Crise : « sont-ils incorrigibles ? » En sommes-nous responsables ?

par Jean-Pierre Lovichi
lundi 20 octobre 2008

La question n’est pas de savoir s’ils se corrigeront ou non, mais de nous demander ce qu’il nous appartient de faire pour que les corrections nécessaires et profondes soient apportées au système.
Aussi, à la question du caractère incorrigible ou non du marché et de ceux qui le défendent parce qu’ils y ont un intérêt direct, je préfère substituer celle de notre responsabilité...

Ils sont nombreux ceux qui, depuis ce qui restera dans les mémoires collectives comme la « crise d’octobre », déroulent la litanie des crises qui ont émaillé, ne serait-ce que les vingt dernières années, l’histoire du capitalisme. Du krach boursier de 1987 jusqu’à l’éclatement de la « bulle internet » de 2002, les secousses avaient été multiples, entrecoupées également de grands scandales tels qu’Enron avec comme dénominateur commun la remise en cause du « laisser-faire » et chaque fois de grandes déclarations, la main sur le cœur, qu’on ne « les » y reprendrait plus… « Plus jamais ça ! » Tel était alors, à la fin de chacune des crises, le message délivré aux opinions, c’est-à-dire aux non-experts, aux non-initiés.


Car oui, ne nous illusionnons pas. Tout se joue largement au-dessus de nos têtes et une fois encore, il semble ne nous être réservé, à nous simples habitants de la planète, membres de ce club non privilégiés de la masse anonyme, que le strapontin du spectateur non avisé… ou avisé ! En réalité, là, comme dans d’autres domaines, le fait de disposer de l’information, des analyses ne change rien. Nous ne pouvons rien en faire… Ou du moins nous n’en faisons rien sinon, à l’instar de cet article et d’autres publiés sur le sujet, les commenter comme s’il s’agissait de la seule façon de nous les approprier.


De toute façon, n’est-il pas vrai qu’il n’y a pas d’autres systèmes envisageables que celui-là qui fonctionne tellement bien comme nous le dit rapidement notamment Pierre ZURSTRASSEN dans son article « Le marché reste-t-il incorrigible »  ?


Oui, ne nous inquiétons pas, les principes sont sains, quelques mesures d’adaptation, quelques régulations, quelques milliards de dollars ou d’euros réinjectés dans la machine et tout ira de nouveau pour le mieux dans le meilleur des mondes.


Le noyé ramené sur la plage par le plan de sauvetage sera de nouveau apte à courir le cent mètres jusqu’au prochain infarctus tout aussi inéluctable que les autres !


Car oui, ne nous leurrons pas. En dépit de l’ampleur de la crise que nous traversons, des « risques systémiques » comme disent les experts qu’elle a mis à jour, ils n’ont pas changé d’avis. « Ils », ce sont les chantres du grand Marché, de la concurrence libre et parfaite, lesquels restent en dépit des discours de façade aux manettes.


Pour s’en convaincre, je vous propose de relire des extraits de l’article du The New York Times publié dans Le Monde du samedi 11 octobre et intitulé « How Free should a Free market Be ? » d’Alex Berenson. Il rapporte les propos de David Ruder, « the former chairman of the scurities and Exchange Commision » et par ailleurs professeur émérite à l’université de droit du Nord-Ouest dans l’Illinois. S’il reconnaît la nécessité de poser des règles, s’il prend acte de l’intervention décisive des Etats pour sauver le monde de la banqueroute, il relève que les banques devront rapidement s’affranchir de la tutelle ainsi mise par les Etats sur leur gestion et de rappeler que ces dernières et l’ensemble des sociétés financières constituent à Washington les plus puissants des lobbies de par les fonds qu’elles fournissent aux partis politiques. Ainsi sa conclusion ne laisse pas de doutes sur le fond de sa pensée :


"I’m scared about the next year but I’m very optimistic we’ll come out of this in good shape."


Il ajoute :


"We very well may come out of this horrible situation with a better version of American capitalism – it’ll be a little tamer ; it’ll be a little more regulated."

Pour conclure :


“But this country is built on an appetite for risk. We don’t want to be France.”


Voilà le gros mot enfin lâché ! La France et ses petites manies tellement vaines de vouloir construire une société fondées sur des services publics, sur des valeurs de solidarité là où seule devrait compter la réussite individuelle, celle qui exalte l’homme maître de son destin, conquérant des grands espaces.


Très rapidement semble oublié le fait que si la réussite est individuelle, l’échec, lui, se trouve toujours assumé collectivement en cas de grosse dépression. 


Aujourd’hui, plus personne ne peut contester la réalité du système financier qui se résume à la formule suivante : « privatisation des bénéfices, mutualisation des risques » au point qu’elle a largement débordé les milieux gauchistes qui la martèlent depuis un certain temps pour s’afficher dans des journaux et sous des plumes bien plus fréquentables.


D’où la première question posée au début de cet article : « Sont-ils incorrigibles ? »


Pourtant, la vraie question devrait être formulée différemment : « Est-ce à eux de l’être ? »


Qui sont les naïfs en cette matière ? Ceux qui prônent une vraie mobilisation des peuples destinée à profiter de ce moment pour tenter de changer réellement les choses en profondeur ou ceux qui pensent que le système va se réguler de lui-même parce que les gouvernements le veulent ?


Il faut relire L’Unique et sa propriété de Max Stirner qui, en la matière, peut être utile. Derrière toutes les façades que l’on peut tenter de dresser, reste la vérité ultime selon laquelle chacun prend ce qu’il peut prendre. On n’a de droits que ceux que l’on se donne.


Ne pas oublier également ce que dit David Ruder. Au final, c’est bien le pouvoir politique qui se trouvera inféodé au pouvoir financier…


Dans cette optique, il ne faut pas laisser à d’autres le soin de régler un problème dont nous avons bien compris aujourd’hui qu’il nous concerne tous. Il ne faut pas se satisfaire d’avoir sauvé nos petites économies. Il serait illusoire de croire à la formule « Plus jamais ça » dont il faut se souvenir qu’elle a été prononcée après chacune des catastrophes liées à l’impudence humaine. Avec les résultats que l’on sait…


A défaut de mobilisation massive des populations au sein de structures qui restent sans doute à inventer, d’une unification des mouvements de lutte qui prônent la solidarité en lieu et place de la divine concurrence, d’une volonté politique enfin clairement affichée en dehors des querelles de chapelles et d’ego qui divisent trop souvent les opposants au système pourtant d’accord sur l’essentiel, alors il ne faudra plus se lamenter sur le fait qu’ils sont incorrigibles, mais bien plutôt nous dire que nous en sommes responsables.


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