De Dien Bien Phu à Occupy Wall Street

par Montagnais .. FRIDA
lundi 23 juillet 2012

Variations sur les thèmes du capitalisme destructeur et de la pérennité des luttes.

Variations sur une multitude d’images du même combat, environnementalistes contre capitalisme, Giap contre Navarre, Viets émaciés contre GI’s gonflés, traders insolents contre va-nu-pieds, Giap contre Westmorland, OWS contre Wall Street, David contre Goliath, Jacques contre Bobo’s, pauvres contre riches..

Céline le cynique nous avertit, qui ne se trompe jamais : entre fortunes égales, les différences de religions ou de races ne sont que vétilles, le véritable rideau de fer, il passe entre les riches et les pauvres.

On doit ajouter que le rideau de fer, il passe de nos jours entre ceux qui voient s’opérer la destruction de la planète et ceux qui n’en ont – et n’en veulent avoir – aucune conscience.

A ce niveau, devrait intervenir un travail d’épistémologie, une mise en question radicale du sens des mots et de leur emploi, car le capitalisme falsifie tout, les comptes, la monnaie, les mots, les rôles..

- Environnementalistes ?

- Démocraties ?

- Occident ?

- Développement ?

- Croissance ?

- Riches, pauvres ?

- Liberté ?

- ..

Nous n’en viendrons pas à bout ici.

Les proles à mille Euros sont certes enchaînés, endettés, aliénés. Ils ne sont pas pauvres en regard de plus des deux tiers des humains, la preuve, c’est grâce à nombre d’entre eux que sont payés les saltinbanques, les paillasses et les banquistes à 14 millions de dollars . Le soldat viet nourri de riz et de poisson séché, cheminant pieds nus dans la jungle, a une « empreinte écologique » combien de fois moindre que celle de son ennemi français ou américain ?

Le soldat viet de Giap serait ainsi du bon côté.. de tous les bons côtés même pourrait-on dire.

Wall Street, les capitalistes, ont été battus pour la première fois dans l’histoire par les soldats de Giap. Pour ceux qui penserait que Dien Bien Phu ne serait qu’une affaire française, rappelons notamment que les équipements étaient américains, chars, avions.. que la France avait encore reçu des milliards d’aide en septembre 53, que 20 nations composaient le CEFEO, y compris les allemands rescapés de la guerre en Europe, que pas grand chose ne se faisait sans en informer Foster Dulles..

 

Qu’on ne se méprenne pas.

L’évocation de la bataille de Dien Bien Phu et le rapprochement opéré avec l’OWS – Occupy Wall Street - ne nous permet pas de revendiquer ou d’attribuer au travers de nos textes la moindre once de la gloire attachée au sacrifice tant des vainqueurs que des vaincus de la première grande bataille d’hommes livrée et perdue par les capitalistes.

La mémoire des sacrifiés, si nombreux, quels que soient leur camp, invite à la prudence et à l’humilité.

Il s’agit simplement d’essayer d’indiquer au mouvement de lutte OWS et à ceux qui s’opposent à la puissance destructrice de Wall Street une partie de l’intelligence, de la détermination, de la patience, des méthodes qui ont permis à un Giap d’offrir la victoire à son camp. Vastes et ambitieux objectifs néanmoins. Il s’agit aussi de montrer nombre de similitudes entre des situations à 60 ans d’intervalle qui, si éloignées soient-elles en apparence, relèvent exactement de la même problématique.

Il s’agit encore, et simplement, d’exposer quelques réflexions alternatives, d’indiquer d’autres voies, d’observer et éventuellement d’accompagner le mouvement de la Kehre, du tournant historial en cours et à l’œuvre en notre époque, de dénoncer le désastre capitaliste à grande échelle, même s’il approche de sa fin.

Bigeard lui-même dans « Pour une parcelle de gloire » relate que, prisonnier des Viets, il est qualifié d’ « officier des capitalistes », égoïste, mercenaires.. par les commissaires en charge de sa « rééducation ».

