D’où parlez-vous, Jean-Michel Aphatie ?
par Bernard Dugué
vendredi 21 mars 2008
Cher Jean-Michel Aphatie, sachez que je vous lis avec intérêt, appréciant du reste vos interventions sur Canal et votre franc-parler. A propos des élections municipales, vous avez donné votre interprétation personnelle, jugeant que les considérations locales l’avaient emporté. Du coup, n’ayant pas avoué que le peuple français avait désavoué Sarkozy, vous avez été jugé par votre ennemi juré, Jean-François Kahn, auquel vous répliquez. De notre France lointaine, sachez que nous ne sommes pas dupes et que nous nous amusons parfois de vos interventions. Non sans quelques interrogations métaphysiques. Vos joutes médiatiques sont-elles le signe d’une influence des ténors de la politique, Hollande et Copé et j’en passe, ou bien l’inverse ? A force de priser la mise en scène et le théâtre, vous avez incliné les politiques à se prêter à ce jeu qui, du reste, satisfait l’audimat, cet ectoplasme éructé des « sondagiers » de la vie superficielle et des phénomènes atmosphériques des humeurs politiques. En fin de compte, sachez que je ne crois pas une seconde que vous soyez sarkozyste. Vous êtes plutôt « disloqué », mais rien de grave docteur ; vous êtes comme beaucoup, dans votre microcosme, partiellement coupé du sens des évolutions subjectives et des ressentis populaires. C’est presque naturel. Mais je ne vais pas vous mettre sur le divan pour autant.
Votre interprétation du verdict des urnes participe selon moi d’une dénégation (partielle) de réalité, avec un contresens évident. Bien évidemment, des configurations singulières ont joué. La victoire de Luc Chatel à Chaumont ou celle d’Alain Cazabonne à Talence. Mais, sur le fond, un message clair, la droite a été désavouée. Les exemples que vous prenez pour expliquer l’effet local ne tiennent pas la route. Vous n’avez pas la science des chiffres, Jean-Michel. A Saint-Etienne, le candidat de la gauche, faisant 46 points contre 41 à la droite et 12 au MoDem, l’aurait remporté au second tour si le MoDem s’était désisté, compte tenu des reports de voix prévisibles. Reims, autre signe de votre calcul approximatif. La droite divisée au premier tour certes, mais pourtant réunie au second tour et, au final, 14 points à l’avantage de la candidate socialiste qui l’aurait emporté sans cette querelle des droites. Et Strasbourg, certes, un passif pour l’équipe sortante, mais pas de quoi expliquer les 17 points d’écart. Vous ne voulez pas voir un désaveu politique. Qui, du reste, ne concerne pas spécialement Sarkozy, mais constitue la sanction d’une politique de droite menée depuis 2002, ce que vous semblez oublier, vous qui jaugez la vie politique à l’aune des personnalités et des baronnies, vivant, à l’instar des artistes, dans une autre histoire, dans un autre monde, celui des célébrités, élites, gouvernants. Pourquoi faire l’autruche, pourquoi invoquer des exemples desservant à ce point votre démonstration, non sans avoir été provoqué par le facétieux Jean-François Kahn que je mets dans le même sac, bien que je lui reconnaisse quelque légitimité de part son érudition historique et cette douce folie héritée d’Erasme ? De nos jours, saint Augustin évoquerait plusieurs cités, celle de Dieu et puis celles du monde, avec la cité des médias et célébrités, la cité des artistes, la cité des gens, chacune dotée d’une histoire propre.
M. Aphatie, vous êtes dans la cité des médias, comme d’ailleurs ces politiciens de droite qui ont fait preuve d’une dénégation de réalité et d’interprétation (la gauche n’aurait sans doute pas fait mieux en pareille situation). Les uns invoquant l’abstention, les autres les significations locales, les bons mots des sondeurs et leurs directeurs délivrant les oracles. Il y a ceux qui votent par confiance envers une équipe municipale, par conviction idéologique, par habitude, et ceux qui sont hésitant et font basculer un scrutin. Ils sont les baromètres de la vie politique, représentent entre 10 et 25 % des électeurs et ce sont eux qui traduisent le sens des grandes tendances et en l’occurrence en 2008, la défiance des Français non pas vis-à-vis de Sarkozy, mais de la politique de droite. Certes, Sarkozy a été ostentatoire dans son exposition médiatique, mais ce n’est pas sur ce critère que l’UMP a reçu une cuisante défaite. Mais sur du vécu, de la difficulté à exister, à vivre, à voir un avenir, à joindre les deux bouts, à espérer, à prendre racine dans un mouvement historique et capter une confiance dans des gouvernements successifs depuis 2002.
L’autre soir sur Canal, Martine Aubry vous a rappelé quelques fondamentaux sur la vie des gens, après que vous l’avez titillée sur la gestion du PS, sur qui sera à la tête, Bertrand, Ségolène... comme si c’était une préoccupation essentielle des Français. Vous avez été recadré par cette Lilloise au tempérament froidement chaleureux. Décidément, je vous tiens pour sincère, mais je vous sens comme l’instrument d’un processus qui vous dépasse. Une improbable ruse comme dirait Hegel. Vous contournez le sens des élections. Tel un arbitre briefé par quelque idée préconçue, vous dépossédez les Français du message, du produit essentiel et alchimique de la démocratie, la représentation et son sens. Vous n’avez pas vu quelques tacles populaires ni sifflés les hors-jeu de position de la droite. Mais parfois, vous rectifiez le tir en ciblant les failles politiciennes car vous n’êtes pas un si mauvais arbitre quand vous le voulez.