CPE : « Soyons pragmatiques »

par koz
lundi 13 mars 2006

Etait-ce voulu ou non ? L’ensemble des reportages de TF1 précédant l’intervention de Dominique de Villepin m’ont donné une furieuse envie de soutenir plus fortement ce CPE, bien que, si je l’estime davantage que le CNE, un contrat unique m’eût semblé préférable. Voir ces "jeunes" lycéens brailler une opposition très formatée, les parodies de démocratie des assemblées générales étudiantes - dans lesquelles n’entrent que ceux qui sont appelés à voter la décision finale - provoquent un certain agacement en mon âme sensible. Entendre Strauss-Kahn et Fabius réclamer "solennellement" le retrait du CPE, sans bien sûr que l’on sache ce qu’ils proposeraient qu’ils n’aient déjà tenté lorsqu’ils étaient ministres, a tendance également à porter mon tempérament paisible et aimable à ébullition.

C’est donc "en condition" que j’ai abordé l’entretien Chazal-Villepin.

Comme je l’indiquais précédemment, certains envisageaient que des aménagements soient apportés au CPE. Il est apparu clairement dès le début de l’intervention villepinienne qu’il ne pourrait être question que d’aménagements. Comment aurait-il pu, en tout état de cause, en être autrement ? Les appels au retrait de ce week-end ne pouvaient être qu’une manière de faire monter la pression, mais en aucun cas ceux qui les ont prononcés ne se leurraient sur la réponse de Villepin.

Dès ses premiers mots, Villepin a repris ceux qu’il avait pu employer à l’Assemblée lors de la première journée de manifestations : "Je suis à l’écoute de ceux qui s’expriment... et de ceux qui ne s’expriment pas". Bref : la rue n’est pas le peuple. Il n’est pas inutile de le rappeler. Certes, un sondage a montré une certaine opposition de l’opinion publique au CPE. Mais je connais aussi un sondage selon lequel les idées d’extrême droite s’imposaient dans l’opinion, un autre selon lequel Mitterrand serait le meilleur président de la Ve... De surcroît, la rue n’est pas le peuple, et le peuple peut se tromper - chacun trouvera en lui-même des exemples de consultations populaires dont le résultat montre que la vérité ne relève pas nécessairement du plus grand nombre.

Surtout, Dominique de Villepin a introduit une autre variable : même au sein du "peuple de gauche", quel est celui qui défile ? Car il a affirmé s’adresser "à ceux qui sont en marge du marché", "à ceux auxquels on ne propose rien"...

Sur ces entrefaits, le Premier a avancé quelques aménagements, quelques "garanties". Le fait est que j’aurais du mal à contredire ceux qui affirmeront que ces "garanties" sont du vent. Dominique de Villepin m’a d’ailleurs paru particulièrement peu convaincant sur cette partie de son intervention, entre portes ouvertes et, à dire vrai, poudre aux yeux. Une belle porte ouverte fut enfoncée lorsque Villepin en vint à parler de cette "période de deux ans, puisque c’est cette période au fond qui fait peur". Merci Dominique... Nous avions remarqué qu’après cette période, le CPE devenait un CDI classique. Je doute que qui que ce soit se laisse "abuser" par ce qui ressemble à une tentative de relativiser l’importance de cette période de deux ans. L’enjeu est là, nulle part ailleurs, c’est une évidence.

DomDom m’a même un peu agacé en affirmant que le CPE ne remplacerait pas le CDI classique : "Les jeunes qui sortent de leur école avec une bonne formation et qui ont tout de suite un CDI classique continueront à l’avoir". C’est faux, et je pense que chacun le perçoit clairement. Pour des raisons d’opportunité, Villepin ne l’affirme pas nettement mais je connais, pas plus loin que dans ma propre famille, un jeune on ne peut plus qualifié et diplômé qui fut embauché en CDD. Dans son cas, il n’est pas certain que le CPE aurait été utilisé s’il avait existé. Mais il me paraît évident que nombre d’entreprises préfèreront recourir au CPE alors qu’elles auraient peut-être proposé un CDI classique. C’est un effet pervers. Mais quelle mesure n’en produit pas ?

