Covid-9 : Les Députés vont-ils voter un « traçage numérique » aussi imprécis ?

par Daniel MARTIN
lundi 27 avril 2020

Le gouvernement a fini par céder à l’Assemblée nationale. Il y aura bien un vote à l’issue du débat prévu le 28 avril sur le traçage numérique. Le Sénat devrait suivre le lendemain 29 avril. Sauf que l’application numérique pour laquelle les députés vont devoir se prononcer ne sera pas prête pour le vote des 28 et 29 Avril…

Une application sur smartphone pour savoir si l’on a côtoyé une personne testée positive au Covid-19, tel est le projet de traçage numérique nommé : « Stop Covid ».

Plus concrètement, ce projet de de « traçage ou tracking », d’après le secrétaire d’Etat au Numérique Cédric O devrait permettre de « limiter la diffusion du virus Covid-19 en identifiant des chaînes de transmission. L’idée serait de prévenir les personnes qui ont été en contact avec un malade testé positif afin de pouvoir se faire tester soi-même et si besoin d’être pris en charge très tôt, ou bien de se confiner ». Le ministre a également précisé que pour rendre cette application possible, le gouvernement compte utiliser le système du Bluetooth. Il a aussi indiqué « L'application est installée volontairement ; lorsque deux personnes se croisent pendant une certaine durée, et à une distance rapprochée, le téléphone portable de l’un enregistre les références de l’autre dans son historique. Si un cas positif se déclare, ceux qui auront été en contact avec cette personne sont prévenus de manière automatique ».

Toutefois, on sait encore peu de choses sur cette future application de traçage numérique, si ce n'est qu'elle suscite déjà de vives polémiques. Son efficacité dépendra toutefois de son adoption par une large majorité de la population. D'après une étude de l'université d'Oxford, il est nécessaire qu'entre 60 et 75% de la population la possède pour qu'elle soit utile.

Il est évident que ce système de « traçage numérique imaginé pour le projet « Stop Covid » pose plusieurs questions, notamment autour des libertés individuelles et de la vie privée. Dans l’absolu et au-delà des paroles rassurantes, voire des mesures de protection prises, rien ne pourra garantir un anonymat véritable ni l'absence de détournement de la technologie. Par exemple, comment peut-on croire si on vous dit qu’aujourd’hui avec votre application sur smarphone de l’attestation de déplacement dérogatoire vous n’êtes pas fiché, alors que si vous êtes en infraction plusieurs fois comment peut-on le savoir pour appliquer un taux plus élevé de l’amende ? d’applications en applications numériques, fussent-elles justifiées pour une cause noble, n’ouvre t-on pas « une boite à pandore » aux effets liberticides ?…

Craintes d'une "surveillance" massive

Stop Covid "ne géolocalisera pas les personnes", martèle Cédric O, dont l'application numérique va se baser sur le Bluetooth. Une technologie sans fil moins intrusive permettant d'identifier les personnes croisées, évaluant la distance entre chaque sujet en fonction de l'intensité du signal capté. Ainsi, seules les personnes ayant été en contact rapproché avec un malade du Covid-19 seront prévenues par l'application. Les partisans du projet précisent que le libre consentement est un élément juridique indispensable dès sa mise en service.
Mais ces garanties n'effacent pas les craintes de certains militants des libertés numériques. « Derrière les promesses d’une application décentralisée et autonome, il faut toujours redouter les terribles habitudes de l’État en matière de centralisation et de surveillance », redoute Arthur Messaud, juriste à « la Quadrature du net ». 

On ne peut, par ailleurs, ignorer que malgré les meilleurs systèmes de sécurité numérique au monde, pour toute application des risques de cybersécurité existent. Le journal « l’Usine Nouvelle » en liste trois : le piratage de la base centrale de données où des information sont stockées, d'éventuelles failles de sécurité, de fausses applications copiant la version officielle.

Ce qui est est pour le moins surprenant, l’application numérique, pour laquelle les parlementaires vont devoir se prononcer, ne sera pas prête pour le vote des 28 et 29 Avril...

Incroyable ! les parlementaires vont devoir se prononcer sur une application numérique très controversée par les risques qu’elle fait courir aux libertés individuelles, alors qu’elle ne devrait pas être prête pour le 28 ou 29 avril, date des débats et votes parlementaires. C’est le ministre Cédric O en charge du dossier qui l’a précisé. Dans ces conditions, ne s’agirait-il que d’un vote indicatif ? Si tel était le cas et que le gouvernement passe outre, si le vote indicatif ne lui était pas favorable, ce serait une remise en cause gravissime de la démocratie…

Ce qui est déjà grave, c’est que les députés et sénateurs vont débattre et voter seulement sur le principe d’une application numérique censée prévenir les risques du virus Covid-19 sans connaître tous les détails de ses données numériques et de ses clés de sécurité, ce qui ne garantit pas, dès lors, une exploitation ultérieure des données dans un but peu louable… Ainsi, les parlementaires qui se prononceront en faveur de cette application numérique sans en connaître les détails et avoir des garanties suffisante sur sa fiabilité, vont mettre le doigt dans un engrenage liberticide qui ne peut qu’absorber totalement la société en générant progressivement une dictature par le numérique.

