De l’état du milieu carcéral français au-delà de la démagogie politique

par Cyril de Guardia
mercredi 19 septembre 2007

« Une société se juge à l’état de ses prisons » ou « l’État de droit ne doit pas cesser à la portes des prisons » (Albert Camus).

Après tant d’années où le discours politique est resté fixé sur une prétendue gravissime situation d’insécurité en France, la répression de la délinquance paraît de plus en plus féroce. Cependant, la prison est dans un tel état dans notre pays que l’emprisonnement ne peut, aujourd’hui, concrètement strictement rien apporter si ce n’est une élimination physique temporaire du délinquant, mais aussi une détérioration de ce dernier en milieu pénitentiaire et une insécurité majeure pour l’avenir, d’où le paradoxe suscité par les politiques, souvent démagogiques, menées pour résoudre la délinquance. Etat des lieux :

La situation du milieu carcéral français est telle qu’en 2007, en France, le choix de l’emprisonnement systématique ne peut être qu’un pis aller, une solution du dernier recours tellement il devient risqué de placer qui que ce soit en maison d’arrêt (que ce soit à Fleury-Mérogis ou à la maison d’arrêt de Fresnes pour ce citer qu’elles). L’ancien commissaire européen aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Alvaro Gil-Robles, en septembre 2005, après avoir visité les prisons de 31 pays dans le cadre d’une mission sur l’état des prisons a déclaré sur la prison des Baumettes : «  De ma vie, sauf peut-être en Moldavie, je n’ai vu un centre pire que celui-là ! C’est affreux ! Les gens s’entassent dans un sous-sol sur deux niveaux, sans aération. Ils se promènent dans une cour minuscule grillagée de tous côtés. Au second niveau, on marche sur la grille, au-dessus de ceux du premier niveau. Les fonctionnaires en sont eux-mêmes très gênés. Il faut fermer cet endroit, c’est urgent  ». En février 2006, il ajoute : «  Le maintien de détenus aux Baumettes me paraît être à la limite de l’acceptable, et à la limite de la dignité humaine  ». Elle expose le prisonnier à un certain nombre de dangers que nous allons examiner dès à présent.

Depuis quelques années, les conditions de vie sont au centre de la critique du système pénitentiaire français. Notamment depuis la publication du livre Médecin-chef à la prison de la Santé de Véronique Vasseur et l’ouvrage d’Éric Péchillon Sécurité et droit du service public pénitentiaire.

En juillet 1999, É. Guigou, alors garde des sceaux du gouvernement Jospin a chargé le groupe de travail dirigé par Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, d’étudier les manières d’améliorer le contrôle extérieur des prisons. En clair, le gouvernement a tenu à mettre en place une enquête parlementaire afin de se rendre compte de l’étendue de la situation derrière les barreaux des maisons d’arrêt. La réponse fut unanime : désastreuse.

Le 24 mai 2005, l’Observatoire international des prisons (OIP) a rendu public son rapport annuel sur les conditions de détention en France. « Loin de s’améliorer depuis la publication des rapports d’enquête parlementaires sur les prisons en juin 2000, la situation s’est aggravée », avait estimé à l’époque le président de la section française de l’OIP, Me Thierry Lévy. Aussitôt, les associations de défense des détenus sont montées au créneau en multipliant les recours juridiques devant les tribunaux territorialement compétents.

Surpopulation

La surpopulation carcérale en France est notoire. En 2003, un rapport du Comité européen de prévention de la torture, un organe du Conseil de l’Europe, avait fait état de "traitements inhumains et dégradants" dans les prisons françaises, conséquences de leur surpopulation.

Malgré l’effet de la grâce collective du 14 juillet, on comptait 57 500 détenus pour 48 000 places le 1er octobre 2005. Concrètement, il n’était pas rare que trois à cinq prisonniers s’entassent dans des cellules de 9 ou 12 m2. En 2006, le nombre de places opérationnelles était de 50 207 pour 60 771 écroués soit une densité de 121 %.En juillet 2007, le nombre de places opérationnelles est de 50 557 pour 61 810 écroués soit une densité de 122 %. 10 établissements ou quartiers ont une densité supérieure à 200 %, 42 ont une densité comprise entre 150 et 200 %, 51 entre 120 et 150 %, 36 entre 100 et 120 % et 87 ont une densité inférieure à 100 % [2]. La construction des 13 000 places supplémentaires, décidée en 2002, devrait être achevée en 2011 : près de 63 500 "places opérationnelles" seront alors disponibles.[1

En 2006, le nombre de places opérationnelles était de 50 207 pour 60 771 écroués soit une densité de 121 %.

