De Gaulle et la « blitzkrieg », un mythe français

par Opposition contrôlée
mercredi 30 décembre 2020

 

Dans l'exploitation de la science par le politique, la science de l'Histoire est une des plus maltraitée. Instrument idéal de justification, de légitimation du présent, la conscience du passé est distillée dans l'esprit des masses sous forme de simplifications outrancières et trompeuses. S'il est difficile voire impossible d'établir « la vérité » en matière historique -comme en toutes choses- il est néanmoins tout à fait possible de démasquer le faux.

Histoire particulièrement politique, les origines de la défaite française de 1940 est un sujet qui garde une certaine vigueur dans le grand public.

Parmi les idées qui circulent dans les esprits, celles concernant Charles de Gaulle ont une place de choix. Le présent article se concentrera sur la réfutation d'un petit nombre d'entre-elles, qui, si elles ne sont pas les plus sophistiquées, restent notoirement d'actualité. Le point central sera l'ouvrage de de Gaulle, vers l'armée de métier, paru en 1934, qui sert de justification à plusieurs idées reçues, qui s'échelonnent de la position raisonnable au délire complet. Ainsi, selon le degré de vénération que certains portent à la mémoire du général, l'auteur et l'ouvrage se voient attribuer des qualités extraordinaires.

De Gaulle serait un visionnaire, qui aurait théorisé la guerre mécanique moderne dans son ouvrage, en particulier l'usage des chars. Ce livre aurait été ignoré par des Français incrédules et retardataires, privant la France de l'arme qui fît la victoire des Allemands. Certains vont plus loin, en affirmant que ces Allemands, qui traduisirent l'oeuvre, en auraient tiré toutes les leçons, et auraient systématiquement appliqué ses recommandations. Dans les visions les plus romanesques, c'est tout l'état-major du Reich, et Hitler lui-même, qui s'initient à l'art de la guerre moderne grâce à la sublime parole du (alors) lieutenant-colonel de Gaulle. Ils en auraient tiré les enseignements tactiques qui formeront le cœur d'une forme de guerre totalement nouvelle, révolutionnaire, qu'on appellera « blitzkrieg », guerre-éclair.

Or, à divers degrés, tout est faux dans cet énoncé. De Gaulle n'a rien de spécialement visionnaire. Son ouvrage est indigent au plan tactique, ce n'est d'ailleurs pas directement son objet. Il contient sur ce point des lacunes impardonnables. C'est sur le plan politique, dans le contexte de l'époque, qu'il faut plutôt porter le regard.

Un article de FigaroVox de 2020 [1], détruisant une autre légende gaullienne (La bataille de Montcormet), résume très bien la faiblesse du contenu tactique :

Il y avait composé un vibrant plaidoyer pour la constitution d’un puissant corps de bataille cuirassé, fort de 100 000 hommes, tous des soldats professionnels. De Gaulle y reprenait, pour l’essentiel, les idées développées au début des années 1920 par le général Estienne, mais sans réellement en maîtriser les aspects tactiques et pratiques. L’auteur utilisait en effet des formules vagues, qui ne donnaient jamais le « mode d’emploi » du char. Il énonçait quelques caractéristiques comme : « l’arme blindée s’avance à la vitesse du cheval au galop » ou encore « les tanks gravissent des talus de trente pieds de haut ». Jamais il ne rentrait dans les détails techniques et logistiques. Surtout, De Gaulle n’y abordait que très superficiellement le rôle de l’aviation et des transmissions. Vers l’armée de métier, tenait ainsi plus de l’essai littéraire, que de la définition précise du concept d’emploi du char au combat.

En effet, très peu de pages, principalement le début du chapitre « composition », donnent une description des unités blindées qu'il propose, et leur emploi, développé dans le chapitre suivant, n'aborde aucune question de logistique, ni concernant le carburant ou les munitions. De Gaulle nous fait un récit épique de ses unités, devant « agir à l'improviste » en profondeur dans le territoire ennemi, à travers champs, en totale autonomie, sans jamais préciser les conditions de cette autonomie. Dans ses mémoires de guerre, de Gaulle, commentant les réactions françaises à l'ouvrage, regrette que « d'autres critiques usaient de la raillerie » [2], citant la fin d'un article du Mercure de France [3], il se garde cependant d'indiquer l'objet de cette raillerie :

« Ajoutons Deux régiments d'artillerie, par brigade, équipés pour lancer, en un quart d'heure, à 10 km en avant du front de combat, 100 tonnes de projectiles », soit, pour les 6 divisions, 1.000 tonnes de projectiles par quart d'heure. On est gêné pour apprécier, avec la courtoisie qu'on voudrait, des idées qui voisinent l'état de délire.

