D’Elisabeth Révol à Catherine Destivelle. Mais pourquoi risquer sa vie en montagne ?

par velosolex
jeudi 1er février 2018

 

      L’épopée malheureuse d’Elisabeth Révol et de son pauvre compagnon, Tomek Mackiewicz ont remis l’alpinisme au premier plan des médias. Son sauvetage a été rendu possible grâce à une première au monde : Au-delà de son propre courage, l’intervention d’une cordée d’alpinistes qui était à proximité, tout autant qu’un appel aux dons, permit ce petit miracle, qui vaut mieux qu’un 8000, même s'il ne fut malheureusement pas complet ! 

     Quant aux réactions du public, Il suffit de lire les commentaires des internautes pour être parfois dubitatif. Si l’intrépidité des escaladeurs n’a pas changé, l’incompréhension de certains est tout autant la même. Qu’un accident arrive, qu’un plan d’aide coûteux soit élaboré, mettant en péril parfois la vie des sauveteurs, et les mêmes réactions se font entendre : « Ils l’ont bien cherché. Personne ne leur a demandé d’aller là haut faire les cons ! Qu’ils se débrouillent ! »

     D’autres, heureusement plus généreux, mais connaissant bien peu la logistique, s’étonneront qu’une intervention ne se fasse pas immédiatement, quand on apprend qu’une cordée est bloquée là haut depuis des jours…

     Or, ce n’est pas tout à fait la même chose, de lancer une opération dans le massif du mont blanc, qu’au cœur du Pakistan. Là, dans cet espace immense, au sein d’une économie précaire, pas d’équipe de professionnels aguerris, en relation avec des professionnels du soin, prêts à monter dans un hélicoptère comme une équipe du SAMU dqns une ambulance.

 Même en France, il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a eu une évolution des mentalités et des moyens. Les commentaires acerbes des internautes étaient bien plus monnaie courante il y a encore un demi siècle. Qui ne pense pas à cette triste épopée, qui mettra la France en émoi, au cœur de l’hiver 56 ? Henry et Vincendon, du nom des deux étudiants prisonniers du Mont blanc, donneront naissance aux interventions héliportées. Ainsi, leur mort, qui aurait pu sans doute être évitée, au bout d’’une logistique défaillante, n'aura pas été vaine. Henry et Vincendon : Tragédie au Mont Blanc - vidéo - Le Petit ...

   Mais il est bien périlleux de juger une époque. C’est un peu comme pour le tour de France, et les coureurs et les vélos s’y rapportant, tout autant que son infrastructure. Pas d’ambulance pour prendre en charge les blessés lors des premiers tours de France. Les bras cassés étaient pris en charge par la population, ne songeant même pas à se plaindre de leur sort.

      Nous sommes bien loin à l’époque des cellules de soins psychologiques prescrites parfois à tort et à travers. Le « Aide-toi le ciel t’aidera ! » servira longtemps en même temps que la médaille de saint Christophe dans la poche, de viatique de survie.

 On définit comme amateurisme souvent ce qui est derrière nous, avec un certain mépris. Mais les professionnels de l’escalade des années 50 n’avaient pas grand-chose à voir avec ceux des années 20, qui eux même auraient semblé des cosmonautes aux yeux des pionniers du mont blanc, s’encombrant d’échelles en bois et de caisses de bouteilles de rouge, et montaient les pics en costumes de ville. 

      On considère que l'alpinisme, en temps que discipline sportive, a été inventé par Horace-Bénédict de Saussure lorsqu'il proposa en 1786 une prime au premier qui gravirait le mont Blanc, appelé la « montagne maudite » : le 8 août 1786, le guide Jacques Balmat et le docteur chamoniard Michel Paccard parviennent pour la première fois au sommet du mont Blanc. C'est le récit de l'ascension de Saussure le 3 août 1787 qui donne l'élan européen à l'alpinisme

     Mais il semble que depuis toujours et en dépit des superstitions, faisant tabou de ces hauts lieux peuplés de démons, des hommes n’ont pas seulement rêvé de mettre le pied là haut, mais se sont donnés les moyens d’y parvenir. L’empereur Hadrien monta l’Etna, Pierre d’Aragon le mont Canigou, et Pétrarque le mont Ventoux….Un vrai poème à la Prévert…. Quoi qu’il en soit ce fut l’époque du romantisme qui changea les esprits. On commença à admettre la beauté de ces lieux perdus, loin de toute route, au milieu de pays sauvages, et à inciter les voyageurs à s’y risquer, dans cette quête du « sublime » !

