De Gaulle : À défaut des Anglo-Saxons, si ce n’est Hitler… ce sera Staline

par Michel J. Cuny
samedi 26 septembre 2015

En dehors du fait de savoir quelle cible désigner à la France dans le cadre de la prochaine guerre pour laquelle De Gaulle comptait bien l’organiser et la doter de l’appareil militaro‒industriel correspondant, une question cruciale se posait à lui : où prendre le coke nécessaire à une sidérurgie de guerre ? en Allemagne ? en lui arrachant la rive gauche du Rhin ?...

Le 15 octobre 1946, alors qu’il a quitté le pouvoir depuis neuf mois ‒ et qu’on ne l’a toujours pas rappelé, contrairement à ce qu’il avait espéré pendant un temps ‒, De Gaulle s’entretient avec le professeur René Capitant, à Colombey-les-Deux-Églises, en présence de son officier d’ordonnance, Claude Guy  :
« Vous vous rappelez que je me suis rendu en Russie à l’automne de 1944. Je ne vous dissimulerai pas encore que mon intention en allant à Moscou n’était pas simplement d’échanger avec Staline une signature sur un bout de papier. Non, ce que je voulais surtout, c’était me rendre compte ! Je voulais voir ce qu’il avait dans le ventre à propos du Rhin. » (Claude Guy, page 140)

Automne de 1944… C’est le moment où Maurice Thorez rentre en France… C’est le moment où le parti communiste décide de dissoudre les milices patriotiques… C’est donc le moment du grand compromis historique… C’est-à-dire que c’est le moment qui va garantir la disparition définitive de la souveraineté du Conseil National de la Résistance, souveraineté voulue et obtenue en 1943 par Jean Moulin qui en a aussitôt payé le prix sous les tortures d’un Klaus Barbie

Ainsi, c’est en toute souveraineté que Charles de Gaulle se rend auprès de Joseph Staline… Pour en obtenir quoi ? Et à quel prix ? Voici la suite immédiate de la précédente citation :
« Et j’étais prêt, en mon for intérieur, à prendre avec lui l’engagement de le soutenir en Pologne, en Roumanie, etc., contre un soutien catégorique de sa part dans notre combat pour le Rhin. À propos de la Pologne et de la Roumanie, j’ajoute que je considérais comme inévitable que ces pays et d’autres encore tombent sous la tutelle des Russes. Donc, en échange de notre sécurité sur le Rhin et à propos d’un engagement précis et catégorique sur ce point, j’étais prêt, oui, à fermer les yeux. » (page 140)

Très fort, n’est-ce pas ? Et il ne faut surtout pas oublier les "etc." Ainsi, c’est Staline qui a dû être un tout petit peu surpris…

Nous aussi.

Pour quelle raison Charles de Gaulle se sera-t-il pareillement jeté dans les bras de Staline, de son propre aveu ? Parce qu’il savait que, pas plus que les Anglo‒Saxons n’avaient accepté, en 1918, de céder la rive gauche du Rhin à Foch, ils n’accepteraient, cette fois-ci, de la céder à lui-même, et le charbon de la Ruhr avec. Il s’est donc précipité, dès que possible, à Moscou.

Il y arrive en novembre 1944, tout juste après avoir fait ouvrir les ondes radiophoniques à son ministre de l’Économie nationale, Pierre Mendès France, dont le plan ‒ qui ne sera jamais mis en application ‒ servait à masquer le basculement imminent vers celui de Jean Monnet. Or, ainsi que l’explique le spécialiste du plan Marshall, Gérard Bossuat  :
« Autant le plan Mendès France, avorté, s’inscrivait dans un courant planiste antérieur, mâtiné d’expérience soviétique, autant le plan Monnet nous paraît être l’expression d’une conjoncture. » (Gérard Bossuat, I, page 73)

Sans doute les communistes français auront-ils assez facilement avalé la manœuvre… Mais Staline  ?

Avant d’en venir à lui, indiquons qu’Hitler aurait très bien pu expérimenter la même surprise que lui. C’est que De Gaulle s’affole tout de suite de ses amours déçues. Et tout spécialement quand elles mettent en cause les Anglo-Saxons, sous les deux espèces des Britanniques et des États‒Unis.

Alors, Hitler  ?

Prenons ici le témoignage de Claude-Bouchinet Serreulles qui était devenu l’officier d’ordonnance de Charles de Gaulle le 23 juillet 1940. Il rapporte ce qui lui a été dit par le Général en août 1942 :
« Il faut que les Français le sachent. Je ne peux continuer à marcher avec des alliés qui s’acharnent à saper partout la position de la France, qui veulent me voler le Levant, qui n’ont ni politique ni stratégie, qui se bouchent hermétiquement les oreilles dès que je veux leur enfourner quelques idées, qui tandis qu’ils me dédaignent vont se pendre aux basques des moindres valets de Vichy, ces démocraties qui entretiennent des ambassadeurs au pays de l’Ordre Nouveau… Je dirai bientôt tout cela dans un discours retentissant… » (Claude Bouchinet-Serreulles, page 227)

Or, ce n’est pas en vain qu’on "dédaigne" De Gaulle. Car, c’est aussitôt "la France" elle‒même qui se rebiffe, et pas celle de Pétain, mais une tout autre… dont nous allons découvrir l’identité avec une certaine stupeur.

Même Claude Bouchinet-Serreulles ‒ qui ne devine pas encore quel monstre va se dresser devant lui… et devant nous ‒ s’inquiète :
« Je mets aussitôt le Général en garde devant l’utilisation que pourraient faire nos ennemis de telles déclarations. Ce serait de l’or en barre pour la propagande hitlérienne, lui dis-je. » (page 227)

Et il nous rapporte la suite qui va nous permettre de faire connaissance avec cette belle France d’un Charles de Gaulle, quand il se fâche, et que son officier d’ordonnance tombe à la renverse :
« Mais je marcherai avec Hitler, me répond le Général qui reprend là son paradoxe. » (page 227)

Un paradoxe ! Mais quel paradoxe ?

Le voici tout cru :
« S’il est prouvé que la France ne gagne rien à continuer la guerre avec les Alliés, qu’au contraire elle perd tout, eh bien ! la France renversera sa politique et gagnera la guerre avec Hitler  ! J’ai toujours dit qu’il n’y avait que deux politiques : celle de Déat et la mienne ; si la mienne échoue, je me rallie à Déat. Il n’y a qu’un guide valable à toute politique, c’est l’intérêt national. L’intérêt national devient-il de marcher avec Hitler ? Alors vous verrez ce que deviendront les démocraties, elles ne feront pas long feu !  » (page 228)

Hein, qu’elle est bonne !...

N.B. Pour la suite de mes travaux

- sur la trajectoire politique réelle de Charles de Gaulle,

- sur le pourquoi de l'élimination physique de Jean Moulin,

- sur les fondements doctrinaux et politiques de cette Cinquième République qui aura servi à faire courber l'échine au peuple de France sous l'hégémonie d'une bourgeoisie européenne que rassemble l'étreinte produite par l'Europe allemande,
je renvoie à mon site : http://www.micheljcunysitegeneral.sitew.fr


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