Criminaliser l’automobiliste

par Désintox
samedi 23 mars 2024

Autrefois, rouler à 35 km/h ne constituait pas un délit. Ce n'est plus le cas aujourd'hui du fait de la prolifératon des zones 30, notamment en milieu rural. Tous les moyens étant bons pour criminaliser l'automobiliste, un nouveau délit va bientôt faire son apparition.

Les partisans de la répression routière nous diront évidemment que c'est pour “sauver des vies”. Comment pourrait-on être contre ? Il convient toutefois de relativiser cet argument. En effet, si on compte environ 40 000 morts accidentelles par an en France (source), seules 3 400 d'entre elles sont dues aux accidents de la route (source), ce qui représente environ 8.5% du total.

Les accidents domestiques, par exemple, tuent 6 fois plus que la route, on peut donc s'étonner que ne soient pas rendus obligatoires les radars et les dos d'ânes dans les habitations.

Par rapport aux années 70, la mortalité routière a été divisée par 3 ou par 4. Cela n'a rien d'étonnant, car les constructeurs d'automobiles ont réalisé un énorme travail de R&D en matière de sécurité active et passive, rendant les véhicules de plus en plus sûrs. Mais pendant toutes ces années, les promoteurs de la répression routière ont empoché les progrès des constructeurs et en on tiré argument pour baisser encore les vitesses autorisées.

Le graphique suivant illustre ce mécanisme (source : onisr.securite-routiere.gouv.fr)

Comme vous le voyez, les auteurs de l'infographie expliquent la baisse de la mortalité routière par la seule répression, comme si l'amélioration des véhicules n'existait pas.

Ajoutons que la consommation d'alcool a fortement baissé et continue à le faire (source)

Les automobiles actuelles sont équipées d'un ordinateur qui permet de connaître sa vitesse moyenne sur de longues périodes. Personnellement, j'évite d'utiliser ma voiture en ville et je vais assez peu sur autoroute. Je roule donc principalement sur route. Quelle est ma vitesse moyenne calculée sur un an ? 39 km/h !

Consultez l'ordinateur de bord de votre véhicule. À moins de faire beaucoup d'autoroute ou de griller systématiquement les limitations de vitesse, ce sera à peu près pareil.

On pourrait donc croire qu'on a atteint un palier et qu'il est inutile de descendre encore plus bas. Que nenni ! L'épidémie de trentinite continue de se propager exponentiellement. Parallèlement, on multiplie les dispositifs automatiques de contrôles et de verbalisation, transformant ainsi les automobilistes en délinquants.

Au train où vont les choses, les tracteurs seront bientôt verbalisés pour excès de vitesse et on pourra remettre en service les diligences sans gêner la circulation routière

Le conducteur doit surveiller de plus en plus de panneaux le long de routes. Mais en êtes-vous vraiment capable ? Pour le savoir, je vous suggère d'effectuer ce petit test, qui consiste à compter ne nombre de passes que se font les joueuses.

Le test prend deux minutes. En le faisant, vous apprendrez des choses que vous ne soupçonniez pas sur le fonctionnement de votre propre cerveau.

 Si vous avez fait le test, soyez sûr que le même phénomène se produit sur une route devenue illisible, le long de laquelle d'innombrables panneaux accaparent l'attention du conducteur.

 

Une brèche dans l'État de droit

Il y a bien longtemps, je m'étais fait prendre alors que j'avais grillé un feu en vélo. Suite à cette infraction, je fus convoqué par le tribunal correctionnel, qui m'infligea une amende de 50 francs. Les rôles étaient partagés : le constat pour le policier, la sanction pour le juge.

Longtemps après, je fus flashé par un radar. Je reçus l'amende et le retrait de points par courrier.

Aujourd'hui, les sanctions sont appliquées automatiquement. Il s'agit donc clairement d'un brèche dans l'état de droit.

On pourra rétorquer que ce n'est pas gênant, puisqu'il ne s'agit que d'infractions routières, mais quand une brèche est ouverte, on ne sait jamais à l'avance ce qui va s'y engouffrer.