     Se lancer à travers des mers inconnues pour enrichir le pays de terres nouvelles, voilà une chose qui était admise. Mais vouloir se hisser en haut d’une montagne fut là jugé comme une étrangeté, un lobby de bourgeois, qui donna évidemment lieu à un commerce. 

      C’est ainsi que naquit le métier de guide, au service de ces anglais si fortunés, amateurs de sensations fortes. Néanmoins, pendant longtemps, il fallut habiller ce plaisir d’un alibi scientifique. Et l’on emportait un baromètre afin de saisir là haut la pression, et sans doute autant pour la museler quand on était en bas.

  Qui aurait osé s’en prendre à la démarche d’un scientifique ? Henri Brulle un « Pyrénéen », eut dés le début du dix neuvième siècle un approche moderne de l’escalade, ne s’encombrant pas de prétexte, et interrogeant tout autant sa pratique de façon philosophique ;« Le Pyrénéisme, écrit Brulle dans Ascensions, c'est moins l'esprit sportif qui l'anime que la soif de solitude et de liberté, l'attrait du pittoresque, de l'aventure, de la pénétration dans le mystère des aspects secrets de la nature . »

   Tout est dit, déjà. Henri Brulle bien avant 1900 fait déjà œuvre de modernité et d’ouverture au monde, en même temps que témoin de sa condition d’homme libre et de ses émotions. Il y a plusieurs niveaux d’exploration, celle que les pieds approchent, et l’autre intérieur, frisant avec l’inconscient, ou la recherche des limites, tout autant qu’avec l’imaginaire. C’est cela qui donne le sens et guide les pas..

      Henri Brulle n’était certainement pas exégète. Les motivations d’un homme à l’autre sont sans doute très variées, et échappent elles même parfois à leurs auteurs, tout en étant dépendantes des temps.

     Car il existe aussi une voie périlleuse sur la face nord, qui est celle de la vanité, de la conquête et de la domination. La montagne y a été vue pendant longtemps comme un sommet à vaincre, à l'image d'un ennemi. 

     Les accents guerriers, voire sexuels, ou les termes s’approchant du viol sont omniprésents. Ils nous montrent bien la réalité des rapports qui continuent parfois encore à prévaloir, entre l’homme et son milieu naturel, si signifiants d’une culture, ou femmes, ennemis et terres doivent être soumis au conquérant.

Le nationalisme bien sûr s’empara de tout cet idéal. Dans les années 30 le nazisme promotionna bien des cordées d’alpinistes, en leur accordant argent, et intendance, autant qu’en mettant en scène leurs exploits dans des films diffusés par la « continental », dont le savoir faire n’est pas à prouver, avec comme maitre d'oeuvre Leni Riefenstahl, au service du furher.… Adolf Hitler, chef de cordée - Summit Day

     L’iconographie virile de ces hommes, se battant dans un univers minéral hostile, à la conquête des cimes, sur fond de drapeau que l’on plantait au sommet, leur semblait une promo évidente des « valeurs aryennes » ; Volontarisme, prise de risque, éloge de la force et de la conquête. 

     Ce ne furent pas les seuls, bien sûr. L’expédition Herzog qui en 50 célébra la France, lors du premier 8000 mètres, fut bien une aventure nationale, Gaullienne, dont un des buts non avoué était bien de restaurer l’image du français combattant, écorné par l’humiliation de la défaite de 40, et ces années grises qui suivirent.

     Et qu’importe parfois les moyens. Aux yeux de certains, peu nombreux il est vrai, seul le résultat compte. On aura beau faire, certains ne parviendront jamais à prendre de la hauteur, resteront terre à terre, même dans un 8000, l’esprit collé à hauteur du plancher des vaches et au calcul matois d’un maquignon,visant avant tout la notoriété, et les avantages qui vont avec.

    Il y a l’histoire officielle d’un escalade, et celle de ses protagonistes sur le terrain. Les paroles et les échanges qui ne seront jamais restituées, la photo qu’on prend là haut fera office de preuve.

