De l’état du milieu carcéral français au-delà de la démagogie politique
par Cyril de Guardia
mercredi 19 septembre 2007
« Une société se juge à l’état de ses prisons » ou « l’État de droit ne doit pas cesser à la portes des prisons » (Albert Camus).
Après tant d’années où le discours politique est resté fixé sur une prétendue gravissime situation d’insécurité en France, la répression de la délinquance paraît de plus en plus féroce. Cependant, la prison est dans un tel état dans notre pays que l’emprisonnement ne peut, aujourd’hui, concrètement strictement rien apporter si ce n’est une élimination physique temporaire du délinquant, mais aussi une détérioration de ce dernier en milieu pénitentiaire et une insécurité majeure pour l’avenir, d’où le paradoxe suscité par les politiques, souvent démagogiques, menées pour résoudre la délinquance. Etat des lieux :
Depuis quelques années, les conditions de vie sont au centre de la critique du système pénitentiaire français. Notamment depuis la publication du livre Médecin-chef à la prison de la Santé de Véronique Vasseur et l’ouvrage d’Éric Péchillon Sécurité et droit du service public pénitentiaire.
Le 24 mai 2005, l’Observatoire international des prisons (OIP) a rendu public son rapport annuel sur les conditions de détention en France. « Loin de s’améliorer depuis la publication des rapports d’enquête parlementaires sur les prisons en juin 2000, la situation s’est aggravée », avait estimé à l’époque le président de la section française de l’OIP, Me Thierry Lévy. Aussitôt, les associations de défense des détenus sont montées au créneau en multipliant les recours juridiques devant les tribunaux territorialement compétents.
Surpopulation
Malgré l’effet de la grâce collective du 14 juillet, on comptait 57 500 détenus pour 48 000 places le 1er octobre 2005. Concrètement, il n’était pas rare que trois à cinq prisonniers s’entassent dans des cellules de 9 ou 12 m2. En 2006, le nombre de places opérationnelles était de 50 207 pour 60 771 écroués soit une densité de 121 %.En juillet 2007, le nombre de places opérationnelles est de 50 557 pour 61 810 écroués soit une densité de 122 %. 10 établissements ou quartiers ont une densité supérieure à 200 %, 42 ont une densité comprise entre 150 et 200 %, 51 entre 120 et 150 %, 36 entre 100 et 120 % et 87 ont une densité inférieure à 100 % [2]. La construction des 13 000 places supplémentaires, décidée en 2002, devrait être achevée en 2011 : près de 63 500 "places opérationnelles" seront alors disponibles.[1
En 2006, le nombre de places opérationnelles était de 50 207 pour 60 771 écroués soit une densité de 121 %.
Fort de ce constat, L’OIP n’a alors cessé de déplorer depuis quelques années "une augmentation du nombre de
Suicide
Problèmes psychologiques
Autre sujet d’alarme : le nombre important de prisonniers souffrant de problèmes psychologiques. « 55 % des détenus qui arrivent en prison souffrent d’au moins un trouble psychiatrique », relèvent les responsables de l’OPI dans leur rapport. Les conditions de vie particulièrement difficiles de la prison accroissent la gravité des maladies mentales et provoquent nombre de dépressions et autres comportements d’automutilation.
Insécurité
Paradoxalement, la vie en prison n’efface pas l’insécurité. Le manque de moyens et la trop forte densité de population
Après cet état des lieux navrant fondé sur des données objectives, les responsables de l’OIP ont livré leur analyse de la situation. « La plupart des détenus ne sont pas condamnés pour des faits de violence graves, mais parce qu’ils appartiennent à des minorités défavorisées, soutient ainsi Me Thierry Lévy. Le gouvernement utilise la prison comme une réponse à l’aggravation de la misère sociale. » « La moitié de la délinquance au moins est le fruit du système carcéral, renchérit Gilbert Bonnemaison, ancien maire socialiste d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) et héraut des politiques de prévention dans les années 80. Le ministère de la Justice devrait être rebaptisé "Institut national de formation à la délinquance". »
Une lutte âpre contre la délinquance est en ce moment même menée par Nicolas Sarkozy et Rachida Dati. La systématisation de la répression, voire son aggravation n’y changeront rien, voire auront l’effet strictement inverse ! Des solutions au problèmes ?
Deux axes : la ré-humanisation des lieux d’emprisonnement, et la recherche de toutes les alternatives à la détention, notamment pour les jeunes. En effet, le milieu carcéral doit récupérer son rôle primordial : préparer le condamné à sortir de prison et réintégrer la société une fois sa dette payée à la nation.
Pour finir, la loi pénitentiaire doit assurer le respect de l’Etat de droit dans la prison : confidentialité, rencontres régulières entre détenus et personnels pénitentiaires, droit de vote effectif. En juin 2007, l’arrêt Frérot rendu par la Cour européenne des droits de l’homme a contraint la France de verser une somme de 12 000 euros « pour traitements dégradants » sur la personne de Maxime Frérot, victime de fouilles intégrales beaucoup trop répétées par rapport à ses congénères et concernant notamment une fouille de la région anale.
C.D.G.D.P.
Références pour aller plus loin :
- Prisons de la honte, 2 novembre 2005, Le Nouvel Observateur
- Matthieu Auzanneau, avec AFP, « La surpopulation des prisons proche d’un record historique », 18 Juillet 2007, Le Monde
- Statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée, 1er avril 2007, Direction de l’administration pénitentiaire
- Chiffres clés de l’administration pénitentiaire 2006, 18 novembre 2006, Direction de l’administration pénitentiaire
- Situation dans les prisons françaises, 28 juin 2001, Assemblée nationale