David, Hillary, Nicolas, François, Matteo, c’est chamboule tout au sommet

par Karol
lundi 5 décembre 2016

 Après le Brexit en juin, le 8 novembre dernier c’était la première surprise de cet automne électoral avec la victoire inattendue de Donald Trump aux élections américaines. Le 27 novembre, en France, François Fillon remporte haut la main la primaire à droite avec plus de 66 % des voix alors qu’il y a à peine une quinzaine de jours il était crédité d’un score de moins de 10 % par les sondeurs. Ce 1er décembre, François Hollande renonce à briguer un deuxième mandat marquant la faillite du projet social démocrate d’une cogestion harmonieuse et plus humaine du capitalisme. En Autriche l’extrême droite est à la porte du pouvoir avec 47 % des voix, en Italie le libéral Matteo Renzi doit démissionner après la victoire du « non » au référendum de ce dimanche avec Beppe Grillo qui pointe son nez. Partout dans le monde les partisans d’une économie ouverte et mondialisée, les « forces de progrès » sont désavoués. La victoire d’une droite autoritaire, conservatrice, matinée d’un zeste de nationalisme marque la fin d’une époque de concubinage entre le libéralisme économique et le libéralisme libertaire, flirt entrepris sur les barricades de Mai 68. A Cuba, Fidel, le dernier héros de cette génération romantique des années 60, s’en va, emportant avec lui l’utopie du communisme dans un seul pays.

Le problème est que les bobos branchés du « village global », héritiers de ce partage des tâches entre la gauche sociale démocrate, mère de ce libéralisme culturel et la droite de gouvernement, gardienne du libéralisme économique, ne sont plus assez nombreux pour compenser dans les décomptes électoraux la masse des mécontents, des déclassés, des victimes de tout poil de ce capitalisme global, reclus dans les zones périphériques rejoignant ceux qui n’ont jamais fait très sexy dans ce grand happening global, les paysans et la petite bourgeoisie provinciale.

L’IMPASSE DE LA LONGUE MARCHE VERS LE MARCHE GLOBAL

Depuis Giscard, c’est dans l’alternance que les gouvernements successifs ont «  libéré  » l’économie de la tutelle de l’État et ont «  émancipé  » l’individu de toute autorité.

La droite, encore otage d’un électorat fidèle aux valeurs des partis conservateurs, droite patrimoniale et chrétienne, des beaux quartiers et des terroirs, a accepté bon gré mal gré de sous-traiter à la gauche libérale les réformes sociétales. Électorat qui s’est réveillé avec la lutte contre le mariage pour tous et qui se retrouve aujourd’hui autour de la candidature Fillon. Cahin-caha, un pas du pied droit, un pas du pied gauche, dans un environnement international acquis à la mondialisation des échanges, après la chute du mur de Berlin, les gouvernements successifs de gauche comme de droite ont détricoté les lois sociales qui tenaient encore en laisse l’hégémonie du capital sur le travail, en faignant d’adoucir ces sacrifices par plus de droits et de libertés donnés à l’individu dans la conduite de sa vie privée.

Après quarante ans de ce petit jeu, de ce « capitalisme de la séduction « , le citoyen ordinaire n’y trouve pas son compte même s’il peut désormais se marier avec qui il veut. Au lieu de temps libéré grâce à l’augmentation de la productivité par le progrès technique, c’est l’allongement des années de travail, le chômage, le déclassement et les emplois précaires. L’ouverture au monde et l’internationalisation des échanges ont eu pour conséquences les délocalisations et le démantèlement des économies locales. L’égalité de tous devant la loi et le respect des libertés individuelles se réduisent trop souvent à l’affirmation des égos et au recours de manière inconsidérée à l’exercice du droit et de la justice pour régler les conflits et ils se heurtent aussi à l’accroissement sans fin des inégalités et à la voracité de certains. Dans un contexte de déclassement des classes moyennes et d’émergence de ghettos urbains, la société se morcelle en divers groupes catégorielles, ethniques ou religieux, attisant le communautarisme et la guerre de tous contre tous.

Alors que l’on prône à juste titre l’égalité des races, l’égalité des sexes, l’égalité des droits pour les minorités, les inégalités de revenus et de patrimoine atteignent des sommets et on oublie de lutter pour la justice sociale et pour le respect des droits des travailleurs, de tous les travailleurs qu’ils soient immigrés ou non, femmes ou hommes, intérimaires ou en C.D.I., chômeurs ou fonctionnaires.

Quatre décennies plus tard les valeurs portées historiquement par la gauche ont été dévoyées par l’extension du libéralisme à tous les domaines de la vie humaine. Le paysage se trouble et on ne perçoit plus très bien qui est qui dans ce brouillard idéologique où tous les dirigeants en costume sombre et cravate bleu foncé ne se distinguent plus.

Avec l’ouverture des frontières et la promesse d’un avenir toujours plus radieux, la mondialisation n’a eu comme conséquence que le pillage des ressources, la contamination des milieux naturels et une explosion des inégalités avec une concentration des richesses inégalée jusqu’à présent qui a repoussé et jeté dans la précarité ceux que hier elle avait tenter de séduire. Peu à peu on ne fait plus société car on a plus rien à partager. La croyance au progrès émancipateur ne fait plus recette et on commence à être nostalgique d’un passé révolu.