Voici un titre du journal Basta ! “30 000 euros de dette et pas encore 18 ans : quand les amendes forfaitaires facilitent l’arbitraire” (source). L'article nous apprend que la police a conquis le droit d'infliger des amendes forfaitaires, automatiquement majorées en cas de non paiement. Des jeunes habitants des quartiers populaires se retrouvent ainsi avec des impayés de plusieurs milliers d'euros. Le journal précise que “près de 290 000 amendes forfaitaires délictuelles (ce qui exclut celles qui relèvent de la contravention) ont été envoyées en 2022, soit un tiers de plus que l’année précédente. Au fil des années, les motifs de verbalisations que peut décider la police se sont multipliés”.

Retenons la leçon : si le droit recule dans un domaine, on peut être sûr que cela ne restera pas isolé.

 

La nouvelle infraction.

Je vous l'avais annoncée au début de l'article, il est peut-être temps d'en parler : le parlement européen a été invité à voter une loi visant à mettre en place une visite médicale tous les 15 ans afin de renouveler son permis de conduire (source).

La proposition a été rejetée, mais soyons sûrs que ce n'est que partie remise.

Objectif ? “Réduire de moitié le nombre de victimes sur les routes européennes (estimé à 20 000 morts en 2022) d’ici 2030, puis tendre vers un objectif zéro en 2050”.

Est-ce bien sérieux ? Voici différentes causes d'accidents mortels de la route (source) :

Au vu de ces chiffres, on ne voit pas ce qu'une visite médicale obligatoire pourrait changer ! À moins, bien sûr, de confisquer 50% des permis, auquel cas on aurait bien une diminution de moitié des accidents.

Bien sûr, on pourra toujours citer l'exemple d'un vieillard qui a tué quelqu'un au volant, mais les statistiques nous disent au contraire que “Les 65 ans et plus ont causé 16,9% des accidents mortels en 2017. Soit le ratio le plus faible toutes tranches d'âge confondues chez les personnes majeures : 19,3% pour les 18-24 ans, 22,3% chez les 25-34 ans, 21,6% chez les 35-49 ans, 17,8% chez les 50-64 ans.” (source).

 

Une nouvelle brèche

La mesure proposée ne sert à rien, mais elle ouvrirait une nouvelle brèche dans les droits.

Ici encore, on peut se demander ce qui va s'y engouffrer.

On voudrait donc exiger un certificat médical pour effectuer un acte de la vie courante. Retirer un permis, ce n'est pas anodin. Bien sûr, si vous vivez à Paris ou à Berlin et si vous partez en vacances en avion, cela ne change pas grand-chose pour vous. Par contre, pour les recalés vivant dans des petites localités, ce serait une véritable assignation à résidence. Aller au travail deviendrait impossible, faire ses courses serait problématique, consulter un médecin s'avèrerait très compliqué, etc.

Mais pourquoi limiter aux automobilistes cet élan punitif ?

On pourrait aussi exiger un certificat médical pour faire du vélo. Cela pourrait passer pour un poisson d'avril, mais il existe vraiment des gens qui font des propositions de ce genre (source).

Et pour randonner en montagne ? Si vous faites un malaise, vous pouvez mettre en danger les secouristes !

À l'heure où les prêts immobiliers s'étalent sur 25 ans, pourrait aussi exiger des emprunteurs qu'ils se soumettent à un examen médical approfondi, comportant une analyse de leur ADN pour prédire leurs futurs cancers.

L'accès à l'emploi, lui aussi, pourrait être conditionné à un avis médical obligatoire.

Et pourquoi pas une visite médicale pour avoir le droit de rester chez soi ? Ce serait logique puisque les accidents domestiques font beaucoup plus de victimes que la route ! Tu es inapte ? Hop ! En Ehpad ! Tes enfants paieront !

 

Sauver des vies ?

Bien sûr, les promoteurs de la répression routière nous serviront leur argument habituel, en béton armé précontraint : "c'est pour sauver des vies". Il est donc temps expliquer pourquoi les visites médicales confiscatoires vont, au contraire, accroître l'insécurité routière.

D'une façon générale, les partisans de la répression lui attribuent à tort des effets positifs. Ce phénomène est bien connu en matière de délinquance : ceux qui pronent la "tolérance zéro" veulent mettre en prison le voleur de pizza, mais comme la prison est l'école du crime, ces politiques augmentent l'insécurité.

Les réprimeurs de la route font preuve du même aveuglement. Ils font mine d'ignorer que la vraie cause de la baisse de la mortalité routière, c'est que les automobiles actuelles sont infiniment plus sûres que celles qui circulaient il y a 50 ans.

