Daech : vers le triomphe du Religieux sur la religion ?

par diapason
jeudi 31 décembre 2015

Le religieux est une idée noble pour laquelle on ne peut combattre qu’avec conviction profonde, foi et probité. Le sentiment religieux, comme le sacré, accompagne l’homme depuis la nuit des temps. Ce dernier ne pouvant vivre sans un concept supérieur et transcendant.

Se confronter, s’en remettre au jugement suprême, reconnaître les limites sont la marque de notre condition d’après « l’homme grec ». Le mortel qui part sa tempérance renonce à l’hybris, nous rappelle aussi que la racine latine ancienne de notre « homme » est humus : la terre par opposition aux cieux qui la surplombent.

Le religieux est ainsi le fondement de toute civilisation, le socle de son intelligence et de sa culture, il facilite l’appartenance de l’homme au monde qui l’entoure.

La religion quand à elle, est la récupération que des groupes d’hommes ont fait du sentiment religieux afin de servir leurs propres intérêts, défendre certaines causes, éduquer les peuples ou contrôler leur capacités de révolte.

Quand la religion n’est pas manipulation, elle est au mieux tentative d’interprétation de l’intuition religieuse.

Incapable de traduire et de comprendre ce sentiment qui le dépasse, l’homme créa les divinités afin de pouvoir se situer par rapport au mystère de son origine. Il inventa toute une symbolique lui permettant d’assumer sa finitude. Ainsi il créa la religion, à défaut de cerner le Religieux.

« Là ou on veut le plus d’esclaves, il faut le plus de musique » nous disait Tolstoi.

La musique de l’état islamique sonne faux depuis le début, et son objectif de soumettre les populations et de rallier le monde musulman à sa cause ne repose sur aucun message audible.

Les revendications sont à la fois politiques, territoriales, religieuses, les ennemis, tour à tour Occidentaux, Chiites, Américains, Kurdes, Sunnites modérés etc...

La charria, la guerre sainte, la vie réglée par un comportement religieux stricte s’accommode mal du fonctionnement d’un groupe terroriste qui vit de contrebande, massacre, viole prétendument au nom d’un Coran sans cesse trahi et dont le message est perverti.

Nous le savons aujourd’hui parfaitement les « va t en guerre » djihadistes n’ont ni lu ce livre sacré, ni jamais réglé leur mode de vie sur quelques préceptes lié au dogme musulman.

Tous sont d’anciens délinquants, trafiquants, et consommateurs de drogue « reconvertis » en partisans d’une cause qu’ils ignorent. N’importe quelle revendication fera l’affaire dans leur cas, le but étant simplement de massacrer l’ennemi désigné. On le nommera mécréant, cela donnera un coté plus noble aux crimes perpétrés.

Impossible de mener une campagne politique, de prétendre construire un califat durable en prônant une idéologie pure. Impossible de recruter et d’enrôler sur le long terme de nouveaux combattants sur la base d’un concept rationnel, intelligible argumenté et discutable.

Il faut au contraire, et là est la nouveauté, tenir un discours qui trouve écho chez un certain type d’individu en perte de repère, dont le lien social s’est distendu, et qui cherche à défaut d’une vie meilleure, un raison de vivre.

Il faut adapter l’offre à la demande afin de répondre aux besoins du calife.

Et la demande ici c’est de l’humain-consommable, un« produit jetable » en grande quantité, capable de se faire sauter n’importe ou n’importe quand, et de s’exporter beaucoup plus facilement qu’un contingent d’hommes armés.

C’est pourquoi la stratégie tourne à la surenchère violente, abominable, barbare.

Car la barbarie est le propre de l’homme, et la violence un mode d’expression qui lui est propre, au delà de sa vertu cathartique qui réunit la tribu autours du bouc émissaire cher a Feu René Girard.

La violence fondatrice, celle qui tutoie le sacré, celle sur laquelle repose le Religieux et fonde le mythe chez Girard est instrumentalisée par Daech afin de servir un dessein opposé, calculateur, macabre et maléfique.

Ici la violence est libération, abandon de soi, c’est le talon d’Achille de l’être humain en perdition, le dernier moyen d’expression de l’individu qui cherche une signification à son « inexistence ». Il faut l’avouer, c’est très justement que l’état islamique va jouer sur cette corde sensible.

Ainsi la musique du groupe terroriste pourra résonner bien au delà de ses frontières récemment conquises.

Il n’y a chez Merah, Nemmouche, Kouachi, Coulibaly, Ghlam, Abdeslam et consorts, aucun discours politique crédible, aucune motivation religieuse digne de se nom.

Tout passage à l’acte est revendiqué, de la bouche même du terroriste, par la simple appartenance à un « groupe ». On ne tue plus au nom d’Alah mais au nom de Daech ou d’Al Quaida.

De la même façon que l’on porte le maillot d’Arsenal ou du PSG, on brandit le drapeau noir de l’EI.

Il n’y rien d’idéologique, ni de cultuel, on ne vénère plus un mentor, ou un chef de guerre comme ce fut le cas avec Ben Laden.

Désormais la violence s’inscrit dans une logique totémique : l’idole est désincarné au nom d’un concept libérateur nommé jihad.