Un sommet réalisé en une journée ou deux est un raccourci saisissant de la vie, de ses joies et de ses épreuves. On se lève au matin, le cœur léger, le pas souple. On traverse des pâtures herbeuses et douces avant de commencer à monter les premiers blocs de rochers. Le précipice commence à se profiler. Parfois le ciel hésite. Toutes les décisions ou non, qui vont faire pencher le sort d’un coté ou ou de l’autre, dans le sens le plus élémentaire du terme, on les trouve dans l’alpinisme….Au moment de prendre appui sur un rocher, d’assurer un rappel, on sait bien qu’on paiera cash la moindre erreur d’appréciation. Les sens doivent constamment être en éveil. Arrivé au sommet, on aurait bien tort de se griser. La descente est le lieu de bien des drames. L’esprit se relâche, et la fatigue vous envahie les membres. Vous voilà presque dans la vallée, descendant un sentier herbeux, faisant presque des bonds, tout à l’allégresse. Et voilà qu’en vous retournant, votre compagnon a disparu. Le propre de la montagne est de se refermer sans un bruit sur ceux qu’elle engloutie !

      Seule la mer à cette promptitude quasi animale à vous faire passer par dessus bord, à la moindre erreur, que vous appeliez Tabarly ou non.

 Descendre, ou continuer de monter, quand le temps se gâte ?

     C’est la question que durent se poser Elisabeth Révol et son malheureux compagnon, afin de ne pas perdre la moindre minute de temps.

 C’est la question que se posèrent aussi Herzog et Lachenal, après avoir quitté le dernier camp de base, dans ce fameux « premier 8000 ! ».. Pas longtemps il est vrai, tant Maurice Herzog, tout à sa soif de réussir à tout prix l’exploit força Lachenal, bien plus expérimenté que lui à le suivre, et à avaler couleuvres et dépit.

    Car dans cette aventure, pour un drapeau planté, il y perdra semble t’il bien plus que ses pieds gelés, qu’il fallu amputer.

      Parvinrent ils vraiment sur ce petit plateau ?. Il est permis d’en douter. . Quelques années plus tard Lachenal préparait un livre qui devait être édité quand il disparu dans un accident. La légende du premier 8000 était sauve pour un bout de temps. Les mystères de l'histoire - Maurice Herzog et Louis Lachenal ont-ils …

 Les petits mensonges et même les gestes assassins constituent une part de la légende et du mystère qui entourent ces ascensions mythiques. Si le mont Cervin, décrit souvent comme la plus belle montagne du monde, nombre de cordées y restèrent. La première fut entachée d’un drame, dont on ne sait toujours pas le scénario. Accident ou crime ?….

 Le grand Whymper ne se remit jamais tout à fait de cette affaire, meurtri par la disparition de Michel Croz, ce guide de la vallée dont il s’était fait un ami. Il faudrait retrouver le corps du dernier alpiniste victime de cette corde rompue, afin de d’avoir si elle le fut volontairement, d’un coup de couteau expédiant quatre hommes dans le vide. « Michel Croz, ce grand oublié de l'histoire de l'alpinisme » - Le Journal …

   « Duel au sommet » Tourné en 2009 est l'histoire sans concession au beau et à l’émotionnel, de l'ascension de la face nord de l’ Eiger à l'été 1936 ou Toni Kurz et ses trois compagnons y restèrent . ( visible en streaming) http://bit.ly/2EtgwT1

       C’est peu dire que l’Eiger, et cette face nord si terrible, où le soleil ne brille jamais sur sa face gelée et friable, fut le lieu du drame par excellence. Sa légende noire flirte avec celui des vieilles légendes païennes et des monstres dont il porte le nom. La tragédie qui s’y déroulé en 57 possède tout du drame shakespearien, avec des gladiateurs improvisant une tragédie sur une scène de théâtre minérale....

    Comme lors de la mort de Kurz et de ses camarades, les clients des hôtels situés au pied de l’Eiger, purent voir en toute impudeur, à l’aide de puissants télescopes., une partie de l’ascension fatale.

       Il faudra cinq années pour connaître la vérité et retrouver les corps des deux allemands, et un an pour « décrocher » le corps de Stefano Longhi de la paroi sur laquelle il était harnaché, « battu à mort par la tempête », « se balançant au bout de sa corde l’été, incrusté dans la paroi l’hiver ».

