Dans la tête de François Fillon

par Laurent Sabbah
jeudi 20 avril 2017

Le François Fillon de ces derniers mois ne peut pas se décrypter avec les lunettes de la rationalité et du discernement. L’enchaînement des incohérences et des contradictions n’aurait alors aucun sens. Et ils en ont un. L’homme et sa posture, qui est souvent une imposture, n’entrent plus dans un cadre où le raisonnement suffirait à comprendre des attitudes et des comportements devenus illisibles.

L’objectif de François Fillon n’est pas de gagner ou de perdre la Présidentielle. L’hypothèse pourrait surprendre. Elle est contre-intuitive. Cet enjeu est secondaire. Son enjeu majeur, et même vital, est de sauvegarder une intégrité psychique attaquée de toute part. Pour reprendre, la conclusion de Spinoza sur l’aspiration des hommes : chacun « s’efforce de persévérer dans son être ». En clair exister. Ne pas se fragmenter puis s’effondrer de l’intérieur. Tenir debout. Tenir bon. Ne pas s’autodétruire mentalement. L’objectif de l’ancien premier ministre serait celui-là. Seule cette hypothèse est à même de rendre compréhensible la stratégie de communication du candidat, sa résistance inhumaine et, plus largement, sa démarche politique obstinée.

Les indices contenus dans une communication riche en déclarations sont signifiants. Les spécialistes de ce domaine le savent : l’on communique ce que l’on est. Les abords de l’âme se révèlent au détour d’un mot, d’une formule ou à travers la grammaire du corps. Ces traces laissées au fil des phrases confirment bien que la communication se situe au carrefour de la psychologie et de la politique.

Jusqu’au bout !

« J’irai jusqu’au bout ! » n’a-t-il cessé de marteler durant des mois. La curiosité conduit à se demander ce qu’il y a derrière un message répété en boucle et tellement fondamental pour son locuteur. Elle est trop simple pour ne pas être complétée par une autre interrogation : au bout de quoi au juste ? Parler uniquement du scrutin présidentiel semble limitatif. La complexité de l’esprit ne peut se nourrir de ce type de raccourcis. Elle ne serait pas rassasiée. « Le bout de quoi ? » Peut-être le bout d’un rêve, le bout d’une image de soi idéalisée, le bout de l’honnête homme qui ferait le lien entre une image voulue, vertueuse, et une image perçue, vénielle.

Seul

« Je suis le seul … à proposer une alternance, à vouloir agir, à incarner une vraie rupture, à avoir un cap, à proposer un espoir, qui peut avoir une majorité, qui veillera à notre fierté nationale, qui ait autre chose à proposer à la France qu’un écran de fumée ou un statu quo déplorable… » Cette litanie de « je suis le seul » est étrange pour un homme pudique qui d’un coup fait montre d’un narcissisme débridé. Nous pourrions entendre, « je suis seul ». Un aveu pour retrouver une cohérence avec son parcours de solitaire, d’homme secret et discret qui lui a été longtemps reproché. La suite des phrases pourrait révéler les états de son âme. D’un homme déboussolé d’avoir été démasqué et ayant perdu le « cap » alors que « l’écran de fumé » se dissipe. D’un homme au bord de la « rupture » et dont la « fierté » a été meurtrie. En parlant de la France et de son programme, il parlerait de lui. Il chercherait une alternative, une ligne de fuite pour reconquérir son intégrité et sauver sa peau.

Sublimer son « moi »

Retour au 29 novembre dernier. A la surprise générale, l’ancien premier ministre remporte haut la main, et avec 44% des suffrages, les primaires de la droite et du centre. Il était à 10% quelques mois auparavant. Il était moqué. Pour un esprit normalement constitué, et une fois passées les émotions fortes, ce triomphe ouvre un accès royal à la fonction de Président de la République. Le doute n’est plus permis ou alors par coquetterie et fausse modestie. Cela ne semble pas être le genre de la maison. Le rêve d’une vie est à portée de main. Celui dont l’éducation verrouillait les émotions allait pouvoir se délivrer en sublimant son « moi ». Cet horizon ne faisait pas de doutes.

Quelques mois plus tard, patatras, l’impensable se produisit. Le Penelopegate, il serait plus de juste de parler de Fillongate, et ses multiples rebondissements fracturent l’accomplissement du « presque » Président. Un mécanisme décrit par Karen Horney, psychanalyste allemande, se met en route : « Si vous voulez être fier de vous, alors faites des choses dont vous pouvez tirer fierté ». Et l’homme de la Sarthe n’est pas fier de lui. Il serait même pris par un sentiment de honte. Une honte, une culpabilité qui le conduirait sur le chemin destructeur du « mépris de soi »

Péché capiteux

Seul recours désormais : la pénitence. « Je suis chrétien » affirma-t-il comme ultime aveux. Une déclaration inhabituelle pour un candidat. Une déclaration en forme de confession. Confession d’un péché d’orgueil, d’un péché d’argent, d’un péché capiteux. L’homme est nu. Il ne peut plus reculer et doit aller « jusqu’au bout ! ». Au bout de sa pénitence. Au bout de sa mortification, au point même de faire référence à un suicidé que tout sépare : Pierre Bérégovoy. François Fillon ne sait plus où trouver une rédemption pour reconstituer une estime de soi disparue. Le désespoir le conduit à prononcer des mots et à mener des actes incohérents. Et de se souvenir, de cette humiliation devant 65 millions de français lorsqu’il fut traité par son patron, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, de simple « collaborateur », lui, le Chef de Gouvernement d’une des plus grandes nations du monde ! Silence et bouche cousue. Trop cousue. Trop longtemps. Alors, lorsque vient l’heure de la résurrection, la victoire se rapproche, il n’est pas question qu'elle « nous soit volée » sauf à admettre de voir se dérober ce qu’il reste du respect de lui-même.

Dans un ultime aveu, il en viendra à le dire « Je ne vous demande pas de m’aimer... » Mais personne ne lui avait formulé un besoin d’amour pour lui accorder, en contrepartie, un bulletin de vote. C’est pourtant l’histoire qu’il s’est raconté et a voulu partager. Un homme qui parle d’amour durant une campagne qui en manque tant, de mort, de Di.eu en s’affiliant à « Sens Commun » (anti mariage pour tous, anti-avortement) qui le sauva des eaux un après-midi au Trocadéro. Un homme qui ne renonce pas pour aller « jusqu’au bout » et qui ne cesse de le clamer, en ânonnant inlassablement ses discours semaine après semaine, devrait être écouté, au moins par charité judéo-chrétienne. Cet homme et ses tourments intérieurs mérite-t-il d’accéder à la fonction suprême ? Il mérite en tout cas d’apaiser ses intimes turbulences. La communication poussée aussi loin révèle des vertus psychanalytiques. Sera-t-elle capable de panser les blessures profondes de l’âme ? S’il gagne, il deviendra un monarque républicain absolu. A l’inverse, son camp le clouera au pilori. Dans un cas comme dans l’autre, le chemin de croix intérieur se poursuivra pour … « aller jusqu’au bout ! »

*Laurent Sabbah, Conseiller en communication, formateur et auteur de « La communication expliquée à mon patron » Johnson & Brownson Publishing, 334 pages, Amazon.fr


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