Courrier non intime à notre Président
par alinea
vendredi 5 septembre 2014


Il semble que le moment soit propice à ce genre, plus ou moins littéraire ; un courrier a cet avantage de pouvoir dire les choses plus simplement. Bien entendu, je n'attends pas que celui-ci soit lu par d'autres que les lecteurs de ce site !
Il semble que Gaza soit dans les oubliettes, que la Libye soit sortie de nos capacités à commenter, que l'Ukraine patine, en espérant le mieux ou en craignant le pire : la « une » aujourd'hui est la sortie du livre de votre ex-compagne !
J'écris en mon nom mais sûrement aussi au nom de toutes les femmes dignes, féministes par nature et non pas mode, mais aussi pour celles d'entre elles qui , comme moi, ont voté pour vous, ou plutôt contre l'autre.
Comme je militais ailleurs, je n'ai rien suivi de votre campagne électorale, donc n'ai pas été amenée à croire à vos promesses. Mais assez instruite des courants PS, j'ai fait le déplacement pour voter Aubry aux primaires de votre parti. Je fus de celles qui se sont réjouies de l'élimination de Strauss-Kahn, tout en déplorant le sort médiatique qui lui fut fait par la suite . Aubry, pour moi, était pire qu'un pis-aller : j'avais détesté sa politique de l'emploi, emploi de services, pour occuper le péquin à servir les nantis, bien aidés pour ce faire.
Votre politique de soumission aux diktats états-uniens, aux diktats de l'ultra libéralisme, aux desiderata de Merkel m'est abjecte. Ce n'est pas que j'aie, vissée au coeur, un nationalisme viscéral qui me ferait désirer une politique vantant la grandeur de la France, celle-ci s'étant appuyée trop longtemps sur le colonialisme que j'abhorre. Mais entre une grandeur conquérante et l'abandon de sa souveraineté- que j'aimerais voir aux mains du peuple-, il y a un gouffre.
Ainsi, je fais mon possible pour contrer votre politique et espère en mes concitoyens pour que nous sortions de cette nasse insupportable, qui nous étouffe, qui nous humilie et que vous tissez.
Il y a mille choses à faire et je ne me risquerai pas à vous les suggérer, convaincue que vous les connaissez mieux que moi. Je ferai une petite exception à propos de votre politique anti russe. Vous n'êtes pas vent debout contre elle, mais vous êtes lié à d'autres sphères ; c'est tout notre drame. Ainsi, vous voit-on balancer, tergiverser, ménager l'un, faire prendre patience à l'autre très patient, admirable de conscience et de responsabilité.
Vous êtes assez mystérieux pour que nous autres n'ayons même pas idée de là où vous nous conduisez ; paradoxe de la démocratie qui, je l'ai entendu dire, veut se vendre à n'importe quel prix, dans les contrées que vos affidés médiatiques nous montrent comme barbares. Malgré toutes les précautions prises, la vérité filtre, ça et là, et nous sommes de plus en plus nombreux à la connaître.
Vous régnez en maître sur un peuple qui, à droite comme à gauche, vous est hostile, et mon cœur de femme ne compatit guère à vos difficultés !!
Et voilà que vos histoires de cœur vous rattrapent, pour la troisième fois ; la première vous n'aviez qu'un second rôle et personne, je pense, ne vous a vraiment remarqué. La deuxième, comme votre dulcinée n'avait pas le vent en poupe et vous-même n'étiez pas encore en dessous de la barre des quinze pour cent d'opinions favorables, vous avez gagné certaines sympathies à scooter, quelques compassions pour vous être coltiné une femme forte, une mégère dont, semble-t-il, vous n'aviez pas mesuré la nuisance. Nous nous souvenons tous des baisers d'elle exigés sur la scène de la Bastille, le soir de votre élection, et de votre refus d'y céder, avec toute la lâcheté dont vous êtes capable, mais, et ce n'est pas une excuse, dont 99% pour cent des hommes sont capables.
Alors, si je comprends bien le désir de vengeance de la délaissée, si le camouflet aux yeux du monde entier offert, ne fut pas chose facile à supporter, je n'approuve pas cette absence de dignité, de grandeur, cette manière de céder au plus facile pour une ex de président, pour une journaliste : nous mettre dans la confidence.
Cette femme n'a aucun sens de l'Histoire, n'a pas pensé un seul instant aux regards ahuris que porteront sur son acte les enfants de 2120. Vous me direz, vous non plus ne pensez pas trop à la postérité, à l'image que vous laisserez dans les livres d'Histoire que nos descendants étudieront !! Même génération d'enfants nantis, de bons élèves élevés au lait du pouvoir ! Dignes de la caste supérieure décadente, au fond, pas de surprise. Mais il n'est pas pour autant toujours facile d'acquiescer.
N'ayant, au fond, peu de choses à préserver, de respect, ou de tolérance pour l'une comme pour vous-même, je pourrais, comme beaucoup, me réjouir du tort que l'on vous fait pour compenser le mal que vous nous faîtes.
Mais la nature humaine est plus complexe qui abrite des valeurs indépassables, quels que soient les acteurs ou leur scène.
