Dangereuse rupture de la politique étrangère française

par Rage
vendredi 11 avril 2008

L’élection de Nicolas Sarkozy devait mettre fin au règne immobile de Jacques Chirac. Si les Français savaient ce qu’ils laissaient derrière, ils ne savaient sans doute pas encore ce qu’ils allaient perdre.

Le non-alignement de la France au puissant allié américain constituait une position d’indépendance enviée par bon nombre de pays européens. Amis, alliés, mais non alignés : Hubert Vedrine l’avait pourtant rappelé avec force dans son rapport de 2007.

Proclamé successeur de de Gaulle, en sachant où cela a conduit en Algérie et en 1968, M. Sarkozy s’est empressé de faire le chemin inverse de son illustre prédécesseur en redirigeant la France vers une réintégration à l’Otan.

Pressé de revêtir les sweats de la « NYPD » pour des joggings people et de rejoindre G. W. Bush pour son premier voyage hors de la France, N. Sarkozy avait donné le ton.

Bercés par les messes du 20 heures, séduits par la liberté d’entreprendre et les facettes glorieuses des Etats-Unis, les Français ne voient pas pour partie les risques liés au fait de s’aligner sur une position atlantiste : les Français ont la mémoire courte.

L’alignement qui placerait dorénavant la France dans les rangs des « alignés » plutôt que dans un rôle de neutralité où la France avait tout à gagner est signe de fragilité. Car en s’alignant sur les Etats-Unis et sur son « club de coopération » qu’est l’Otan, la France se positionne au même titre que le Royaume-Uni comme « cible » pour des terroristes de tout ordre, mais également comme puissance féodalisée aux intérêts supérieurs des Etats-Unis sur le reste du monde.

Une position de vassalité qui ne s’avère donc pas sans risques

Les Français ont, semble-t-il, des lacunes dans leur connaissance de l’Histoire. Si cela n’est pas étonnant vu la sélectivité des programmes scolaires, il est étonnant de constater le silence de connivence qui s’applique aux nombreuses bourdes commises par ce gouvernement d’improvisation.

Affaibli par les tragi-comédies du type parade de M. Khadafi dans les rues de Paris, le rayonnement de la France n’est plus qu’une image relayée par les médias pour laisser croire à la masse que la France pèse encore sur la scène internationale.

Il suffit de voir l’inflexion de l’information donnée au sujet du chemin de croix de la flamme olympique (cf. « quelques incidents » alors que l’on frôlait le lynchage des porteurs) pour réaliser à quel point l’information est distillée, modifiée, tordue dans le sens qu’on veut bien lui donner. En l’occurrence, celui du bon service au pouvoir en place.

Cela fait déjà plusieurs années, et notamment après les essais nucléaires de 1995 puis la crise des « banlieues » en 2005, que l’image de « patrie des droits de l’homme » en avait pris un coup. Temporairement revigorée par la position contre la guerre en Irak et le discours de M. de Villepin à l’ONU en 2003, la France est en train de dilapider son capital « sympathie » au regard d’un monde qui change vite, très vite.

S’aligner sur le « plus fort » constitue une facilité idéologique et sans aucun doute économique (voir les tracés de pipelines et gisements pétroliers/gaziers pour comprendre), mais engage le pays à « suivre » plutôt qu’à être maître de son destin.

Embourbés en Irak, fragilisés économiquement, défiés internationalement, les Etats-Unis ne sont pas dans une phase où l’indexation atlantiste sera bénéfique pour ses alliés. Au contraire, les Etats-Unis auront tout intérêt à demander des appuis et donc à utiliser les forces des alliés pour assumer leurs erreurs monumentales de stratégie.

L’envoi de renforts en Afghanistan, mobilisant près de 60 000 hommes au total (dont plusieurs milliers de Français), et ce depuis 2001, ne fait que traduire cette réalité.

Par ailleurs, la politique étrangère française ne cesse de briller par sa fragilité, accentuant l’affaiblissement par l’alignement. Il est donc nécessaire de revenir sur les « exploits » du règne Sarkozy depuis 2007 en termes de politique étrangère, le tout bien évidemment en scandant que les caisses sont vides tout en jouant du carnet de chèques et autres valises.

Les infirmières bulgares et la parade de M. Khadafi à Paris

Premier coup « médiatique », l’affaire des infirmières bulgares. Capitalisant sur le travail mené par les diplomates européens pour faire sortir les infirmières de prison, M. Sarkozy grille la politesse et cherche à s’arroger les lauriers de leur libération, non sans poser la question du rôle de la femme du président, de ses conseillers ainsi que de l’absence de M. Kouchner et R. Yade.

Pas de valises de billets, mais quelques réacteurs nucléaires et une parade à Paris pour se refaire une santé : voilà le deal établi avec M. Khadafi. M. Khadafi, dictateur « soft » à la tête d’un pays où la liberté d’expression n’existe pas, terroriste à ces heures... aucun problème !

Il voulait se réinsérer sur la scène internationale, la France lui offre l’occasion de parader, y compris à l’Assemblée nationale, le tout à grands frais et sans broncher.

