Curiosité ou sécurité ?
par alinea
samedi 15 décembre 2012
La curiosité est un vilain défaut ! On ne me l'a pas seriné sinon je l'aurais entendu, je veux dire compris, mais cela fait partie des choses qui viennent de nulle part, rôdent sans vraiment gêner !
Seulement, il m'apparaît que d'autres, nombreux, ont reçu le message, l'ont intégré et, après vingt-cinq ans, allez, l'ont appliqué.
Inutile d'aller voir quelques « curiosités » ! celles-ci sont toujours l'oeuvre de m'as-tu-vu ou bien carrément des produits de grande distribution, qui n'élèvent pas beaucoup l'âme.
Certes on peut être curieux de la physionomie de sa voisine, du nombre de ses amants ou de la paye de son mari, à moins de faire des études statistiques ou une thèse de sociologie, en commençant par le menu, la curiosité ne génère pas toujours des horizons de choix ! Elle est confondue avec le voyeurisme, l'indiscrétion et subit visiblement une onde négative dans l'esprit des bien-pensants. Mais elle est toujours énergie, il faut bien l'admettre ; après, ce que l'on fait de cette énergie...
Mais non, la curiosité est vie, parce qu'elle laisse un espace intérieur ouvert à l'imprévu, à l'inconnu et donne à ressentir une petite titillation d'excitation, une énergie soudaine, un geste !
La vie est mouvance et impermanence, la curiosité nous incite à être l'instigateur de ce mouvement.
Mais elle doit s'allier à la conscience, qu'elle accroît, à la pensée qui intègre les découvertes, à l'intuition qui nous protège et à l'économie qui nous préserve.
Elle peut nous amener dans des contrées obscures où on perd son latin ou bien nous faire défoncer le crâne de l'autre pour y faire des trouvailles : bien souvent on reste sur sa faim. Elle est fantasque à notre image, ou raisonnable mais elle n'est pas un intérêt : l'intérêt déjà a ses appuis ; elle n'est pas motivation qui court souvent après des mirages ; non, elle est une gratuite rieuse qui peut nous faire pleurer à la fin du voyage.
Mais elle reste bien la perle de notre santé car elle désinhibe nos peurs, élargit nos horizons et nous laisse ouverts.
Elle nous tient en vie quand, au fond du désespoir, du deuil, elle est vaillante, une braise qui couve, une flamme dans la nuit qui nous souffle « attend demain ».
Il ne faut pas tuer la curiosité qui guide l'enfant vers des sensations nouvelles, tenir debout, se lâcher d'une main, voir au loin ; elle est libido, instinct de vie, énergie primordiale.
Elle entraîne les jeunes gens vers la griserie, de la vitesse, de la drogue : elle tue sans garde-fous. Étonnante de duplicité, elle est innocente pourtant, elle ne joue que son rôle et a besoin d'un répondant.
On peut la dire irrationnelle qui nous fait faire des choix inconsidérés, car la belle n'a pas d'assurance : à nos risques et périls et dans l'errance, elle, n'a pas peur de nous perdre !
Mais plus souvent elle nous apporte la persévérance, la force d'aller jusqu'au bout d'un chemin, là ou derrière le mont s'étend une nouvelle plaine, au bout d'une aventure, là où après l'expérimentation se tient l'expérience, là où derrière le désir peut se trouver l'amour. Sûr qu'il peut pleuvoir sur la plaine, que l'échec peut advenir et que l'amour n'était que passion, mais si on l'apprend, c'est bien grâce à elle !
Mais elle est si fragile, un rien l'inhibe, l'éteint et l'on en prend si peu soin.
Elle n'est pas désir parce qu'elle ne connaît pas son objet mais elle en est une cousine, peut-être moins centrée sur elle-même !
On peut être curieux comme un Gémeaux hermaphrodite, butiner sans faire son miel, et distribuer ce butin, pollen, à qui veut ; on peut être curieux comme un Scorpion, à toujours fouiller plus profond, en faire son miel et l'offrir ; on peut être curieux comme un Verseau qui va de par le monde, s'arrête à toutes les trouvailles et inventions, en faire son beurre et sa tartine ; on peut être curieux comme un Sagittaire, de pays en pays, de pensée en pensée, d'exploit en exploit, en faire des compilations et les vendre. ( à prendre avec des pincettes dépourvues de sérieux !).
Quand le tour a été fait d'un lieu, d'une activité- la curiosité n'est pas un appétit vorace à satisfaction immédiate, quoique cela dépende du tempérament de notre curieux,- quand plus rien ne vient soulever le cœur par une appréhension avant une découverte, la curiosité s'évanouit, frustrée de nourriture, elle dépérit.
Alors mieux vaut partir, recompter ses acquis, les classer et les fondre comme un alchimiste, ressourcer l'énergie et aller voir ailleurs.