Je ne pense pas par ailleurs que la vie privée soit sacrée ; on la protège ou pas, c'est une question intime. Mais, parce que la vengeance, telle qu'elle se livre en votre cas, est chose éphémère et inutile, parce qu'elle s'abaisse à un niveau de commerce ignoble, parce que je me doute – je ne lirai jamais ce livre- qu'aucune transcendance philosophique, littéraire, stylistique ne rapporte cette expérience à une donnée universelle, qu'elle puisse donc par ce biais être instructive de la nature humaine, dépasser le cadre du « je » pour atteindre celui du « nous », bref, pour apporter au patrimoine culturel de notre langue, sa petite part, je dénonce cette publication comme étant l'étalage d'un « moi », qui profite de n'être pas anonyme pour se faire distribuer, avec une complaisance toute intéressée, par un éditeur et toute la chaîne commerciale induite. Je dénonce la petitesse de cette intention, sans grand risque.
Je rappellerai un livre du même tonneau, mais écrit par une femme de lettre, qui s'est laissé embarquer dans ce carrosse doré d'une mode qui fait la part belle aux sombritudes élégiaques d'une caste de nanties qui semblent vouloir nous dire : ne nous admirez plus, nous sommes décadentes et indignes. Mais cette femme de talent, et partout sur les ondes , on ne l'entend plus.(1)
La femme se venge que voulez-vous, elle qui fut si longtemps magouilleuse, calculatrice, empoisonneuse des cours de France et de Navarre, elle qui brilla par sa méchante intelligence calculatrice et qui préféra toujours son fils à son roi. Comme la femme ordinaire qui change son vieil amour en or, alchimie réussie par la Cour, cette fois.
Valérie ne me rencontrera pas, ni bien sûr celles qui pensent comme moi ; là où elle est, on la convainc qu'elle est dans son bon droit.
Une question bête que l'on peut se poser : la traîtrise d'un chef est-elle plus douloureuse que la traîtrise ordinaire ? La douleur d'une femme a-t-elle des degrés qui progressent avec la hauteur des marches gravies ? Peut-être, mais je sais surtout qu'une femme humble sait qu'on ne l'écoutera pas, elle se tait pour ne pas souffrir davantage de l'indifférence ; tandis que dans les palais, dans tous les pas qu'il faut y faire d'une salle de bains au lit, dans toutes les oreilles complaisantes qui se tendent et vous flattent, la tentation est grande de se donner à plaindre, mais de se montrer grande, à la mesure de l'autre que l'on rabaisse.
Les femmes s'y retrouveront, vengées de la pusillanimité de leur mâles délaissés ; les hommes qui n'ont jamais eu l'envie ni les moyens de tromper leur légitime, se réjouiront de cette punition au monde vendue. Mais quelle image ont donc d'elles ces femmes ? Est-ce là le féminisme ? Cette dépendance avouée, même cruellement, à l'homme ? Cette opportunité de baise qui hisse, hissez haut ? Aucun orgueil aucun, aucune distance qui considère la tempérance comme un no man's land sauveur. Aucun recul qui protégerait de l'aveu de l'éternelle soumission au protocole que l'on conjugue en douce à soumission au lit ; le temps d'un soupir. Femme, part d'ombre, éternelle alcôve qui n'en peut plus de souffrir ! Femme virile et pourtant dépendante, plus vulnérable, qui refuse son rôle de potiche, que si elle l'acceptait ; rien de bien émouvant. On se doute qu'alentour, son monde était mené à la baguette ! Car elle s'éclabousse elle-même d'avoir vécu avec un homme qu'elle décrit si méprisable et elle avoue, par son acte, avoir désiré faire durer ce déplaisir, juste pour le faste des ors offerts en retour. Ainsi, c'était donc aussi du gagnant/gagnant entre vous ?
Les femmes jadis avaient le pouvoir des coulisses, celui de l'éminence grise conseillère et froide qui compensait souvent la molle nature de l'héritier en titre ; nous avions tout ici pour faire le même tableau, sauf que les temps changent et si vous fûtes enclin à passer aux coulisses vos amours secrètes, elle fut encline, elle, à vouloir jouir du pouvoir sous le phare de la célébrité. Je vois qu'elle a dû souffrir de se contenter d'un second rôle lunaire auquel elle consentit, et d'autant plus d'en être jetée par la petite porte des domestiques.
Et puis, il y a ceux qui s'en foutent, dont je ferais partie si la femme en moi ne se blessait pas aussi facilement de ces bassesses, faites en mon nom.
Alors, Président, je ne vous écouterai pas faire bonne figure comme je vous ai écouté et vu le faire au cours d'une conférence de presse si proche, en temps, de la découverte de vos sorties nocturnes en scooter ! Je veux vous confirmer mon opposition politique mais mon soutien tout virtuel contre ce que je pense être une trahison pire que celle subie, même si je sais que les abus de pouvoir, les dérobades sont probablement aussi vos armes, comme celles de tous vos amis. Car il se trouve que vous êtes encore notre Président. Et que votre honte, si honte il y a aux yeux du monde, nous submerge, ajoutée à une autre plus considérable, celle de votre politique.
La dignité, la force féminine se passent de ces passes d'armes. Mais il y a quelque temps que nous avons compris que les pouvoirs tout confondus se vautrent dans la décadence et la vileté ; sûrement depuis que l'honneur a déserté les cours et les palais, et n'existe plus guère que chez les humbles.
Néanmoins, je ne hurlerai pas avec les voraces qui ne sont à mes yeux pas plus nobles que vous.
(1) Je pense à Marcela Iacub.