Autre lacune criante chez de Gaulle, déjà mainte fois relevée, l'aviation. Elle n'existe que sous deux formes dans l'ouvrage, une aviation de reconnaissance, attachée à chacune de ses divisions, et un régiment de chasse pour l'ensemble de la force blindée. Il va plus loin en dénigrant littéralement le bombardier : à la fin du chapitre « Emploi », dernière mention de l'aviation : « Car, les effets produits par l'aviation de bombardement, si terrible qu'ils puissent être, ont quelque chose de virtuel. [...] Il n'existe au sol aucune force capable de s'unir avec les flottes aériennes. [...] Le sol, — le sol, réel objet de la guerre. ». Lacunes piteusement corrigées a posteriori dans une « réédition » du texte en 1944, qui ajoutera à celui de 1934 : 

Mais surtout en frappant elle-même à vue directe et profondément, l'aviation devient par excellence l'arme dont les effets foudroyants se combinent le mieux avec les vertus de rupture et d'exploitation de grandes unités mécaniques

Autre point important, il faut quitter l'idée qu'en 1934, parler de char et de leur doctrine d'emploi a un quelconque caractère visionnaire. La consultation de la « Revue militaire française » est très éclairante sur ce point. Régulièrement, depuis sa parution en 1921, on trouve des articles infiniment plus détaillés sur l'arme blindée, aussi bien d'auteurs français, allemands, britanniques ou américains. Ceux-ci ne font pas l'impasse sur la coordination avec l'aviation et sur les difficultés de la logistique. Tous les ingrédients de l'offensive de 1940 y sont détaillés, même si tout le monde reste circonspect sur les difficultés d'organisation que cela implique. A titre d'exemple, la revue commente en 1930 [4] l'ouvrage Further aspects of Mechanization, par le brigadier général H. Rowan ROBINSON :

Ce livre complète l'exposé des idées que l'auteur avait commencé dans son ouvrage précédent « Some aspects of mechanization » voit dans l'emploi hardi et quasi exclusif d'unités motorisées et blindées le point de départ d'une ère nouvelle de mobilité et d'offensive. Aussi les manœuvres de 1928, à la suite desquelles ce livre a été écrit, ont-elles déçu un partisan aussi entier des chars, par leur timidité et par l'incapacité du commandement à s'adapter aux conditions nouvelles de l'emploi d'une arme nouvelle. D'où les échecs des chars et les succès fallacieux des armes anciennes, infanterie, cavalerie, artillerie.

L'auteur s'efforce de montrer, dans un intéressant exposé historique, que le temps des Grandes Armées est passé, que l'armée appartient à des forces réduites entièrement mécanisées dont on utilisera à plein la rapidité, la mobilité, le large rayon d'action. L'infanterie immobile, essentiellement défensive, l'artillerie, même partiellement motorisée, seront manœuvrées et paralysées, si même elles ne sont pas détruites, par un adversaire dont la rapidité sera le plus sûr protecteur.

Un des chapitres les plus hardis est celui où l'auteur étudie les moyens de ravitailler cette force, qui ne peut rester attachée à une base immobile sans perdre sa qualité essentielle, ni étendre indéfiniment une ligne de communication vulnérable. La solution séduisante que l'auteur envisage, le ravitaillement aérien, donne lieu à d'intéressants calculs.

Quelques réserves que l'on puisse faire sur la réalisation dans un avenir rapproché de certaines des idées de l'auteur, on ne peut s'empêcher d'admirer la logique avec laquelle il montre les extrêmes conséquences de la révolution tactique causée par la locomotion automobile et l'invention du char blindé.

De Gaulle recevait cette revue, comme tous les membres de l'état-major.

La France ne manque pas non plus de partisans des chars, et ceux-ci sont bien moins lacunaires que notre, alors, lieutenant colonel. D'ailleurs, dès 1936 sera mis en service le char français SOMUA S-35, qui restera techniquement très compétitif en 1940 face aux blindés allemands, comme la plupard des matériels blindés français d'ailleurs, a l'exeption d'un élément capital, la radio embarquée.