À un certain âge, vers la fin de l'adolescence, au début de la maturité, l'être s'est construit, quand il se spécialise, qu'il pose les jalons de sa destinée, quand il a quelque chose à défendre, à protéger, alors, à la curiosité il oppose la sécurité. Quand on bâtit une citadelle il nous faut bien sûr la défendre mais peu d'entre nous érige une si humble demeure qu'il ne vient à l'esprit de ne pas l'enceindre de remparts. Aujourd'hui la moindre maisonnette est cernée par de hauts murs qui protègent une intimité pourtant bien ordinaire et qui empêchent de voir.
De même pour la personne : plus elle est ordinaire, plus elle doit être fortifiée de l'extérieur...
Donc à la curiosité vivace s'oppose, bien souvent, dans le cœur de l'homme, la sécurité.
Et c'est quand celle-ci gagne que tout part en vrille ! On sait faire ce qu'on fait, tout roule, on est compétent et c'est alors que subrepticement, l'incompétence s'insinue ; elle prend les allures d'un manque de soin ou d'attention, un relâchement, une inertie de la motivation, l'éloignement de défis ou d'enjeux qui s'étaient substitués à la curiosité initiale. Pour parer à ce délitement, les gens se constituent en groupes, en syndicats, en partis. En partie.
De fil en aiguille, et parce que personne n'a vu la curiosité mourir en lui, ces groupements se construisent autour de la sécurité ; cela passe évidemment par l'identité : on trouve ses semblables, on se réchauffe dans des associations ayant pour but d'afficher les différences et plutôt que les penser, les relativiser pour évoluer, le groupe les durcit, les fige et exagère. Ainsi les vegan qui peuvent aller jusqu'au fanatisme, les homosexuels, les anti-IVG, les racistes,etc. Même les partis en lutte contre le pouvoir n'échappent pas à cette règle : aucune ouverture n'y règne, juste la certitude de sa vérité qui doit s'exprimer et définir les siens contre les autres. Certes j'enfonce une porte ouverte : l'homme a toujours fonctionné ainsi, cependant cela ne me semble pas contribuer à l'évolution des mentalités !
D'une manière générale, la curiosité s'émousse en vieillissant même si dans certains cas elle n'a jamais été prépondérante, pour tout un tas de raisons que je ne saurais évoquer ici mais qui touchent à des problèmes familiaux, sociaux, extrêmes. Mais peu importe l'âge, vient presque toujours le moment où il est plus indispensable de protéger son « moi » acquis que de continuer à voguer sur des océans inconnus. Plus le moi est précaire, plus il a besoin de reconnaissance et plus tous les moyens sont mis en œuvre pour y parvenir.
De cette reconnaissance vue comme nécessaire et de ce désir de sécurité, on arrive tout naturellement au groupe, à l'élite.
Pourtant, être sans gardes pour un cœur ouvert est plus sécurisant que le bouclier du groupe pour un cœur fermé ; on ne s'éloigne pas de la curiosité puisque je la prends au sens large, comme libido, et au sens jungien : énergie vitale et non plus freudien : énergie sexuelle.
Un cœur ouvert qui est à sa place dans le monde – et quelque soit sa place-, est protégée plus qu'un être à une place usurpée, avec des gardes ! L'abandon est invulnérable. Mais s'abandonner n'est pas s'offrir, c'est juste son inverse...
À cette place juste, on peut dire « je » ; c'est une forme d'humilité ; certes cela est pris trop souvent pour un « moi je » arrogant tandis que le « nous » qui n'est qu'un « je » autorisé par le groupe, peut être perçu comme anodin.
Bien sûr le « nous » est précieux mais tout dépend de ce qu'il désigne ; un « nous » qui s'oppose au pouvoir, le « nous » du peuple a toute sa crédibilité ! Mais s'il s'oppose au pouvoir, en toute légitimité, il peut tout aussi bien s'opposer aux autres : « nous, français », « nous, catholiques », « nous, homos »,etc.
Le « je » paraît donc bien timide ! ( Il faut exclure de ce bavardage, le « Moi, Président ! » ou le « moi » chef de parti !! Encore qu'il faille chercher plus loin que l'apparence car la configuration de ce « je » peut être égale à « nous » !!! mais peut être aussi une imposture ; en tout cas, l'affirmation d'un pouvoir !).
Donc si le groupe, qui rappelons-le nous sécurise plus qu'il nous pousse à la découverte, nous autorise à exprimer, voire imposer, plus loin que l'on ne voudrait notre opinion, qui elle-même n'est souvent qu'adhérence- on lui préfère adhésion, qui fait moins sparadrap mais plus cotisation, partie essentielle de tout groupe qui se respecte, mais bon-, s'il nous soutient, nous renforce et nous donne audace, la solitude, elle, nous handicape. Car il faut du courage voire de la bravoure, peut-être même de la bravitude, pour affirmer ses vérités face à un groupe récalcitrant ! ( c'est bizarre, mon traitement de texte n'est pas à jour, il souligne de rouge le mot « bravitude » ! Pourtant si Ségolène a proféré quelque chose de bien dans sa vie, c'est bien ce néologisme !).
