Coup de gueule : lettre ouverte aux médias, à Raul Reyes, au président Uribe...

par Olivier
mardi 29 août 2006

Lettre ouverte aux médias, à Raul Reyes, au président Uribe et, au fond, à n’importe qui se donnera la peine de la lire, en espérant que cela les réveillera tous un petit peu... Avant-hier soir, vautré sur mon canapé, je regardais le JT de 20 heures sur la 2 quand la journaliste nous a appris, entre deux autres rubriques, que le numéro deux des Farc avait donné des nouvelles d’Ingrid.

La suite, pour ceux qui l’ont vu, vous la connaissez.

On a pu voir Raul Reyes, le numéro 2 des Farc, assis devant un superbe bureau design "jungle", qui nous expliquait goguenard qu’Ingrid allait bien... Enfin aussi bien qu’on puisse aller bien dans des conditions pareilles, dans la jungle... Je ne sais pas si vous savez, mais c’est pas Neuilly, avec tous ces moustiques, les abeilles, les guêpes... Donc, les frelons aussi, sans doute, et puis l’humidité... Vous savez .... Et tout et tout .... Mais soyez rassurés : elle lit beaucoup et elle fume... Bon, bref , comme tout le monde... Tout va donc bien !

Quant à Clara, oui, elle a eu un enfant avec un guérillero... Un Farc très aimable, a-t-il précisé. Ouf !

Je ne l’aurais jamais imaginé, mais je me suis dit qu’il nous laissait entendre que cela aurait tout aussi bien pu être avec un "pas aimable", bref, un salaud...

Il nous a annoncé qu’elle ne pouvait évidemment pas être libérée, puisque lui, il veut un échange, et que les autres, en face, ils changent d’avis comme de chemise.

Il a aussi expliqué qu’une preuve de vie, cela ne servirait à rien, sauf à permettre de se faire repérer, et c’est tout juste s’il ne nous a pas dit que c’était un peu bourgeois, comme demande.

J’ai entendu qu’il nous faisait comprendre que comme preuve de vie, on n’avait qu’à se fier à sa parole. Et évidemment, comme la télé nous a fait gober cela en n’en disant pas plus, presque tout le monde a dû l’avaler. Mes enfants, qui regardaient la télé avec moi, l’avaient gobé tout cru, avant que je "circonstancie" le reportage de la 2. Et pourtant, ils ne sont sans doute pas les moins avisés dans le domaine...

Et puis... ? Eh bien, on est passé aux cuisses musclées de Madonna, qui va nous les faire voir contre la modique somme de 160 euros, prochainement, à Paris Bercy... ou à autre chose, je ne sais plus...

Mes filles m’ont alors dit : " Super, papa, tu dois être satisfait : elle est vivante" !

Je leur ai dit oui et... mais j’étais aussi en rage... mais en rage, si vous saviez... contre la 2, ce soir-là, moi qui suis généralement satisfait de notre chaîne de service public. C’aurait d’ailleurs pu être la 1, la 5 ou la 17... Mais il se fait que moi, c’est la 2 que je regardais. Pour moi, ce reportage était scandaleux, car très incomplet.

Je me demandais pourquoi ils avaient choisi de montrer l’interview de Raul Reyes - ce qui, à part lui faire de la pub, n’apportait selon moi strictement rien - et en plus, pourquoi je devrais lui faire confiance, quand il racontait cela...

Est-ce vraiment un homme auquel je devrais accorder ma confiance ?

Pour moi, ce que j’attends de lui, c’est qu’il fasse quelque chose de vraiment positif, et rien d’autre : libérer l’ensemble des otages qu’il séquestre.

Surtout, et plus fondamentalement : comment se fait-il que la journaliste n’ait précisé à aucun moment, pour éclairer les auditeurs et ainsi ne pas contribuer à la banalisation de cette horreur, que cette organisation, qui est considérée comme terroriste par l’Europe, continue paisiblement à commettre l’un des plus abominables affronts aux droits de l’homme et un crime contre l’humanité, en séquestrant des milliers d’otages dont des enfants, et pour certains depuis plus de huit ans, dans des conditions épouvantables ?

Quelle lutte, quelle idéologie, quelle conception du monde peut bien justifier cela ?

Pour moi : aucune ! Et on ne peut rien bâtir là-dessus.

Moi, ce qui m’intéresse, c’est qu’il soit mis fin tout de suite à ce crime contre l’humanité, par la libération immédiate de toutes ces personnes prises en otage. A la place de ça, on nous montre Raul Reyes qui vient faire son marché... Et rien d’autre...

Les Français, ils doivent se dire, puisqu’on les formate comme ça : " Bon, tout cela est très banal, c’est des histoires politiques... qu’ils se débrouillent entre eux... y vont bien la libérer un jour". Et hop, on passe à autre chose... à la madone Madonna ou à autre chose sans doute, à la vie qui va... Quoi ! Eh bien NON !

Heureusement, ceux qui avaient fait le montage avaient quand même ajouté à leur reportage quelques extraits des camps, mais pour moi c’est très largement insuffisant. Il me semble que si la télé avait, par exemple, sollicité la FICIB, on aurait pu les aider et leur donner quelques idées !

