, charlatanisme et loquacité, ruse… Comme quoi, la crise financière racontée par Aristophane (Les nuées) n’est pas si différente des discours actuels. Comme quoi, on peut rire de tout.

Signe des temps modernes, le reste du teatro bufo nous est servi (et bien servi) sous forme de soap opéra. Il y avait dans le passé Dallas, Amour gloire et beauté, Dynastie, aujourd’hui c’est Médiator, H1N1, Betancourt, etc.… S’entrelacent, se suivent, se complètent ces superproductions se voulant réalistes mais s’exhibant hors de l’espace et du temps : Le tout dernier, MAM, met en scène une femme qui clame à perte d’émissions son innocence du genre seduta e abbandonata, oubliant qu’elle a une fonction à assumer. Mais ne dit-elle pas elle même qu’elle n’est (autre signe des temps) qu’une simple intérimaire à mi-temps ? C’est dur la vie du comédien.


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