Si la nouvelle révolution numérique offre des avantages incontestables, notamment grâce au travail à distance pour certains secteurs d’activités, avec la réduction des mobilités domicile-travail, mais aussi pour d’autres actes de la vie quotidienne, y compris pour la santé, elle s’accompagnant de nombreux inconvénients pour l’écologie et l’économie. Mais elle peut aussi être dévoyée progressivement vers des rivages liberticides, notamment, via certains usages, dont le « traçage » individuel. Il sera d’autant mieux accepté par la population, qu’il sera justifié au nom d’un impératif majeur que sont la santé et la vie de nos concitoyens, mais aussi par d’autres arguments.

Est-ce que nous voulons vivre dans une société où l’État sait en permanence qui fait quoi et se trouve où  ?

Attention ! Faut-il rappeler qu’avec la nouvelle révolution des « intelligences artificielles », nous sommes entrés, à partir de la fin des années 2000, dans ce que les experts du forum économique mondial de Davos nomment 4eme révolution industrielle. Aujourd’hui, par nos téléphones portables et les réseaux sociaux d’internet ont sait déjà presque tout de nous et cela ne va pas cesser, mais empirer et à bien des égards de rappeler dans un avenir proche « 1984 de Georges Orwell ». Avant de vous prononcer Mmes et Mrs. les députés Mardi 28 Avril, réfléchissez bien et pensez aux effets liberticides que pourrait avoir votre vote en faveur de cette application numérique imprécise, censée prévenir les risques de propagation du Covid-19, mais dont des exploitations ultérieures pourraient servir à d’autres fins, y compris « criminogènes »

Comme le redoute Mr. Didier Barthès porte parole de l’association démographie responsable ( https://www.demographie-responsable.org/ ) dans un article très réaliste sur le blog Economie durable intitulé « Coronavirus, le plus court chemin de 2020 à 1984 » il déclare notamment  : « L’urgence s’est refermée comme un piège implacable sur la plus évidente et la plus simple des libertés, celle d’aller et venir sans en rendre compte, en tout anonymat. Sous le poids d’une priorité supérieure, ce socle de nos démocraties a volé en éclat en deux jours seulement, du matin d’un dimanche où l’on nous demandait d’aller voter au matin du mardi où mettre le nez dehors devenait un délit ». Et de rajouter un peu plus loin : « Demain sans doute, sauf à envisager un effondrement général des sociétés, de nouvelles technologies rendront la surveillance toujours plus facile et les manquements toujours plus aisés à repérer et sanctionner.   ». ou encore : « L’hypothèse qu’un jour chaque humain se voit implanter une puce déclinant son identité et moult renseignements n’est plus interdite, certains y adhèrent. Tous les déplacements pourront alors être surveillés, et enregistrés à jamais. Il ne sera même pas nécessaire de l’imposer, il suffira simplement de rendre impossible la vie à ceux qui n’en seront pas munis, comme il est difficile désormais de vivre sans internet, sans carte bancaire, sans portable ». A lire la suite : http://economiedurable.over-blog.com/2020/03/coronavirus-le-plus-court-chemin-de-2020-a-1984.html

Ce projet Gouvernemental de traçage numérique ne masque-t-il pas un déficit chronique de la recherche fondamentale ?

Des scientifiques expliquent que trop souvent, l'attention accrue envers la recherche et l'investissement générée par une nouvelle épidémie décline rapidement une fois que l'épidémie est passée. Dès lors, des recherches, notamment des recherches fondamentales sont mises de côté ou perdent leurs crédits, alors que ce travail pourrait être précieux pour accélérer la réponse à de futures épidémies.

Alors que les chercheurs et les scientifiques estiment qu’on a baissé la garde, au moment où l’émergence des virus est plutôt dans une phase continue d'accélération, et elle va être de plus en plus accélérée et des virus de plus en plus puissants et mortels, du fait du changement climatique, de la perte de biodiversité, de la déforestation et de la surpopulation.

Bruno Canard, spécialiste des virus au CNRS (directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille) observe que certains programmes de recherche avaient bien été lancés, notamment avec le soutien de l'Union européenne, « puis ça a diminué, il y a eu des changements de politiques, la crise financière de 2008... », regrette-t-il, décrivant « un monde scientifique sous perfusion financière ».

Pour ces spécialistes, si la recherche sur les coronavirus avait continué de façon assidue depuis 2002, on aurait peut-être aujourd'hui un médicament capable de s'attaquer à la maladie du Covid19.