Franchement, poussant mon ressenti un peu plus loin, je me suis mis à imaginer une fiction (une fiction ? ) et je me suis dit ... " Mais ! n’importe quel tortionnaire pourrait donc demain venir à la téloche et nous dire : je sais que vous vous faites un peu de mouron, mais faut pas vous tracasser, ou bien il vous faut allez voir un psy...
Les 150 000 personnes, là, qui sont là détenues dans nos camps, elles vont bien, bon elles bossent dur comme en enfer et vu les misères que nous fait le gouvernement, on peut pas leur donner à manger tous les jours, donc certaines sont un peu maigrichonnes et pas toujours en bonne santé, mais ça c’est la faute des autres - et puis vous savez, on n’est pas riches, alors l’hôtellerie c’est pas le Plazza... la promiscuité et tout... mais bon on s’y fait... mais bon, tout va bien..." et hop, on passe aux nouvelles amours d’Al Pacino ou de toute autre lénifiante affaire. Ainsi va la vie qui va, quoi !

On peut même imaginer ce qu’aurait pu donner un reportage de ce type aux moments les plus noirs de notre histoire...
J’enrage ! Les partisans de la démocratie doivent absolument exiger que les informations soient lisibles, et discernées, pour une information complète des citoyens, mais également pour cultiver le sens du discernement et de la critique, seul ciment d’une démocratie durable. Sinon, on est dans un grand tout où tout se vaut, ce qui est selon moi propice au désengagement et à la montée en puissance des autocrates de tout genre.

Pour moi, le reportage de la 2 participait ce soir-là de cela. Et puis il y a aussi ce glissement sémantique de la journaliste (et de bien d’autres) qui participe, à mon point de vue, de la banalisation ambiante : "Ingrid qu’ils détiennent"... NON !

Ingrid et les autres ne sont pas "simplement" détenus. Dit ainsi, ça paraît presque légal. A Bois d’Arcy ou aux Baumettes, on est détenu, oui, et c’est légal... justifié ça c’est un autre débat ! Ingrid , Clara et les milliers d’autres sont retenus en otages et ils doivent être libérés tout de suite.

Car c’est illégal, et injustifié !
Pour ma part, ce soir-là, j’ai entendu l’un des ravisseurs d’Ingrid nous affirmer qu’Ingrid était en vie et qu’elle allait aussi bien que possible.

J’en pense quoi ?

Franchement, je n’en pense rien, j’ai juste entendu !

Tout ce que je sais, c’est qu’Ingrid et Clara ont maintenant passé plus de quatre ans et demi dans des conditions inhumaines, sans le moindre contact avec leurs familles, et qu’elle ne sont pas seules... que des milliers de Colombiens et de Colombiennes se lèvent chaque matin en se demandant pourquoi, quand... et si.... elles vont enfin revoir leur fils, leur fille, leur soeur, leur mari ou leur père...

Tout ce que je sais, c’est que cela fait plus de quatre ans que le président Uribe, la main sur le coeur, nous assure qu’il fait tout ce qu’il peut... mais vous savez.... avec tous ces terroristes.... et que Raul Reyes, Marulanda et les autres grands chefs de la guérilla nous font à peu près le même discours, eux aussi la main sur le coeur. Probablement que la seule différence, c’est qu’eux c’est la main gauche, tandis que le président, c’est la main droite !
Alors oui, j’enrage !

Car les otages doivent être libérés, et vite. Cette abomination, cette honte pour l’humanité ne peut plus durer.

Alors que les Farc les libèrent, ou que le processus conduisant à l’échange soit accéléré ! Si la solution c’est l’échange, qu’est-ce qu’ils attendent pour se parler ?

Combien de temps vont-ils continuer à laisser Ingrid, Clara et les autres pourrir dans la jungle parce que l’un veut qu’on démilitarise deux villages, et que l’autre a peur que cela ne plaise pas à ses généraux... ou je ne sais quoi !

Que les pays engagés dans le processus ou d’autres redoublent leurs efforts car cette injure à l’humanité n’a que trop duré !

Et nous, quand allons-nous enfin nous réveiller ?

Ce soir-là, sur la 2, alors que mes enfants me disaient : " C’est bon, tout va bien se passer "...

Je me suis dit alors que l’heure était plus que jamais à la mobilisation.

Plus fort, plus nombreux, nous devons nous engager pour exiger la libération des otages colombiens : c’est un impératif urgent !

" Nous ne serons libres que lorsqu’ils le seront ... ! ".....Voilà, ça bouillonnait dans ma marmite, et c’est sorti !

Bruno, téléspectateur moyen et un des responsables de la FICIB

La Ficib a décidé de publier à chaud cette réaction de Bruno, car après débat il est apparu que cette lettre, qui invitait au surcroît de mobilisation à tous les niveaux, traduisait bien ce que beaucoup d’entre nous ressentaient.

Voir le texte original sur : www.betancourt.info
Voir la vidéo sur www.betancourt.info


Lire l'article complet, et les commentaires