A l'assaut de l'Eiger - le drame de 1957 | Le Club de Mediapart

  Dieu merci, il y a bien des histoires d’alpinisme heureuses. Certains parvenant à caresser les moustaches du tigre et à s’en sortir. Comme la grande Catherine Destivelle par exemple, qui fut une pionnière dans ce monde quelque peu macho, semblablement encore une fois à celui de la voile au large. Catherine Destivelle : « Les Drus, une ascension diabolique » - Le Temps

      Mais l’écouter parler de son passé, c’est aller aussi à la rencontre des ombres, de ceux qui sont restés au fond des gouffres et des crevasses, victime parfois d’un simple piton brisé. Il n’y a pas de science exacte et de précautions suffisantes pour se garder de tout.

France/Monde | Catherine Destivelle : "Il était le plus beau grimpeur"

 La vie est attachée à ces pierres en équilibre précaires, qui peuvent subitement se décrocher. C’est pour ça qu’il n’y a rien de moins con, qu’un accident en montagne, tant le risque est toujours présent.

      Tomber d’un escalier vous apportera bien plus de regret, car on pouvait si facilement prévenir la chute ! ... La vie en elle même doit elle ressembler davantage à une balade sur le balcon des dieux, qu’à une corvée de carreaux à nettoyer. On finit de toute façon par tomber un jour, qu’on soit pénétré du sens du tragique, ou de l’absurde. L’important n'est il pas de s'approcher le plus près du spectacle du monde ?.

     Prévoir tout de même une petite pharmacie dans son sac.

     Ces histoires d’ascension semblent parfois faire descendre les hommes qui y participent dans les zones les plus sombres, les plus étranges. Montée et descente, bien sûr, mais tout autant en dedans qu’en devers soi ! 

     Mais pourquoi donc risquer sa vie en montagne ?  Interrogés en profondeur, au-delà des réponses convenues, genre « parce que j’aime ça !  » représentant déjà en soi une addiction, un comportement compulsif, certains avoueront des difficultés psychologiques, à l’origine de leur passion.

   La grande différence avec un toxique, c’est que la montagne vous grandit, vous apporte à la fois des états émotionnels rares, pleins, authentiques, n’ayant rien à voir avec le shoot d’une injection d’héroïne.

     Certains escaladeurs émérites confesseront que la montagne les a sauvé du suicide, d’une vie confrontée au vide. http://bit.ly/2nrx4U0

     L’affronter en vrai, face à la pente des sommets, serait il une forme de soin empirique ?

     En tout cas, elle vous met en face de choix immédiats, pragmatiques, et vous confronte a la beauté pure, à l’effort simple et rédempteur, bien loin du chant des théories absconses, et de l’attente de Godot, assis sur une chaise, la tête entre les mains, comme le penseur de Rodin.

    Ce n’est pas pour rien que la montagne ou la voile sont souvent choisis par les thérapeutes pour redonner une confiance en la vie à leurs patients. Et que les chemins de Compostelle, ou les remontées de la France d’un pôle à l’autre, qui sont autant de forme de pratique de montagne « à plat »pour le peu qu’on considèrent celles ci comme les métaphores des limites particulières que chacun possède, mais qu’il peut gravir, remportent un tel succès.

    « La montagne, comme dit le slogan, ça vous gagne…. »

  La réussite d’un journée d’escalade, ou d’une simple promenade en montagne vous fait garder longtemps des images étincelantes, vous réconcilie avec des joies primitives : Monter, descendre, sentir son corps, suer, s’extasier, évaluer, parvenir, donner la main, tendre la jambe, sauter. Liste non exhaustive, non imposée. Enfin débranché des contraintes !

    « Homme libre, toujours tu chérira la mer !  »

     Juste prévoir des chaussures adéquates. Un sac pourvu de quelques aliments. Suffisamment d’eau. Des lunettes de soleil.

     Un pull over et un anorak en cas de pluie. Le reste à l’avenant des difficultés. On peut aussi emmener avec soi un livre. La poésie se récite sur ces sommet comme nulle part ailleurs.

     Et à réciter les vers de Rimbaud, on peut estimer alors être à des hauteurs vertigineuses. Même si l’on est simplement dans la plaine, longeant un sentier d’été, par la nature, heureux, comme avec une femme... 

Poème ; Sensation http://bit.ly/2kKrCaU

Robert Charlebois - Sensation - YouTube


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