Fort de ce constat, L’OIP n’a alors cessé de déplorer depuis quelques années "une augmentation du nombre de détenus qui a commencé à l’automne 2001 après l’affaire Bonnal, affaire où le braqueur a été placé en détention provisoire, puis libéré en décembre 2000 et suspecté d’avoir ensuite tué plusieurs personnes dont des policiers". De fait, on est alors passé de 48 000 à 54 000 détenus en six mois. La tendance s’est accentuée durant l’exercice de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur de 2002 à 2004 sous le gouvernement Raffarin et de 2005 à 2007 sous le gouvernement Villepin. La récente suppression de la grâce par le président de la République n’y arrangera rien mais tel n’est pas le débat sur lequel j’ai envie que l’on s’appesantisse.

Suicide

L’OIP s’est ensuite inquiétée d’un autre problème inhérent au système carcéral français : le suicide. Ainsi la hausse du nombre de suicides est constatée par les spécialistes en droit pénal : 122 en 2002, contre 104 en 2001. « Après la baisse constatée en 2001, on retrouve les sommets atteints dans les années 1990, souligne l’OIP. Les suicides sont particulièrement nombreux lors de l’entrée en prison et du placement en quartier disciplinaire. » En prison, le taux de suicide est huit fois supérieur à la moyenne nationale.

Problèmes psychologiques

Autre sujet d’alarme : le nombre important de prisonniers souffrant de problèmes psychologiques. « 55 % des détenus qui arrivent en prison souffrent d’au moins un trouble psychiatrique », relèvent les responsables de l’OPI dans leur rapport. Les conditions de vie particulièrement difficiles de la prison accroissent la gravité des maladies mentales et provoquent nombre de dépressions et autres comportements d’automutilation.

Insécurité

Paradoxalement, la vie en prison n’efface pas l’insécurité. Le manque de moyens et la trop forte densité de population incarcérée permettent à l’insécurité d’exister à l’intérieur de la prison (phénomène de bande). Dans les maisons d’arrêt, de simples suspects coexistent avec des condamnés à de longues peines, au mépris des textes. De plus, tous les délits et crimes y sont mélangés. En établissement pour peine (les maisons centrales et les centres de détention), il y a également un mélange des types d’actes. Les délinquants sexuels ne sont pas toujours isolés, en raison de difficultés matérielles au vu de la proportion importante qu’ils représentent, 21,4%. Ceci conduit très souvent à des agressions sexuelles à l’intérieur des cellules au nez et à la barbe des vigiles. Les prisons en France sont des lieux particulièrement propices en France à la transmission du virus du sida et de la tuberculose. La forte présence de toxicomanes munis de seringues et les viols répétés n’y sont pas pour rien.

Après cet état des lieux navrant fondé sur des données objectives, les responsables de l’OIP ont livré leur analyse de la situation. « La plupart des détenus ne sont pas condamnés pour des faits de violence graves, mais parce qu’ils appartiennent à des minorités défavorisées, soutient ainsi Me Thierry Lévy. Le gouvernement utilise la prison comme une réponse à l’aggravation de la misère sociale. » « La moitié de la délinquance au moins est le fruit du système carcéral, renchérit Gilbert Bonnemaison, ancien maire socialiste d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) et héraut des politiques de prévention dans les années 80. Le ministère de la Justice devrait être rebaptisé "Institut national de formation à la délinquance". »

Il paraît incroyable qu’en France, un juge pour enfant qui condamne un mineur à une peine de prison supérieure à deux mois sache pertinemment que ce dernier sera à jamais perdu tellement les prisons sont devenues criminogènes. Il convient de rappeler que le rôle 1er de la prison en droit pénal français est de mettre les individus dangereux de la société à part afin de pourvoir ensuite les réintégrer dans la société. Condamner aujourd’hui par exemple un mineur comme nous venons de le voir, c’est le condamner à mener une vie rythmée par la délinquance et la récidive. Il faut donc d’excellentes raisons pour que la société prenne ce risque. Elle doit le prendre dans certains cas, mais à condition de mener par ailleurs une autre politique fondée sur un véritable individualisation de la peine et sur le respect des valeurs de la démocratie.

Une lutte âpre contre la délinquance est en ce moment même menée par Nicolas Sarkozy et Rachida Dati. La systématisation de la répression, voire son aggravation n’y changeront rien, voire auront l’effet strictement inverse ! Des solutions au problèmes ?

Deux axes : la ré-humanisation des lieux d’emprisonnement, et la recherche de toutes les alternatives à la détention, notamment pour les jeunes. En effet, le milieu carcéral doit récupérer son rôle primordial : préparer le condamné à sortir de prison et réintégrer la société une fois sa dette payée à la nation.

Pour finir, la loi pénitentiaire doit assurer le respect de l’Etat de droit dans la prison : confidentialité, rencontres régulières entre détenus et personnels pénitentiaires, droit de vote effectif. En juin 2007, l’arrêt Frérot rendu par la Cour européenne des droits de l’homme a contraint la France de verser une somme de 12 000 euros « pour traitements dégradants » sur la personne de Maxime Frérot, victime de fouilles intégrales beaucoup trop répétées par rapport à ses congénères et concernant notamment une fouille de la région anale.

C.D.G.D.P.

Références pour aller plus loin :







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