 

« Bandes de cons » pensaient-il avec Langlais..

Il n’empêche. La réalité était bien là.. Les Français plongés dans le drame (pas tous de la même façon s’entend..) ont bien été obligés de la regarder en face cette vérité : la « lutte de l’Occident contre le communisme » déguisait difficilement une guerre capitaliste et purement coloniale, au sens de « colonie d’exploitation », et encore, plus capitaliste que coloniale.

Nguyen Binh, envoyé en 45 en Cochinchine avec les pleins pouvoirs pour organiser la guerre, par Ho Chi Minh lui-même n’était même pas communiste.

Des tas d’observations du type de celles faites par Bodard, particulièrement inspiré, au sujet de la guerre d’Indochine permettront d’en confirmer le caractère capitaliste et continuerons d’expliquer notre réalité au XXIème siècle, celle-ci par exemple :

« Un jour, l’on s’apercevra que, face à notre Vietnamien de la piastre, se dressera « l’Homme vietminh » - un être nouveau, un inconnu que l’on croirait moralement et physiquement d’une autre race – un immense cas de mutation. »

« Un jour, face au prole de la société de surconsommation.. »

Bodard toujours : « La guerre d’Indochine, (est) menée objectivement au nom de l’intérêt du commerce français, pas de la France. » 

« Maintenant, même le peuple a assez d’argent pour satisfaire sa passion du jeu : autrefois, il était trop misérable pour cela. »

« Les milliards s’abattent sur l’Indochine comme une pluie fécondante. La production, le travail ne comptent presque plus. Ce qui est important, c’est la dépense, tout ce qu’elle entraine : le commerce, les plaisirs, les importations, les circuits financiers, les spéculations, les trafics.Dans la nouvelle économie, artificielle mais merveilleuse, la piastre roule, tout grouille d’activité. »

« la guerre se fait au milieu des pacotilles.. »

« Jamais les sociétés n’ont payé de pareils dividendes à leurs actionnaires. »

Jusqu’à de Lattre qui s’emporte : « Et dire que c’est pour les hommes d’affaires et leur sale argent que mes soldats se font tuer. »

« Qu’importe si le colonialisme meurt si le capitalisme reste. » note-t-on ailleurs.

Que tout cela sonne d’actualité ! Que de similitudes de Dien Bien Phu à Occupy Wall Street, ou à Wall Street plutôt !

De nos jours, le mensonge s’est étendu au concept de démocratie, de liberté, de développement, qu’on nous assure durable désormais, de morale, d’éthique et d’esthétique..

L’Occident a disparu, n’en déplaise au grand Jules Roy, qui y fait pourtant amplement référence en tordant sans ménagement l’ordre des choses et en évoquant Crécy, Azincourt, la chevalerie.. dans son ouvrage « La bataille de Dien Bien Phu ».

Faut-il le rappeler ? L’Occident, c’était le règne de l’homme blanc, de la Chrétienté, de l’héritage classique, de la philosophie, du semis à l’infini d’églises et de cathédrales, de la musique sacrée, de la vision transcendantale du monde, de la spiritualité. L’Occident, c’est le Lieu où la mort n’existe pas, pas même un instant, le Lieu où il n’y a que deux vies, sans autre alternative.. A mille lieux du Cordicopolis actuel, du règne de la matière et de la pacotille et du système marchand, à mille lieux du Kali Yuga, de l’abrutissement irrémédiable des masses.

L’Occident a disparu il y a 200 ans peut-être, dans les derniers grands flamboiements des quatuors de Beethoven et les écrits de Hegel. Talleyrand note dans ses Mémoires que l’Amérique représente la plus grande menace pour la France.. Le 19ème siècle inaugure ensuite l’engouement généralisé pour les expositions de marchandises, le règne triomphant de la boutique, les guerres pour le lucre..

 

L’Occident a disparu, englouti sous le matérialisme et l’impérialisme américain et Wall Street.