Mais dans ce cas, l'affirmation est-elle opérante ? Utile ? Parce que lorsqu'on est seul, il est bon d'avoir la jugeote de prendre la mesure de la situation ; donner des bâtons pour se faire battre en se mettant à ce point en état d'infériorité n'est évidemment pas la meilleure manière de faire passer ses idées.
Donc l'appartenance au groupe conforte et sécurise, mais en interdisant à la curiosité de nous guider, elle nous mortifie.
Nous voyons ainsi les masses s'engouffrer dans les salles obscures, voir le même film promu par les plus riches publicitaires ; nous voyons des piles hautes comme des hommes de livres vantés à la Une des papiers spécialisés ou des Journaux télévisés ; nous voyons des queues infinies d'adeptes de gourous chantant attendre en transe le moment de leur satisfaction musico-orgastique, et tout à l'avenant.
Il faut vraiment une chance inopinée dans un temps vacant pour voir lire ou entendre une vraie découverte. Et encore, peu nombreux sont ceux qui oseront la partager ! Il vaut mieux, en toute circonstance, attendre confirmation et autorisation. Il se peut qu'on se soit trompé, que l'on trahisse, bien involontairement, son manque de goût, son inculture ou sa stupidité.
Ici même on nous attire en haut de page sur les auteurs les plus vendeurs ! Pourtant, il n'y a pas de vente ; en bas parfois des perles restées vierges de tout commentateur.
Peut-être la curiosité ne peut-elle pas s'adapter à un monde à ce point régi par des horaires, des calendriers, des rendez-vous d' affaires.
Il me semble pourtant qu'il s'agit bien de facilité et de paresse et cette attitude majoritaire frustre le minoritaire curieux qui trouve lui aussi toujours les mêmes aux mêmes endroits ou personne là où il aimerait échanger. La hiérarchie est structurée : les auteurs, les vrais, ne s'aventurent nulle part ailleurs ; les meilleurs d'entre eux ne sont pas même présents sur leur propre fil. On sait à qui on a affaire et point de surprise.
Un commentaire à l'encontre ne sera pas lu au delà de la deuxième ligne, dès que la position de son auteur se sera dévoilée.
Il y a celui qui commente dans un langage millimétré sadique-anal après une lecture très structurée ; un autre qui virevolte ses phrases nouveau roman sans souci de se faire comprendre ; un troisième dont le fond tempérant des phrases conciliantes évoque un tempérament sans tricheries ; un autre a l'humour sarcastique, l'autre joue sur les mots, il y a une cul-serré qui s'offusque, une autre qui déverse son immense générosité, il y a celui qui veut se faire reconnaître, celui qui se montre, celui qui se donne, un autre argumente sérieusement et derrière chaque personnage ou chaque personne : un cœur ; chacun se livre à l'autre ; tous ont besoin de sa curiosité. On ne peut découvrir le cœur de tous, on ne peut pas le toucher, mais il bat.
Pourtant l'effet général est bien le passage protégé des anciens, le sens interdit des petits nouveaux ou leur appropriation protectrice ; on boude l'auteur qui nous a déçu, et surtout, surtout, la majorité va vers ses propres centres d'intérêt, là où il aura à dire !
L'anonymat total, des signataires d'articles ou de commentaires ôterait peut-être une part des idées préconçues ? Et l'esprit avisé, cherchant à s'y retrouver, pourrait par ses bévues provoquer de belles empoignades !?
Il n'y a pas la moindre once d'apport si on ne va pas chercher. C'est que l'on sait sûrement que l'on n'a pas à apprendre de ses semblables ; ainsi donc aurions-nous été bien formatés ? La vérité, le savoir, l'idée, la pensée originale, tout, tout viendrait « d'en haut » ?
La curiosité qui nous laisse innocents nous tient rarement longtemps dans la spécialisation, hormis l'être exceptionnel qui peut passer sa vie à étudier Bach et à y découvrir encore et encore des subtilités. Or nous vivons dans un monde où seul l'expert a le droit de parole, ce qui rabaisse le curieux au triste sort de l'éclectisme. Et rien n'est plus méprisable ! Même l'ouvrier doit être spécialisé pour plus de rentabilité.
La curiosité qui nous éloigne de tous les poncifs du mercantilisme de notre société, n'est pas à cultiver, elle paraît sinon rebelle du moins pas assez maîtrisable. Et ne voir qu'une seule tête, pour les dirigeants, c'est quand même plus commode !
D'ailleurs- et c'est une parenthèse- n'a-t-on pas promu des outils merveilleux qui nous confinent, même dans la rue, même dans le train, à notre si douillet intérieur ?
Alors il se peut bien qu'à la marge du troupeau, le curieux s'autocensure pour ne pas, à tous les coups, se faire moquer ou rejeter...tandis que chez les autres la curiosité ne se dirige que vers ce qui est offert !
Mais surtout ! Que les curieux ne s'avisent pas de faire groupe, la curiosité d'un groupe ( c'est presque un barbarisme) semble rarement constructive...