De l’abstention et des sondages

par Michel Launay
jeudi 22 juin 2006

On ne connaît pas encore le nom des candidats, mais le dernier sondage TNS Sofres est formel : Sarkozy et Royal font la course en tête, et Le Pen, à 12,5%, progresse !!! A ceci près que les sondages n’ont, d’après les sondeurs eux-mêmes, aucune valeur prédictive et ne reflètent que l’état de l’opinion à un moment donné... Soit, mais un chiffre est pourtant très surprenant : c’est le petit 14% de personnes qui ne se prononcent pas...

Qui peut en effet sérieusement croire que la participation s’élèvera à 86% quand elle n’était que de 78% (76% hors votes blancs et nuls) en 1995, avec pourtant un enjeu très mobilisateur, Chirac vs Balladur, et 71% (69%) en 2002, avec il est vrai une démobilisation forte des électeurs, le premier tour semblant joué d’avance ?

Pour le référendum sur le traité constitutionnel, la participation ne s’est élevée qu’à 69% (68%), alors que le vote a été précédé d’un intense débat démocratique....Le nombre de votes exprimés au référendum de 2005 est à 200 000 voix près le même qu’au premier tour des présidentielles de 2002...

Alors pour 2007, sursaut démocratique, ou méthodologie d’enquête bidon ?

De manière structurelle, la France perd de 800 000 à 1 000 000 de votants tous les cinq ans, puisque ce sont des générations très civiques qui décèdent (environ 2 600 000 personnes) et des générations très peu mobilisées qui sont inscrites d’office sur les listes électorales (environ 3 600 000 dont une petite moitié vote). Chiffre auquel viennent se rajouter les nombreux déçus de notre démocratie. Dans le même temps, le nombre d’inscrits augmente de 1 000 000...

Si l’élection 2007 est mobilisatrice, on aura au mieux la participation de 2002, c’est-à-dire en tendance 2 000 000 de votants de moins qu’en 1995...

Autre niveau d’analyse.

Si le sondeur vous pose la question suivante :
M. Dupont, si l’élection présidentielle avait lieu dimanche prochain, parmi la liste suivante, pour quel candidat y a-t-il plus de chances que vous votiez ?

Je suis incité à formuler un choix, dire que je ne souhaite pas voter c’est formuler un choix négatif, contre une dizaine de choix positifs.

Par contre, s’il vous pose la question suivante :
M. Dupont, pensez-vous voter aux élections présidentielles qui auront lieu l’an prochain ?

Je peux répondre par la négative, sans devoir aller contre les propositions du sondeur... Si on applique cette méthode, ce ne sont pas 15% des électeurs qui s’abstiennent, mais plus de 30%... La différence est tout à fait significative (et rejoint l’analyse ci-dessus).

Dernière remarque, il est tout à fait normal d’exprimer auprès du sondeur une opinion majoritaire, et donc de désigner l’un des candidats des formations dites de gouvernement, par mimétisme, recherche de l’illusion collective dans l’expression de l’appartenance à une supposée majorité. C’est rechercher la normalité face au sondeur, alors même que dans l’isoloir, le choix sera tout autre.

Sans compter la difficulté d’exprimer un vote pour un parti marginalisé. Même sous couvert de l’anonymat, le sondé n’a aucune certitude sur l’identité réelle de son interlocuteur, et peut craindre de dire précisément pour qui il votera. Une ligne téléphonique, ce n’est pas l’isoloir, un face à face encore moins...

Enfin, soyons sérieux, si on s’en tient à ces intentions de votes, et au « camp » de chaque candidat, le référendum sur le Traité constitutionnel pour l’Europe aurait été remporté haut la main par ses contempteurs. Les suffrages exprimés dans le sondage TNS Sofres de juin donnent une France à 75% favorable au Traité constitutionnel... Chacun sait ce qu’il en a été dans les faits. On peut donc prévoir des scores bien plus élevés pour les partisans du non, et bien moindres pour les autres.


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