 Le Corps Expéditionnaire en Indochine, tous comme les Américains ensuite et jusqu’à nos jours, ne font que consommer de l’industrie de l’armement et défendre le trafic de la piastre et du dollar, les plantations d’hévéa, le commerce de la cuisse, l’industrie du divertissement et de la réclame.. En ce sens il ne représente plus l’Occident qu’au travers d’une illusion.

Etaient-ils dupes de leur métamorphose et de leur état mercenaire au service des capitalistes les Navarre, Cogny, Castries, Bigeard.. ? Ne voyaient-ils pas que l’armée française n’était que le chef-d’œuvre d’une civilisation morte, pour reprendre les termes de Bodard, comme un fauteuil Louis XV ?

Il est vrai que pour Bigeard on s’émerveille encore : il vivait comme les Viets lui, un peu, il avait, comme eux, la maladie d’un idéal absolu, la France pour lui, comme eux avaient de façon absolue l’idéal de la Liberté. Bigeard, Il a conduit sa vie comme un moine selon ses propres termes, il n’a eu qu’une femme dans sa vie, une seule passion, la France, Gaby.. Il vient du monde pauvre et austère autant par choix que par nécessité. Ses facultés de penser, taillées à la hache, simplifiées à l’extrême, montrent à l’évidence qu’il aurait été un excellent soldat allemand, ou un excellent soldat soviétique, ou un excellent soldat américain ou viet, selon les circonstances. Un des rares « fana mili » point-barre au milieu des carriéristes abondamment pourvus de femmes, de putes, de dollars, de wiskies, de pinard, largement décorés par un pouvoir politique de copains-coquins corrompus, stipendiés-vendus..

On se reportera, pour approfondir, à « La guerre d’Indochine » de Bodard, ou a des revues comme « NAM » qui, sans vergogne, font leur fond de commerce du scandale de l’époque, comme le font actuellement les media du scandale de la Lybie ou de la Syrie.. « Saigon, capitale du vice »..

Guerres, belle aubaine pour le Spectron et la presse vide-pot, au même titre que le foot ou le vélo, au même titre que les grand-messes de madame Madona, Bob dit l’Âne et autres chanteurs de variétés qu’on a tôt fait de nous faire avaler comme Phoenix du monde de la « Culture »..

Bodard écrit : « les sociétés et compagnies capitalistes financent des bandes privées pour défendre leurs plantations, leur hévéas et leurs mines ».

Qui peut encore croire en l’Occident ? En la défense de l’Occident ?

Puisse l’OWS éviter la confrontation armée avec ses adversaires, assurer sa victoire en manoeuvrant habilement ses idées plutôt que d’envoyer 100 000 contestataires à la mort. Le déchainement de la violence est la réaction naturelle du capitalisme, la bataille de Dien Bien Phu a été décidée à Saigon et Hanoï. Le capitalisme aux abois a toujours relancé son système en organisant et déclenchant la guerre.

Puisse-t-il aujourd’hui s’effondrer sur lui même et périr par des raisons qui n’appartiennent qu’à lui. Cet espoir n’est pas insensé a ce jour, Mais..

Malheureusement, le capitalisme contemporain a encore des moyens quasi infinis de financer des bandes privée lui aussi, il ne s’en prive pas, pour défendre ses plantations, ses hévéas, ses mines et, ce qui est nouveau, son système généralisé d’argent faux et de show-biz mondialisé..

 

Wall Street, métonymie par excellence

Dans ce texte, on aura compris que « Wall Street » désigne tout à la fois, par effet de métonymie, l’impérialisme de l’Amérique et de ses vassaux, le capitalisme, leurs multiples bras armés et serviteurs, appareil militaire, industrie de la réclame et de l’amusement publique, le Nouvel Ordre Mondial, la « Démocratie » ainsi que la vision mono dimensionnelle qu’ils incarnent. On devrait d’ailleurs plutôt parler d’absence de vision du monde..