Il paraît que tout le monde s’en fout. Mais quand même.

Où était Mme Yade concernant les droits de l’homme ? Quel a été le prix à payer pour vendre quelques centrales nucléaires et autres armes ? Combien coûte cette politique de « l’urgence » ?

La France a commencé à baisser la culotte. Il paraît qu’il faut fermer les yeux...

L’affaire dramatico-politico-médiatique de l’Arche de Zoé

Occupé par le Darfour - et le Liban -, M. Kouchner souhaitait déployer des Casques bleus pour protéger les populations de l’ouest du Soudan, coincées entre la frontière du Tchad et les milices soutenues par Khartoum.

Ironie du sort, au même moment, une association plus ou moins « opaque » pour venir en aide à des enfants orphelins souhaite réaliser une opération coup de poing sur ce terrain en pleine manœuvre politique.

Plutôt que de faire barrage en amont, voire de taire l’action de cette association, Mme Yade a préféré monter l’histoire au premier rang des faits du 20 heures, donnant ainsi au président tchadien une formidable cible pour monnaie d’échange.

En effet, Idriss Déby est en position de fragilité : les rebelles ainsi que le régime du Soudan peuvent à tout instant renverser son régime (cf. derniers combats de février). L’appui du colonisateur historique ne serait pas de trop pour s’assurer quelques garanties.

L’Arche de Zoé tombe à point.

Cueillis dès leur arrivée au Tchad, jugés expéditivement, ils deviennent - après quelques péripéties de N. Sarkozy avec les journalistes - la monnaie d’échange pour un support militaire.

Quelques discours plus loin, M. Déby troque la grâce (et non l’amnistie) contre des supports militaires. Début février, le deal est conclu. Il paraît que la Françafrique c’est fini...

Pas de valises, mais beaucoup de moyens. N’Djamena est sauvée, les otages peuvent être graciés. Mais l’affaire n’est pas finie car le régime du Tchad est toujours fragile. La mise sous pression se fait toujours via les indemnités et les poursuites en France des membres de l’association.

Ces derniers ont simplement constitué un « jouet » politique. Dommage que Mme Yade n’est pas eu la dimension nécessaire pour agir plus finement et éviter l’engrenage ci-dessus énoncé.

Le sous-marin Kouchner au Liban

Fort de sa nouvelle absence au Tchad, M. Kouchner occupait l’espace au Liban pour soutenir la nomination d’un président anti-syrien au Liban. Des mois de tractation et, à ce jour, toujours pas de président.

La présence même de M. Kouchner pose la question de la légitimité de la France à participer à ce rang à de tels échanges, particulièrement dans un pays coupé entre les pro et anti-syriens, entre les pro et anti-Hezbollah. Cette question est véritablement à se poser quand on sait que M. Kouchner soutenait la guerre en Irak et envisage (cf. entretien télévisé) « le pire, c’est-à-dire la guerre » avec l’Iran. Une fanfreluche, surtout quand on sait le mal que se donne l’administration Bush pour trouver le prétexte qui déclenchera les hostilités.

Encore une fois, beaucoup de vent, peu de résultats.

La répression en Birmanie

Heureusement, l’actualité est bien faite : au mois de décembre 2007/janvier 2008, voilà que la Birmanie tente de faire entendre ses voix opprimées.

Quelques discours, aucune action, un grand vide diplomatique. La répression est opprimée, le black-out règne. On n’en saura pas plus. Mme Yade et M. Kouchner n’en parleront pas plus de 5 minutes.

Pas de pétrole, pas d’achat d’Airbus et de centrale nucléaire ? Donc pas utile.

La tragique saga médiatique du sauvetage d’Ingrid Bétancourt

Entre l’assassinat de B. Bhutto, la déstabilisation galopante du Moyen-Orient et de l’Asie orientale, la répression birmane et autres révoltes en Ethiopie, nous avons le droit à la « saga » Ingrid Bétancourt.

Devenue malgré elle - elle aussi - l’objet politico-économique le plus recherché d’Amérique latine, des années de captivité, des missions et autres avions à n’en plus finir : toujours rien.

Chavez négocie d’un côté, Uribe flingue de l’autre les interlocuteurs. Quelques otages sont libérés, mais cela refroidit les Farc de poursuivre dans cette voie à la vue des réactions des autorités colombiennes.

I. Betancourt n’est pas près d’être sauvée, prise entre des conflits d’intérêts et autres valises de billets. Mais, pendant ce temps-là, on ne parle pas du reste du monde...

La répression au Tibet et l’affaire de la flamme olympique

L’histoire s’accélère. La Chine accueillant les jeux Olympiques de Pékin en 2008 poursuit son travail de répression au Tibet, ce dernier utilisant l’image médiatique pour faire entendre ses souffrances.

Excellente occasion pour « l’Occident » de fragiliser la Chine tout en s’émouvant d’un coup d’un seul des décennies d’oppression au Tibet. Ce n’est pas nouveau (cf. pressions envers Taiwan), mais cela permet de faire pression sur la Chine, reste à savoir dans quels buts réels...