Venons-en aux garanties proprement dites :

Je crains qu’après avoir lu que Dominique de Villepin a proposé des garanties supplémentaires, certains ne se sentent floués en découvrant leur nature.

Dominique de Villepin m’a paru particulièrement décalé, pour ne pas dire "mauvais", lorsqu’il a affirmé vouloir "ouvrir le dialogue avec les partenaires sociaux sur les moyens de réduire la précarité dans l’emploi". Cette simple phrase m’a semblé en contredire tant d’autres... Vouloir ouvrir le dialogue, c’est reconnaître qu’il ne l’était pas. Quant à "ouvrir le dialogue sur les moyens de réduire la précarité", cela me paraît doublement contradictoire : cela va à l’encontre de l’argument développé selon lequel le CPE est un moyen de réduire la précarité et puis, alors que l’on ne parle que de précarité depuis quelques semaines, on a envie de dire en entendant cela : "Il serait temps !"

Mais Villepin est un diesel. Il lui a fallu quelque temps pour s’échauffer et, surtout, passer ce cap difficile qui consistait à parler de garanties nouvelles sans en apporter.

Villepin a rappelé quelques élément nécessaires en prenant l’exemple d’un jeune licencié au bout de six mois : il bénéficie d’un préavis d’un mois (contrairement à l’idée fausse complaisamment répandue selon laquelle le salarié est virable du jour au lendemain), d’une indemnité de rupture d’1/2 mois de salaire, et d’indemnités chômage durant sept mois...

Il a aussi opportunément insisté sur le sort des jeunes dans les banlieues. Car, en réponse à la question précédemment posée, il est un fait : ce ne sont pas les jeunes des banlieues qui défilent. Bien sûr, il serait un peu rapide de les enrôler sous la bannière du CPE, mais que les opposants ne le fassent pas davantage ! Personne ne parle en leur nom. Or, si, contrairement à Villepin, je pense que le CPE remplacera dans nombre de cas le CDI classique, j’ai envie de renvoyer les opposants au CPE à leur solidarité ! Vous êtes solidaires, vous êtes socialistes (et plus selon affinités)  ? Alors, partagez un peu de votre stabilité ! Parce que certains d’entre vous peuvent caresser l’espoir de bénéficier d’un CDI classique d’entrée de jeu, vous ignorez le sort de ceux qui, à 40%, sont exclus du jeu. Oui, bien sûr, il s’agira peut-être de plus de précarité pour ceux qui auraient bénéficié du CDI actuel (combien, d’ailleurs ?) mais pour les autres, le CPE sera toujours mieux que le chômage. La solidarité n’est jamais très plaisante du côté du riche - riche d’argent, ou de sécurité - ce n’est pourtant que de sa part que le partage peut venir.

Il a montré son volontarisme en posant notamment cette question : "Sommes-nous capables de prendre les mesures nécessaires, de les voter, de les tenir ?" S’agit-il de faiblir parce qu’une mesure n’est pas populaire, parce qu’une mesure heurte, parce qu’elle change ?

"Comment peut-on envisager que la France garde sa place, son modèle social, si nous ne sommes pas capables de prévoir les adaptations nécessaires ? Pas pour le plaisir, pour sauvegarder ce modèle social, parce que nous y tenons"

Peut-être Villepin aurait-il dû, compte tenu de la semaine qui s’annonce, cesser, à un moment donné, de s’adresser à Claire Chazal et regarder la caméra, pour parler aux Français, à chacun d’entre eux. En revanche, il a su la couper pour insister : "Mais, Claire Chazal, l’épreuve personnelle, elle ne compte pas !".

"Pourquoi je me bats ? Parce que j’aime la France, j’aime les Français, je veux que notre pays avance. Alors sortons de la confusion, des malentendus, évitons les amalgames, évitons de personnaliser le débat"

Il a su rappeler que lors de son discours de politique générale, il avait annoncé vouloir mener un "combat sans précédent". Et les combats ne sont guère populaires. La France a besoin de constance, de détermination, elle a besoin de réformes et non d’un conservatisme social qui s’applique à maintenir un système qui n’a pas empêché que 40% de jeunes soient au chômage dans nos banlieues.


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