De Gaulle, printemps 1945 : le feu de l’inflation est enfin allumé !
par Michel J. Cuny
lundi 21 septembre 2015
Ce feu allait pourrir toute l’histoire d’une Quatrième République dont la Constitution avait été délibérément frappée d’inanité par les manœuvres de Charles de Gaulle, accompagné de Jules Jeanneney, organisant les élections‒référendum du 21 octobre 1945…
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/1945-une-assemblee-constituante-169222
De Gaulle en jubile encore le mercredi 24 avril 1946, à Colombey‒les‒Deux‒Églises, en présence de son officier d’ordonnance :
« Quelle idée, non mais quelle idée j’ai eue d’instituer le référendum ! Puisque tout le monde à l’époque poussa des cris épouvantables. Maintenant, plus personne pour s’en étonner : le référendum est entré dans les mœurs ! » (Claude Guy, page 61)
Eh oui, nous le savons aujourd’hui encore !... Et ce que les gouvernants sont susceptibles d’en faire (France 2005 ; Grèce 2015) !
Dont De Gaulle, qui précise à la même occasion :
« Par la loi du 21 octobre 1945, réglant les rapports entre l’Assemblée et les pouvoirs publics, j’ai accroché, à la queue des communistes et de manière générale des partis, une casserole dont ils ne sont pas prêts de se débarrasser ! » (page 61)
Les communistes… mais aussi les partis… De même qu’aujourd’hui les exécutifs (président de la République et gouvernement) se jouent des partis, et le leur y compris qu’ils tiennent si bien en main par le système des investitures…
Or, les partis, qu’est‒ce donc ? Sinon la voie d’expression du suffrage universel qui n’en connaît aucune autre…
Alors, cette casserole qui ravit tellement De Gaulle… quelles en sont les vertus ? Lisons l’explication qu’il fournit à son officier d’ordonnance (même entretien) :
« L’avantage du référendum, c’est qu’il contraint l’électeur à juger simplement, à centrer l’essentiel de ses opinions sur un thème élémentaire. Le meilleur jugement est, invariablement, le plus simple. » (page 60)
C’est que l’électrice et l’électeur sont si… Eh oui, ce sont des Françaises et des Français… Fait‒on plus nul(le)s ?
Quant à la hiérarchie dans laquelle il convient de noyer tout ceci, c’est encore De Gaulle qui en fixera les différents niveaux (entretien du 2 mai 1946, à Marly, avec Claude Guy, huit jours plus tard) :
« Platon disait : "Il y a trois espèces de gouvernement : la théocratie, qui est le gouvernement de l’esprit, l’aristocratie, qui est le gouvernement des cœurs, et la démocratie, qui est le gouvernement des ventres". Et moi, j’ajoute :
"Voilà pourquoi, en période de disette, les ventres s’opposent à toute méthode de gouvernement par l’esprit ou par le cœur." » (page 63)
Une petite visite à La République, VIII, permet aussitôt de constater à quel point De Gaulle se moque de Platon… qui n’a rien écrit de tel.
Mais les ventres sont bien ceux de ces Françaises et Français de tous les âges ‒ dont ces bébés que leurs mères ne peuvent allaiter faute d’être alimentées correctement elles‒mêmes ‒ qui ont été décidément "mis(e)s à la gamelle" et que l’on soumet au feu de l’inflation que Pierre Mendès France annonce ‒ en tordant un peu le nez ‒ lors de sa dernière émission radiophonique (31 mars 1945), avant qu’enfin ‒ avec un an et quinze jours de retard ‒ sa démission ne se trouve acceptée par l’escamoteur Charles de Gaulle (2 avril 1945) :
« Le grand danger, je ne cesserai de le dénoncer, il est dans le cours des prix et des salaires. » (Œuvres complètes, II, page 111)
Et c’est effectivement l’ancien commissaire aux Finances du Comité Français de la Libération Nationale et l’actuel ministre de l’Économie nationale du Gouvernement provisoire de Charles de Gaulle ‒ pour deux jours encore ‒ qui vient larmoyer sur l’activité d’un Gouvernement qu’il a cautionné pendant plus d’un an :
« Je sais bien que, pour résister à la tentation de la hausse, il faut aux gouvernés un sens aigu de l’intérêt général et aux gouvernements du courage et parfois de l’abnégation. » (page 112)
Quant au mécanisme délicieusement organisé par Charles de Gaulle (et le compère pro‒US, René Pleven), le voici décrit par Pierre Mendès France (dernière émission encore) :
« Si davantage de papier‒monnaie s’offre pour acheter la même quantité de produits, ce sont naturellement les prix qui doivent monter. Or, comme il existe une taxation et un contrôle pour maintenir les prix sur le marché officiel, c’est vers le marché noir que le flux de papier-monnaie se précipite et c’est là qu’il provoque la hausse. » (page 112)
Une fois abordé le sommet de la planche savonneuse, il n’y a plus qu’à laisser glisser le bon peuple :
« En montant, les prix du marché noir exercent une telle attraction que les marchandises prennent de moins en moins le chemin du marché officiel, malgré toutes les contraintes. Ainsi, plus l’inflation fait fleurir le marché noir, plus elle y fait monter les prix, plus augmente l’écart entre prix illicites et prix taxés, et moins il y a de produits sur le marché régulier. Plus le marché noir dévore le marché officiel, plus on confirme le privilège des riches et se détériore la condition des pauvres. L’inflation est une arme dont le tranchant est tourné contre les travailleurs et contre les petites gens. » (page 112)
C’est bien pourquoi Charles de Gaulle l’a utilisée à plein et en toute conscience, comme nous l’avons vu.
Quant à l’avenir construit sur cette base… Il ne faudra rien en espérer. C’est encore Pierre Mendès France qui le clame à la radio, le 31 mars 1945 :
« Si la création et l’expansion du crédit pour financer la reconstruction ou pour développer l’outillage sont productives, l’inflation qui n’a d’autre objet que de relever les tarifs, les prix, les salaires, ne crée aucune richesse. » (page 112)
Pas d’avenir, mais un présent d’enrichissement illimité pour celles et ceux qui ont mené grand train auprès de l’envahisseur et grosse activité dans ce bain de jouvence qu’a été, et qu’est encore en cette belle année de 1945, le marché noir. Avant de dire "bonsoir" à ses auditrices et auditeurs qui vont affronter quelques mois plus tard le retour des tickets de pain, le ministre de l’Économie lâche encore ceci :
« Quand la hausse des prix est certaine, on s’enrichit à coup sûr en retenant les marchandises, en les accaparant et en se croisant les bras, tandis que l’investissement utile, avec un rendement lointain en une monnaie dépréciée, demeure sans attrait. » (pages 112‒113)
Et neuf ans plus tard (1er février 1954), l’abbé Pierre irait pleurer misère sur les mal logés devant un autre micro, celui de radio Luxembourg, trois mois avant que la défaite de Dien Bien Phû (7 mai 1954) vienne sanctionner, à tout jamais, la défaite de la politique criminelle de De Gaulle en Indochine : celle d’une guerre coloniale lancée quatre mois et demi après le départ de Mendès France du Gouvernement provisoire. L’inflation du sang versé s’ajoutait ainsi à l’inflation monétaire…
Le voilà bien, leur… De Gaulle !