Ajoutons que la future panzerwaffe sera mise à l'étude concrète, secrètement, par un accord avec les Soviétiques, dès 1928 à Kazan, en URSS [5]. Il y est installé un centre d'expérimentation dirigé par les officiers de la Reischwehr, qui sera le berceau à la fois des matériels blindés et de leur technique d'emploi. C'est là-bas qu'ils résoudront en partie les problèmes mécaniques de suspension et de transmission, et développeront, grâce à la filiale allemande Lorenz de l'entreprise américaine ITT [6], les premières radios transportables, suffisamment petites et résistantes aux contraintes de choc et de vibration. C'est la vraie innovation, saut qualitif par rapport aux fragiles postes à cristaux en usage alors, qui sera indéniablement le meilleur avantage des troupes allemandes jusqu'en 1941.

Le manque d'originalité de de Gaulle est également valable pour l'idée d'armée de métier, dont le pionnier reconnu est le général von Seeckt, en charge de la Reichswehr, l'armée allemande réduite autorisée par le traité de Versailles. Chose que les commentateurs allemands de l'ouvrage de de Gaulle ne manqueront pas de noter. En effet, le général allemand commence dès 1919 à théoriser une armée de spécialiste, et sera beaucoup discuté, en particulier son dernier ouvrage de 1929 [7], qui sera au coeur du développement de la Werhmacht.

L'ouvrage de de Gaulle ne passera pourtant pas inaperçu, contrairement à une légende encore vivace. En témoigne le site internet general-de-gaulle.fr (dont j'ignore qui sont les protagonistes). Ceux-ci affirment :

1934 : la droite et la gauche traitent de Gaulle par la dérision[...] De l’Humanité à l’Action française, on traite de Gaulle par la dérision.

Vérification faite, le journal l'Action Française en date du 1er juin 1934 [8] consacre une publicité en plus d'un article élogieux sur l'ouvrage, qui se conclue par :

« Vers l'armée de métier, cet ouvrage remarquable, rédigé dans un style très élégant, trouve sa place aussi bien dans la bibliothèque des militaires que des civils qui ne sauraient le lire sans un vif intérêt. »

Le journal de référence d'alors, « Le temps », ne consacre pas d'article spécifique au livre, mais contient une publicité à la date du 30 mai 1934, et cite l'ouvrage et l'auteur dans plus d'une dizaine d'articles consacrés à la réforme de l'armée, toujours en termes élogieux. Par exemple le 10 septembre 1934, on peut lire :

« L'adoption de l'armée de métier, préconisée par le colonel de Gaulle, dans un livre dont la vigueur de style a déjà, et à juste titre, fait l'objet d'élogieuses appréciations... » 

Même teneur dans un article du 8 mai 1934 de la publication « La Liberté », ou dans le quotidien « Paris-midi » du 19 septembre 1934, dans « la revue des deux mondes » de septembre 1934, et dans une poignée de publications mineures.

« La revue militaire française », déjà citée, consacre également une publicité et nomme très régulièrement de Gaulle dans les articles ayant trait à l'organisation de l'armée.

Les rares occurrences d'articles négatifs ont également la particularité de s'intéresser aux aspects tactiques, tandis que l'intégralité des autres n'aborde que le sujet de la réforme de l'armée. « Le mercure de France », déjà cité, à qui de Gaulle fera les honneurs d'une référence dans ses mémoires, ainsi que le mensuel « Notre temps » d'octobre 1934, qui note l'absence de détails concernant le franchissement des cours d'eau, et conclue plus généralement que de Gaulle ne prend simplement pas en compte la riposte de l'ennemi dans les descriptions épiques de ses unités au combat.

Nos thuriféraires du général poursuivent [9] :

Au moment où est publié « Vers l’armée de métier », Charles de Gaulle parcourt les rédactions des journaux, rend visite aux parlementaires. Manifestement, son comportement n’est plus celui d’un militaire, car opposé à la doctrine officielle qui prévaut alors dans le domaine militaire.

Un homme répond à sa sollicitation. Paul Raynaud tente de réagir à l’Assemblée nationale, mais ni Léon Blum, alors Président du conseil, ni le Général Maurin, Ministre de la guerre, ne saisissent l’occasion. Léon Blum reste enfermé dans sa doctrine de gauche [...]