Au fond peu importe le flacon pour vu qu’on ait l’horreur...N’allez surtout pas parler avec ces terroristes géo-politique, ni même science religieuse !

C’est parce qu’il se revendique du côté de l’islam majoritaire, le Sunnisme, bien qu’il n’ait rien en commun avec le sunnisme modéré traditionnel, que Daech peut compter sur un bataillon de masse prêt à le rallier depuis la totalité du globe.

En Europe, la France est l’ennemie privilégié car on y compte la plus grande population musulmane.

Mais il faut aussi frapper tout les pays qui les bombardent ou qui sont sur le point de s’allier à une coalition internationale menaçante.

L’attentat au Liban, le 12 novembre dernier, est une menace dirigée contre le Hezbollah chiite, une mise en garde : « si vous rejoignez l’Iran et les forces gouvernementales syriennes nous saurons utiliser la minorité sunnite qui se tapie chez vous en attendant son heure »

C’est la stratégie employée en Egypte, Tunisie, et dans tout les pays ou les attentats de l’EI n’ont pas seulement pour but de provoquer le soulèvement des minorités, mais aussi d’éviter que ces états ne viennent enfler les rangs de la coalition.

Il est bon de noter que le printemps arabe n’a touché aucun pays gouvernés par des régimes religieux comme l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït ou encore le Qatar.

Plus encore, Ryad et Doha vont tout faire pour étouffer les aspirations démocratiques des peuples qui se soulèvent.

Pas question de voir la religion dominée par la politique, comme en occident, terre symbolisée par la décadence et la démesure. Ces monarchie l’ont bien compris, la religion réuni les masses au nom d’un idéal, d’une idole commune.

La révolution iranienne de 1979 a été la première à comprendre le pouvoir du message religieux,

Khomeini fit de l’Islam Chiite le concept unificateur d’une société en proie à l’éparpillement démocratique. La menace rouge grondait aux portes de l’empire Perse.

Le Royaume Saoudien sort grandi de cette période de révoltes populaires et malgré quelques décapitations régulières, son image reste acceptable pour ses alliés occidentaux, la religion un modèle en matière de gouvernance étatique.

Ceci nous emmène à nous poser la question de ce qui peut différencier l’idéologie nihiliste de Daech d’une dictature religieuse comme celle pratiquée en Arabie Saoudite ou au Qatar.

Avant cela revenons sur une fausse idée largement répandue, celle qui considère l’EI comme organisation aux convictions nihilistes.

Le nihilisme n’est pas l’adoration du néant, du chaos ou de la mort .

Raisons pour lesquelles on associe l’EI à la pensée nihiliste.

Le nihilisme nie le réel, le substitue par un autre, le remplace par le biais d’une lecture différente.

On peut dire de Platon qu’il est un des premiers nihilistes en ce sens qu’il considère le monde des idées comme supérieur au monde sensible. Ce monde terrestre qu’il nie et qualifie de trompeur, de leurre.

Si l’on devait qualifier Daech de nihiliste , cela relèverait plutôt de sa volonté de substituer au monde civilisé tel qu’on le connaît depuis son origine, un nouvel ordre gouverné par la terreur d’une dictature violente.

Le monde actuel est impie, inférieur par rapport à celui qu’il souhaite instaurer, il n’en est qu’un leurre, une transition en attendant la réalisation prophétique.

Le réel de Daech abolit les différences, les libertés, et tout l’héritage civilisationnel que nous connaissons.

L’utopie de cette organisation est en ce sens nihiliste certes, mais pas suivant le sens d’une simple et vulgaire vénération mortifère qu’elle incarnerait.

C’est la même erreur de raisonnement qui emmena à associer Nietzsche et Heideger à des penseurs nihilistes. Le premier par sa fausse appartenance attribuée post-mortem au partie Nazi, le second par son lien ambiguë avec ce même parti. Refermons la parenthèse.

Le religieux est le principe de base de l’autorité politique des Princes, Emirs et autre monarchie du golfe. Le peuple est dans ces pays certes manipulé, mais d’autant plus facilement qu’il répond au besoin naturel de se soumettre à un principe supérieur, divin, sacré, vénéré etc...

La religion est la pierre de touche qui permet à une organisation terroriste de justifier son action mafieuse et criminelle afin d’imposer son règne de terreur.

Mais cette organisation terroriste, (il faudrait d’ailleurs se poser la question de savoir si l’on peut toujours la considérer en tant que telle), a dépassé les limites de l’abominable.

Le degré de barbarie a dépassé et noyé toute intention originelle de création d’un califat islamique.

A tel point que le monstre risque de se retrouver isolé dans la sphère islamo-musulmane, et ne demeurer au final qu’un phénomène initial, originel et salvateur permettant à l’ensemble d’une communauté religieuse d’effectuer une introspection, une remise en cause de ses valeurs profondes, de faire sa propre révolution en interne et de se débarrasser des ses usurpateurs qui la gangrène en son nom et en son sein. Un phénomène restituant ainsi toute sa splendeur légendaire à une Arabité perdue.

L’état islamiste comme cause de sa propre disparition et symbole du triomphe du Religieux sur la religion.


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