Bruno Canard note également « Il y a bien des "molécules en essai contre le Covid19, issus de cette recherche fondamentale sur le Sras et d'autres virus, comme le remdesivir, mais il y en a peu et il aurait pu y en avoir beaucoup plus ». toujours selon le chercheur « certes, les trois coronavirus mortels ne sont pas identiques, mais suffisamment similaires. Le nouveau est même le frère jumeau de celui de 2003 ».

Une application numérique « Stop Covid » ne doit pas masquer la réalité

Pour développer un tout nouveau médicament certains font observer que cela peut coûter 250 à 300 millions d'euros. Mais l'argent n'est pas le seul problème, tempère Bruno Canard, selon lui : « Pour développer une molécule, il faut des années, il faut faire des essais cliniques et pour ça il faut des malades, et des malades il n'y en a pas entre les crises ». A lire également :( https://www.frm.org/coronavirus-virus-emergents/itw-coronavirus-bruno-canard ).

Faudrait-il espérer que cette fois la leçon soit retenu, car ce n’est pas l’investissement dans une quelconque politique de traçage numérique aux contours liberticides qui pourra compenser les déficits de recherche fondamentale ou se substituera à elle… Sans oublier la prévention, par du matériel adapté (masques, blouses, gants), dont de gros efforts d’approvisionnement doivent être fait et poursuivis, y compris pour le personnel médical. Ce personnel médical qui se plaint parfois d’un déficit dans ce domaine, alors qu’il est au premier rang pour être victime et vecteur du virus...

N’y aurait-il que le traçage numérique comme seule prévention efficace à la propagation du virus Covid-19 ?

Aujourd’hui, c’est l’utilisation du Bluetooth qui a le vent en poupe. L’avantage serait qu’il ne localise pas directement le téléphone de quelqu’un, mais qu’il détecte et enregistre ses contacts rapprochés avec d’autres personnes ayant activé, elles aussi, leur Bluetooth. Ce sont des applications dites de « suivi de contacts ». Reste que la technologie Bluetooth, qui n’est pas conçue pour mesurer les distances, pose encore question, notamment sur sa capacité à atteindre le degré de précision nécessaire. Le secrétaire d’État au numérique, Cédric O le précisait lors d’une audition devant la commission des lois du Sénat tenue par visioconférence le 14 avril dernier. Il indiquait également que Inria est en train de mener des tests à ce sujet, dont on ignore encore l’issue.

Face à de telles incertitudes et des risques d’atteinte à la liberté, ce projet de traçage numérique est critiqué jusque dans les rangs de la majorité pour ses risques concernant la vie privée de ses utilisateurs. Même s'il est présenté comme ne dérogeant pas à la réglementation sur les données personnelles...

Pourquoi ne pas s’inspirer des attestations de déplacement dérogatoire sur papier en faisant établir une « fiche santé Covid-19 » par le service médical pour chaque citoyen qui le souhaiterait ?

Si l’on peut comprendre et admettre qu’il faut prendre les mesure qui soient les plus utiles et efficaces pour éviter la propagation du virus Covid-19, on ne peut accepter le moindre glissement vers des dispositifs liberticides. D’autant que l’application du traçage numérique laisse des zones d’ombres, si on se réfère à la déclaration de Cedric O, secrétaire d'Etat au Numérique, dans un entretien au Journal du Dimancde (JDD) il n’hésite pas à affirmer que sa mise au point pour le 11 mai constitue un défi… Alors que les députés vont voter le principe d’une application complexe mardi 28 Avril qui n’est pas encore au point... 

Quand on sait que certains dispositifs ont fait preuve d’efficacité et de sécurité, par exemple le dossier médical, ne serait-il pas plus judicieux d’inviter chaque citoyen à se faire établir par son médecin une fiche « santé Covid-19 » après avoir subi un test de dépistage. En cas de résultat positif, soit le patient est confiné, soit il subit des examens complémentaire. Chaque citoyen devrait porter sur lui sa fiche « santé Covid-19 », lors de ses déplacements.

Etant une obligation dans le cadre d’un calendrier le moins espacé possible, les dépenses de visite médicale seraient prise en charge à 100 %. Certes, cela ferait une dépense supplémentaire assez lourde au budget de l’État, mais la propagation du virus, son impact économique des plus désastreux et des drames qui l’accompagnent coûtent bien plus cher, si tant est qu’ils puissent être quantifiables.

Pour conclure

Alors que l’on sait encore peu de choses sur cette future application de traçage numérique « Stop Covid », dont le ministre en charge de ce dossier affirme que pour être opérationnelle le 11 Mai cela relève d’un défis, les députés vont se prononcer Mardi sur le principe d’une application numérique aux contours très imprécis. Certes, un vote indicatif comme le souhaite le gouvernement, mais comment peut-on imaginer que si ce vote lui était défavorable, il pourrait passer outre, sauf à faire un pas de plus vers un abîme que l’on ose imaginer...

 


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