Logiquement, il s’en suit que l’OWS – Occupy Wall Street – désigne le tout petit David confronté au géant mononucléé Goliath. L’OWS prend ainsi le rôle du maigre petit Viet contre le gros mercenaire de Wall Street décervelé, bardés de mille jouets meurtriers, tout gonflé de son or et de ses illusions sur la démocratie, le bien, la Liberté.. qu’il ira au besoin enfoncer dans le crâne de ses adversaires à mille lieux de chez lui à coup de missiles.

 

L’entreprise de Wall Street, c’est la destruction du monde

Wall Street et ses avatars, depuis 150 ans, ne produit rien, absolument rien en dehors de ses illusions et de ses mystifications et de ses cauchemars. Wall Street ne fait que bouffer son substrat, bestialement, jusqu’à épuisement.

Les êtres qu’il a fabriqués, grand-prêtres de son culte à Mammon ou obscurs dévots collaborateurs tout au bas de l’échelle se caractérisent par leur incapacité totale à penser le monde au delà de quelques images simplifiées que leur délivrent à plein seaux le Spectron et le réseau des réseaux.. Ces zombies adhèrent totalement et docilement au modèle comportemental concocté pour le plus grand bénéfice de ses affaires par le Haut-Clergé de cette église de Satan.

Les hordes d’esclaves lobotomisés n’ont qu’une exigence : qu’on les mène pâturer gras, qu’on ne les prive pas de leurs stupides jouets et de leurs stupides occupations. Tout prole qui a quarante ans n’a pas de tondeuse à gazon a raté sa vie. C’est Ségala qui l’a dit, grand organisateur et chantre enthousiaste aux grand-messes..

Le troupeau est ainsi bien gardé, enlacé dans une mortelle tautologie : sa vision est formatée par ses maîtres et ses maîtres lui procurent les images qui s’y conforment, le gave sans compter de ce à quoi on l’a habitué.

Jules Roy peut bien relayer l’imagerie populaire des Viets termites cruelles, Bodard des hommes-insectes.. Quels noms donner à nos hordes d’esclaves pansus et motorisés, alcoolisées, abruties de foot et de variétés ?

Cette destruction du monde entreprise par Wall Street, elle se fait pour des besoins économiques, pour satisfaire les besoins d’un système de surconsommation. Elle s’opère aussi pour des besoins militaires, toujours liés dans le système des capitalistes et qui se poursuit sans relâche, à vaste échelle désormais, en dépit de la résistance de façade de quelques ONG ou de quelques écolos, en dépit de l’impuissante résistance – pour l’instant impuissante – de mouvements comme l’OWS.

 

Dans l’actualité : « Industries continue to pollute and cause irreparable environmental damage in their quest for higher profit. »

Cette destruction systématique de la planète, après celle des hommes, a démarré il y a plus d’un demi-siècle.

C’est au début des années 50 que furent utilisés, par exemple, et pour la première fois les défoliants au Vietnam, utilisation expérimentale qui se transforma rapidement en véritable et efficace programme de destruction systématique des cultures. Lorsqu’en 1970 l’opération Ranch Hand se termine – rappelons au passage avec quelle finesse Wall Street nomme ses opérations militaires, Geronimo.. – c’est plus de 70 millions de litres de produits toxiques, agents orange, bleu, blanc, qui avaient été pulvérisés sur un cinquième de la superficie totale de la jungle vietnamienne dont plus d’un tiers de ses forêts de palétuviers, soit environ 2,3 millions d’hectares, plus que la superficie de la Belgique pour donner une idée, ou de la Suisse..

Mais, dans cette forme moderne de la guerre totale qui porte en elle-même la coopération entre ennemis, le vainqueur sera très certainement celui qui sait diriger scientifiquement les compromissions, celui qui se vouera totalement à sa cause – peut-être aidé par Maman Terre ou par les Dieux..

La leçon du cochon nous rappelle que ceux qui se régalent de cochon ne sont en général pas près à mourir lorsqu’il n’y a plus de cochon..

Voilà ce qu’il leur aurait fallu à Occupy Wall Street, le 12 septembre 2012, à Zuccotti Park, New York, au côté des vétérans qui s’étaient joints : Giap et Bigeard..

 


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