Un excellent prétexte pour revenir sur le devant de l’actualité pour Mme Yade, qui doit-on le rappeler, n’avait pas été conviée au voyage en Chine.

Quelques « conditions » plus tard, un chemin de croix pour la flamme olympique, des déclarations de boycott inadaptées mélangeant fête sportive et transcription de l’incapacité politique à faire changer la Chine, voilà que la cérémonie d’ouverture sera boycottée.

Un aveu de faiblesse supplémentaire, entre « petite décision », confusion des moyens et des fins ; autrement dit, toutes les conditions pour que la situation s’envenime un peu plus.

Cela me rappelle étonnamment certaines pages sombres de l’Histoire où l’on a trop voulu mélanger politique et sport : des dimensions qui devraient pourtant rester hermétiques.

Le Baron de Coubertin l’avait bien compris, l’essentiel étant de participer.

La réintégration de la France à l’Otan et l’envoi de troupes d’appui en Afghanistan

Parallèlement, M. Sarkozy déclare à la suite de sa visite de plusieurs jours au Royaume-Uni sa volonté de réintégrer l’Otan, immédiatement suivie d’une déclaration - sans même avoir consulté une seule seconde le Parlement - d’envoi de nouvelles troupes en Afghanistan.

La primeur de ces dernières informations, sans aucun débat ni échange, est d’autant plus amère que l’Afghanistan constitue une zone d’ombre sur la carte du monde : depuis 2001, rien ne filtre de ce pays en ruine.

Livré à une guerre des clans, le leader Hamid KarZaï ne pouvant sortir de Kaboul sans risquer de se faire tuer, l’Afghanistan constitue une zone de combat permanent qui coûte plus de 100 M€ cumulés par jour écoulé. Une bagatelle.

Après des élections locales perdues, au moment même où l’on souhaite engager un second tour de vis pour faire des économies de bout de chandelle, voilà que nous sommes capables d’engager de telles dépenses - sans parler du bilan humain - sur un terrain militaire où on ne sait même pas qui l’on combat et pour quelles raisons.

Plongés dans une guerre civile rampante, au milieu de civils armés, envoyer de nouvelles troupes constitue la double occasion d’engouffrer encore quelques milliards et de perdre quelques vies humaines. Pour quels résultats ?

L’exemple irakien devrait pourtant donner froid dans le dos... Le goût du pétrole et les enjeux géostratégiques, notamment dans ce pays au carrefour des pipelines, de la Russie, de la Chine de l’Iran et de l’Inde (rien que ça), sont sans doute plus forts que l’intérêt des populations.

Bilan

L’ex-ministre de l’Intérieur est devenu ministre de l’Extérieur.

Les marges de manœuvre des acolytes Kouchner et Yade sont si risibles que les décalages de discours ne font que traduire le malaise qui règne au sommet de la « diplomatie » française.

N. Sarkozy ne souhaite pas discuter avec le Parlement ou même ses ministres des positions à tenir : il souhaite apposer sa vision personnelle en étant à la fois sur tous les fronts, mais aussi sur aucun fond.

S’alignant avec la politique provocatrice des Etats-Unis, ralliée à l’Otan, la France est en train de se lier les poignets avec du fil barbelé, le tout à grands frais. L’Histoire a montré à de nombreuses reprises que les pays « alliés » étaient souvent les premiers à subir les conséquences des pays « puissance ». Le manque de recul, de tact et d’analyse sur les évolutions du monde constitue un risque majeur pour notre rayonnement extérieur, mais également pour notre économie et nos relations internationales.

A vouloir trop faire la morale sans même évaluer notre poids international, cette diplomatie surévalue ses capacités et sous-évalue les capacités des autres nations à utiliser chaque faille à leur propre avantage.

Avons-nous des leçons à donner en termes de médias quand on connaît les manœuvres à l’œuvre pour offrir les chaînes publiques à Bolloré tout en renflouant TF1 ?

Pouvons-nous critiquer les autres pays du monde alors que l’on tend vers un système à la Berlusconi où tous les supports d’information parlent d’une seule et même tonalité ?

Avons-nous les moyens - et est-ce la priorité - d’agir au niveau international alors que nous ne sommes pas capables d’écouter dans notre propre pays les citoyens qui veulent faire avancer les choses ?

Qu’avons-nous à gagner dans « l’atlantisme » alors que la position de refus d’engagement vis-à-vis de l’Irak a prouvé toute sa pertinence depuis 2003 ?

Se mettre en avant et dire aux autres ce qu’ils ont à faire, le tout sans avoir de critique sur les positions américaines constitue la meilleure chance d’avoir un retour de bâton, d’une façon ou d’une autre.

De plus, quand on connaît la politique de défiance, verrouillant chaque jour un peu plus le pouvoir et déstabilisant un peu plus les contre-pouvoirs en France, ce gouvernement s’attèle à créer de la dissension, du mécontentement et de la tension.

Cette stratégie, tant est qu’il y en ait une, risque de se payer cher, à court ou moyen terme.

Crédit photo : americanparano.blog.fr


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