Léon Blum reçoit une nouvelle fois le Lieutenant-Colonel de Gaulle le 14 octobre 1936 pour lui réitérer ce qu’il a déjà écrit dans le Populaire le 16/12/34 afin de condamner l’armée de métier en raison même de son efficacité présumée : « On ne voit pas comment serait réservé le temps pour le jeu des instances internationales et pour la détermination de l’agression… 

Le fameux article de Blum, très courtois dans la forme, aura lui aussi l'honneur d'une citation dans les mémoires du général [10]. Or, wikipédia [11] aura pour une fois le mérite d'apporter beaucoup plus précisément le point de vue de Léon Blum :

« La réaction du pouvoir politique fut, à l'exception notable de Paul Reynaud, très négative : Léon Blum et les partis de gauche reprochèrent à de Gaulle de sortir de son rôle et de vouloir constituer une armée pour un coup d'État : dans sa critique, Léon Blum parle de "néoboulangisme" en faisant allusion aux tentatives de coup d'état du général Boulanger »

Rappelons la situation politique en France, en 1934. Le 6 février, suite à la célèbre affaire Stavisky, une manifestation dégénère, devant le bâtiment de l'assemblée nationale, les troupes tirent au fusil mitrailleur sur la foule, pour repousser à ce qui ressemble à une tentative renverser la république. Dans la manifestation, plusieurs groupements politiques puissants et hostiles au régime sont représentés. « Croix de feu » du colonel de la Rocque, Action Française, Jeunesses Patriotes etc. C'est aussi l'année de la fondation de la Cagoule. Bref, il y a prolifération en France d'organisations, plus ou moins putschistes, plus ou moins fascisantes. La situation est délétère, et la sociale démocratie, de gauche ou de droite, compte ses alliés. Les milieux militaires sont réputés criblés de partisans de « l'ordre nouveau ».

Or, « mystérieusement » dédaignées par les commentateurs modernes, les toutes dernières pages de « vers l'armée de métier », remettent en cause tout l'ouvrage, en tout cas l'intention de l'ouvrage. Elles jettent pourtant un éclairage précis sur la réception de l'oeuvre par les politiques. Ces pages sont trop importantes pour que je ne les reproduise pas intégralement. Toute cette réforme de l'armée, cette constitution de l'armée de métier, est, dit de Gaulle, conditionnée par un unique élément, qui n'est pas militaire, mais politique, une réforme de l'État qui passe par une unique solution.

C'est un appel sans équivoque à la dictature, à la liquidation du parlementarisme, donc de la république. Comment s'étonner que l'oeuvre n'ait pas été accueillie avec enthousiasme chez Blum ? Il semble que les propos de conclusion de de Gaulle n'aient pas échappé à son attention... D'autant que le militaire « qui sort de son rôle », qui « parcourt les rédactions des journaux, rend visite aux parlementaires » est le protégé du maréchal Pétain. Si en 1934, il reste une ambiguïté sur la personne à qui de Gaulle pense lorsqu'il réclame un « maître », apte à faire advenir « le redressement, l'ordre nouveau, l'autorité », leur brouille, quelques années plus tard, laisse à penser que l'ambition déjà très remarquable du lieutenant-colonel éclaircit ce point...

 

Passons maintenant à la réception du livre en Allemagne. Il est tout à fait vrai que l'ouvrage, traduit en Allemand, a suscité un nombre significatif de commentaires dans les revues et journaux allemands. De Gaulle dira dans ses mémoires de guerre : « Je fus bientôt avisé que lui-même [Hitler] s’était fait lire [avant la publication de la traduction] mon livre dont ses conseillers faisaient cas... » [12] Ceci est tout à fait vraisemblable. Les zélotes biographes du général disent [13] : 

Condamné par la majorité des généraux français, et par les socialistes qui craignent la suppression du service militaire [sic], le livre attire en revanche l’attention du général Guderian, créateur de la force mécanique allemande.

Là encore, on cherche à attirer l'attention vers le contenu militaire de l'ouvrage, le (alors) colonel Guderian étant le partisan le plus ardent des chars en Allemagne, en ignorant toute dimension politique, et sans élaborer sur la faiblesse technique de l'ouvrage.

Quelle est la situation de l'Allemagne, nouvellement national-socialiste, en 1934 ? Hitler n'est pas encore dictateur, bien qu'en août, suite au décès du président Hindenburg, il cumule les rôles de président et de chancelier. La grande affaire politique de l'époque, c'est le dernier acte de la « conférence pour la réduction et la limitation des armements » dite conférence de Genève. Celle-ci vise à interdire un certain nombre d'armes offensives et de limiter drastiquement les forces armées mondiales. Dès avant Hitler, la principale revendication allemande est la parité militaire avec la France, donc l'abolition des clauses restrictives du traité de Versailles. Fin 1932, elle obtint un accord de principe sur la question de l’égalité de traitement. Le traité de Versailles est donc déjà « cliniquement mort ». L'année suivante, les Britanniques proposent le « plan MacDonald » qui entérine les demandes allemandes, contre les exigences françaises. [14] Au cours de ces années, dans la propagande et les déclarations publiques, les Allemands se font les champions du pacifisme. Hitler dira en 1933 : « On m'insulte en continuant de répéter que je veux la guerre. Suis-je fou ? La guerre ? Mais elle ne réglerait rien ! »[15]

