Créationnisme et dessein intelligent : échec total à l’Est

par Philippe Vassé
lundi 30 juillet 2007

Faisant suite au brillant article de Daniel Riot sur les tentatives d’infiltration des créationnistes et de leurs cousins, les partisans du « dessein intelligent », au sein des enseignements publics en Europe, il me paraît souhaitable d’informer le public francophone sur l’échec percutant de ces théories antiscientifiques en Asie et en Russie. Pour mesurer la vitalité de la théorie de l’évolution dans le vaste monde...

Depuis plusieurs décennies, les adeptes du créationnisme, ses soutiens discrets évoquant la "tolérance" à l’égard de cette théorie fondamentaliste chrétienne américaine, voire les partisans du "dessein intelligent", version "technique" de l’idée originale créationniste, ont essayé d’infiltrer aussi bien les sciences que les systèmes publics d’enseignement des continents africain et asiatique, ainsi que celui de la Russie.

Cet article n’abordera pas la situation de ce point de vue en Afrique, bien que les rapports sur le sujet marquent aussi, sur ce continent, un refus collectif massif des scientifiques de se laisser abuser par ces diverses théories.

Il se concentrera sur les causes de l’échec de ces thèses antiscientifiques en Asie - continent qui connaît le développement le plus vigoureux et rapide de nouveaux scientifiques au monde - et en Russie .

Des thèses "contradictoires" aux cultures locales d’Asie

Si les diverses approches antiscientifiques issues des milieux chrétiens fondamentalistes nord-américains, qui menacent aujourd’hui même l’Europe, ont échoué en Asie - d’une manière irrévocable, du Pakistan au Japon, en passant par la Chine et l’Inde -, la cause première en revient à l’opposition de la nature même de ces thèses à celle des cultures de ces populations.

De manière générale, que ce soit dans les pays à majorité musulmane ou bien dans les États dont les populations sont imprégnées par des philosophies de vie personnelle (bouddhisme, hindouisme, shintoïsme, taoïsme), les cultures des populations d’Asie sont par essence contradictoires avec les orientations que portent le créationnisme et le "dessein intelligent".

Dans les États à majorité musulmane, il est évident que tout ce qui est "marqué" comme venant des États-Unis et, a fortiori, de concepts "chrétiens", est voué à un rejet d’office, quasi automatique.

Dans les milieux académiques et scientifiques d’Asie centrale et orientale, la théorie darwinienne générale de l’évolution et les découvertes la confirmant depuis, dans ses grandes lignes, n’ont jamais été contestées. Les chercheurs scientifiques asiatiques dans les domaines des sciences de la vie se sentent ici d’autant plus à l’aise que la théorie de l’évolution correspond globalement aux grands axes des croyances philosophiques du grand public de ce continent.

Les notions de possibilités d’évolution, donc de transformation, de changements notamment, font partie d’un héritage intellectuel commun qui s’étend de l’Inde jusqu’au Japon, et ce y compris dans les milieux chrétiens des pays concernés - comme en Corée du Sud. Les soutiens aux théories créationnistes sont donc rares, et, en tout état de cause, inaudibles sur la scène publique.

Par exemple, en Chine, en Inde, à Taïwan, au Japon et en Malaisie, la remise en cause de la théorie de l’évolution est regardée par les scientifiques et le grand public dans son immense majorité comme un acte aussi insensé qu’absurde.

Afin de comprendre ce positionnement général, il est utile de rappeler que la majorité écrasante de la population de l’Asie est plus ou moins empreinte de philosophies de vie sans divinités fixant un destin ou un dessein aux choses ou aux êtres. Ces philosophies font appel plus à la réflexion, à la méditation, à la recherche personnelle et sont peu fécondes en dogmes figés.

De là, il découle que le créationnisme et le "dessein intelligent" ne signifient rien pour ces populations mais, au contraire, se dressent contre les options philosophiques générales que celles-ci admettent comme valides et qui constituent les substrats primordiaux de sa culture.

C’est dans cette contradiction irrévocable et totale que réside la source première de l’échec des thèses pseudoscientifiques "fondamentalistes chrétiennes" en Asie.