Or, de nouveaux progrès techniques arrivent. En effet, durant la dernière décennies, de nombreuses recherches ont été menées pour développer des voitures qui se conduiraient toutes seule. Si cela n'a pas abouti, le travail de R&D ainsi mené n'est pas perdu pour autant. Il débouche sur de nouveaux dispositifs d'aide à la conduite qui éviteront bien des accidents et dont certains deviennent même obligatoires sur les véhicules neufs (source).

La mortalité routière devrait donc à nouveau baisser au cours des prochaines années, au fur et à mesure que le parc automobile se renouvellera... À condition qu'il se renouvelle !

En effet, l'électrification du parc automobile devient elle aussi obligatoire d'ici 2035. Or, si on trouvait encore des voitures neuves à 15000€ il y a quelques années, il faut en mettre 30000 ou 40000 pour acheter une automobile électrique.

Qui a les moyens d'acheter des voitures à ce prix là ? Les jeunes, payés une misère et écrasés par des loyers démentiels ? Évidemment non ! Seuls les vieux, libérés du loyer et des charges de famille peuvent faire cet investissement.

D'où ma question : qui mettra 30 000 ou 40 000 € dans une voiture neuve, tout en risquant de se faire confisquer son permis à l'issue d'une visite médicale ?

Avec la visite médicale confiscatoire, les vieux n'achèteront plus de véhicules neufs. Ils feront durer la voiture thermique qu'ils possèdent déjà, tarissant ainsi le marché de l'occasion, ce qui mettra en grande difficulté tous ceux qui n'ont pas les moyens d'en acheter une voiture neuve. Le parc automobile se "cubanisera", avec des véhicules de plus en plus anciens, qui ne bénéficieront donc pas des innovations portant sur la sécurité. Par conséquent, le nombre d'accident augmentera ou ne baissera pas comme il aurait dû.

 

La dérive est déjà écrite

La visite médicale confiscatoire n'est pas seulement contre-productive, elle contient déjà en elle-même les condiitions de sa propre dérive.

Il se passera exactement la même chose qu'avec les zones 30. Au début, elles étaient placées à des emplacements pertinents, mais au fil du temps, on en a mis un peu partout pour en arriver aux excès actuels. Le mécanisme est évident : plus on met de zones 30, plus on sauve des vies. Qui ne voudrait pas sauver de vies ? Alors on en installe encore et encore. C'est sans fin.

La visite médicale confisatoire est prévue tous les 15 ans. C'est bien long. Pourquoi pas tous les 5 ans ? Au fait, on contrôle les voitures tous les 2 ans, et les conducteurs alors ? Ce sera donc tous les 2 ans, puis tous les ans. Au début, on vous contrôlera la vue, l'ouïe (?) et les réflexes, mais petit à petit, on ajoutera de nouveau champs d'investigation. Il faut sauver des vies, n'est-ce pas ? Les permis sauteront comme des bouchons de champagne !

Vous croyez que vous serez convoqués dans ces centres de contrôle. Ce serait bien trop coûteux, évidemment. On vous renverra donc au sacro-saint "médecin traitant" qui sera chargé de remplir un formulaire grâce auquel vous pourrez conserver votre permis (ou pas).

En cas d'accident de la route, le médecin qui a autorisé le conducteur à conduire pourra donc voir sa responsabilité mise en cause. Les praticiens ouvriront donc le parapluie et prescriront de nombreux examens complémentaires avant de donner l'autorisation, ouvrant ainsi la porte à de très nombreuses confiscations.

 

Une médecine punitive

Le pire effet pervers de cette mesure est qu'elle fait évoluer le rôle de la médecine, et pas dans le bon sens.

Théoriquement, la médecine est là pour aider les gens et les soulager. Avec la visite confiscatoire, on lui donne un nouveau rôle, répressif et punitif, qui contredit sa vocation de base. Une telle évolution de société fait-elle l'objet d'un consensus ? Les gens ont-ils envie d'avoir un médecin réprimeur ? Le corps médical revendique-t-il vraiment ce nouveau rôle ?

Et puis, avons-nous vraiment trop de médecins en France, pour charger ainsi la mule ?


Lire l'article complet, et les commentaires