A la crise économique et sociale s’ajoute une crise de la représentation politique des pauvres « travailleurs-consommateurs ». Les élites des partis de la gauche de gouvernement tournent le dos au peuple et s’adressent aux minorités en tous genre ; au lieu de rassembler on divise. Tout ce qui est populaire est méprisé. Dans ces terres délaissés du péri-urbain et des chefs lieux endormis de la France profonde, l’extrême droite et les partis populistes sont les seuls à exploiter ces friches électorales. Le Front National en France, Trump aux USA, l’UKIP en Grande Bretagne, Beppe Grillo en Italie, tous ces partis et candidats populistes prospèrent en exploitant la rancœur et les frustrations de tous ces perdants de la mondialisation.

Les gagnants de moins en moins nombreux doivent faire face à des perdants en nombre croissant qui prennent conscience de la grande manipulation dont ils ont été les victimes. Ouvriers, paysans, petite bourgeoisie provinciale, déracinés et relégués dans un péri-urbain sans âme, tous les oubliés et victimes du » Grand Marché » se détournent de ceux qui leur avait promis, en les invitant au bal , un progrès matériel sans cesse renouvelé avec l’espoir d’un peu de progrès social qui se révèle impossible à satisfaire. Aujourd’hui le progrès technique ne fait plus rêver, au contraire il fait craindre le déclassement et la précarité.

Cette crise révèle aussi l’ampleur du déficit de démocratie et la concentration du pouvoir par une obscure technocratie autour d’hommes politiques dont le seul programme est de servir les intérêts de ceux avec qui ils se sont assujettis. Alors pour tenter de perpétrer son hégémonie, et devant l’impérieuse nécessité dans nos démocraties formelles de constituer des majorités, « les prestataires de service » des multinationales doivent reconfigurer leur majorité et changer de registre. Les « hipsters » narcissiques des grandes métropoles et les minorités de toutes sortes ne suffisent plus pour construire des majorités. Alors il faut aller voir du coté de tous ces perdants, ces nostalgiques d’un passé idéalisé, daigner leur parler et leur dire qu’après les avoir plumés on est prêt à les écouter, à les protéger de tous les maux d’une mondialisation débridée. On va leur signifier que tout cela est la faute à cette gauche mondaine et hautaine qui au nom d’un idéal humanitaire a prôné la politique du laisser faire, a ouvert les frontières, encouragé le communautarisme, détruit la culture et les traditions nationales. Ainsi après les avoir marginalisés, fragilisés, en leur imposant le « désordre, l’insécurité et le laisser-faire » on est prêt aujourd’hui à aller les chercher en utilisant les registres de la sécurité, de l’ordre et de l’autorité. Telle est la clé de la victoire des populistes en Grande Bretagne, aux Etats-unis comme en France. Trump n’est pas encore installé à la Maison Blanche que déjà il renie ses promesses, s’entourent d’ hommes et de femmes de sa classe et de son clan de milliardaires et se réconcilie avec Wall-Street.

Il n’y a rien à attendre de ces bad boys de la politique qui parlent fort mais se gardent bien dès qu’ils sont élus de remettre en cause la domination du capital et les clés de redistribution de la richesse créée, retardant du même coup la prise de conscience chez la plupart des victimes de la nature profondément destructrice de cette idéologie libérale qui se refuse à imposer des limites dans l’accumulation et l’appropriation des richesses.

En France comme ailleurs les perspectives sont bien sombres. Avec la déconfiture de la gauche de gouvernement, la droite est prête à achever le démantèlement de l’état social, à en finir avec le code du travail et à diminuer encore la valeur du travail tout en se réconciliant avec la partie la plus conservatrice de son électorat. Faute de projet alternatif crédible, les victimes de la marchandisation du monde, de cette Europe qui ne les protège pas, ne peuvent jusqu’à présent que se détourner d’un système qui n’a de démocratique que le nom ou de crier leur colère par un vote « anti-système », peu importe si celui-ci à l’odeur nauséabonde de l’extrême droite. Six mois avant l’échéance que nous impose le calendrier électoral on ne peut qu’espérer que la dynamique qui semble naître autour du mouvement "les insoumis" puisse fédérer et porter un projet politique réellement démocratique à la fois émancipateur et protecteur, fraternel et solidaire, respectueux des ressources terrestres et de notre environnement. Peu importe l’homme qui incarne ce mouvement, ce qui comptera demain ce sera à la fois les idées et la force de la mobilisation sociale qu’il sera capable de mettre en branle pour mettre fin à cet ordre établi profondément injuste. « Rejeter le socialisme sous prétexte qu’il compte en son sein de piètres personnages est aussi inepte que de refuser de prendre le train parce que le contrôleur a une tête qui ne vous revient pas » écrit Orwell dans « Le quai de Wigan ». ( 1)

Avec la disqualification de cette gauche libérale et « progressiste » à pouvoir proposer un projet alternatif au capitalisme il reste à espérer à l’émergence d’un mouvement populaire qui remette à l’ordre du jour l’utopie socialiste originelle pour en finir avec cette arme de destruction massive qu’est l’utopie libérale.

LA SCIENCE DU PARTAGE

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(1) cité par J.C. Michéa dans » Le complexe d’orphée » Page 350 Editions Climat.


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