En arrière-plan, un autre point est à souligner : l’intérêt des autorités politiques sur le continent à faciliter et promouvoir le développement d’élites scientifiques, particulièrement dans le domaine des hautes technologies de pointe, a aussi conduit à mettre de côté tout ce qui pouvait freiner, gêner ou parasiter cette politique "scientifique" de soutien à l’expansion économique, dont ces théories aux yeux de tous sont totalement inutiles et stériles.

Comme le résumait de manière imagée un ami scientifique taïwanais, doté d’un solide sens de la formule, "ces thèses sont arrivées ici [en Asie] comme des poissons lancés hors de l’eau. À peine lues au grand air, elles étaient déjà mortes dans les esprits".

Le rejet russe et ses racines

En Russie, les causes de l’échec des théories citées peuvent être trouvées dans deux facteurs :

. Le premier est la formation sérieuse et solide des scientifiques russes en général, qui est un acquis indiscutable de l’ex-URSS et que le régime actuel a relancée avec vigueur. Là aussi, la théorie de l’évolution ne pose aucun problème - à part chez quelques personnes ici ou là, considérées par le public et les chercheurs comme des illuminés.

. Le second est l’expansion vigoureuse des nouvelles technologies en Russie depuis quelques années, qui a redynamisé un secteur en crise et qui doutait. D’un certain point de vue, le savoir scientifique accumulé sous l’ex-URSS a repris son essor, même si toutes les branches scientifiques ne connaissent pas le même développement. Cela a induit aussi une poussée massive du rejet des thèses "américaines", suspectées par certains dans le pays de servir surtout les intérêts scientifiques et donc, à terme, économiques... américains !

En résumé, alors que le nombre de scientifiques augmente rapidement de nouveau en Russie et que ces instituts de recherche reçoivent de nouveaux moyens matériels, le naufrage des théories du créationnisme et du "dessein intelligent" y est aussi total.

Élargir la vue d’ensemble sur la vitalité de la théorie de l’évolution

Ce bref panorama des causes profondes, culturelles, voire parfois politiques, du rejet des théories créationnistes et du "dessein intelligent" en Asie et en Russie a pour intérêt essentiel - de mon point de vue de citoyen éloigné de l’Europe - de montrer aux défenseurs de la théorie de l’évolution en France, en Europe, au Canada, aux États-Unis, dans ce qu’on appelle "les pays occidentaux", qu’ils ne sont nullement isolés ou en recul dans le monde moderne, comme d’aucuns voudraient leur faire croire.

C’est bien en réalité la majorité écrasante et croissante des scientifiques du monde engagés dans les sciences de la vie et/ou du vivant qui est partisane, sereinement, de la théorie de l’évolution.

C’est aussi dans les pays où la recherche scientifique reçoit une impulsion formidable que l’échec des théories antiscientifiques est le plus manifeste. C’est un fait majeur et capital pour l’avenir.

C’est la théorie de l’évolution qui a donné les bases conceptuelles théoriques pour des découvertes scientifiques, notamment dans le domaine médical (génétique, virologie, biotechnologies, biologie moléculaire, etc.). C’est elle qui continue chaque jour à s’enrichir de nouveaux éléments qui manifestent son dynamisme et sa nécessité.

Au-delà de ses aspects concrets positifs et féconds pour le bien-être de l’humanité, sur le plan intellectuel, elle permet aux jeunes esprits scientifiques une riche, vivante et dynamique compréhension de ce que S. J. Gould appelait "le riche buisson foisonnant de la vie" par opposition à l’image de "l’arbre", trop "créationniste" et "monolithique" à son goût.

En échappant aux dangers induits par de telles théories antiscientifiques, qui, si elles étaient appliquées au monde scientifique, le stériliserait et mènerait les recherches libres nécessitant un esprit critique dans des impasses désastreuses sur tous les plans, l’Asie et la Russie montrent la voie à suivre à l’Europe et à l’Amérique du Nord.

On ne peut donc nulle part, ni faire de la place dans l’enseignement scientifique à ce qui est faux scientifiquement, ni même "tolérer" des concepts inexacts, non démontrés ou absurdes, sans mettre en danger l’avenir du savoir des sociétés humaines dans leur ensemble.

La recherche scientifique est et doit rester libre, fondée sur la seule raison et le seul savoir vérifié expérimentalement, donc non soumise à un "dessein", intelligent ou non, qui lui est totalement extérieur et la soumettrait à une emprise étrangère à sa nature. Comme à l’Est !


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