Il est clair que cette attitude a pour but d'obtenir la levée des restrictions, puis, comme ce sera le cas dans les années suivantes, commencer un réarmement massif, déjà préparé de longue date et bien avant Hitler. Il y a donc un double enjeu politique pour les dirigeants allemands : légaliser le réarmement au plan international pour éviter des sanctions, la dépendance de l'économie et de l'industrie allemande aux fournisseurs étrangers étant déjà un facteur important, et au plan intérieur, faire accepter ce réarmement à la population, et pour ce faire, insister sur sa nécessité. Ajoutons un enjeu personnel pour Hitler, faire accepter sa dictature et celle du Parti national-socialiste aux masses allemandes.

La traduction en allemand paraîtra en 1935. Mais celle-ci est une version fortement réduite de l'ouvrage, passant de 211 pages dans sa version originale à 91 dans la version germanique, et pourvue d'une longue préface signée du traducteur « Gallicus ». La majorité des commentaires techniques ont été retirés, ainsi que les références historiques trop françaises pour le public allemand. L’historien Jacques Binoche, dans une étude de 1972 de « La revue historique » note :

« Ce qui frappe au premier abord, dans cette floraison de commentaires, c'est le peu d'intérêt qu'accordent les Allemands aux réflexions strictement tactiques du lieutenant-colonel de Gaulle »,

Une chronique de 1935 du journal « Deutsche Wehr » dit :

« Le traducteur Gallicus a bien fait d'écourter les chapitres strictement militaires et de mettre l'accent sur les pages qui jettent une lumière caractéristique sur l'état d'esprit des cercles français quant à l'Allemagne » 

« C'est une véritable peur de la méchante Allemagne qui a dicté ce livre ».

Le journal « Bücherkunde der Reichsstelle zur Förderung des deutschen Schrifttums » commente :

« La lecture de ce livre est édifiante. Mais ce qu'il faut surtout en retenir, c'est l'attitude actuelle des milieux militaires français vis-à-vis de l'Allemagne d'aujourd'hui ».

C'est bien l'hostilité française envers l'Allemagne qui est mise en avant dans les commentaires, et la parole d'un obscur officier français est avant tout considérée par le fait qu'il est un proche du maréchal Pétain.

« Le lieutenant-colonel de Gaulle était chef de cabinet du maréchal Pétain, c'est pourquoi il faut attacher à ce travail une importance toute spéciale »

Dira la revue militaire « Militärwissenschaftliche Mitteilungen ». Sur le fond de l'ouvrage, la professionnalisation de l'armée, la préface de la traduction note :

« C'est le général von Seeckt au chapitre, « Armées modernes » de son livre Gedanken eines Soldaten [1929], traite des mêmes questions, et a visiblement beaucoup influencé de Gaulle ».

Comment ne pas comprendre dès lors pourquoi l'ouvrage de de Gaulle a pu susciter l'intérêt de Hitler ?

Il y a validation implicite de la parité militaire avec l'Allemagne, la Reichswehr étant limitée, de par le traité de Versailles à 100 000 hommes, chiffre de l'effectif de l'« armée de métier » de de Gaulle. Hitler et la propagande allemande y trouvent un exemple de bellicisme français tourné contre l'Allemagne, qui justifie son effort de réarmement. Enfin, de Gaulle fait l'apologie d'un dictateur comme condition préalable au redressement. Nul doute que Hitler ait, non seulement apprécié, mais pousser pour que publicité soit faite à l'ouvrage.

[1] https://www.lefigaro.fr/vox/histoire/montcornet-une-victoire-en-trompe-l-oeil-20200515

[2] p.15

[3] Mercure de France du 15 septembre 1934, p. 608.

[4] https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k123848c.r=ROBINSON?rk=21459 ;2

[5] The Secret School of War : The Soviet-German Tank Academy at Kama, Ian Johnson, The Ohio State University (2012)

[6] idem.
[7] Gedanken eines Soldaten, general von Seeckt, 1929.

[8] https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k765622j/f6.item

[9] http://general-de-gaulle.fr/de-gaulle-et-petain-les-freres-ennemis-face-a-lhistoire

[10] p.15.

[11] https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Vers_l%27armée_de_métier

[12] p. 12.

[13] https://www.charles-de-gaulle.org/announcement/1934-vers-larmee-de-metier/

[14] https://library.cqpress.com/cqresearcher/document.php?id=cqresrre1933100900

[15] F. de Brinon, propos recueillis en 1933


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