De l’imposture du Génos communiste à la naissance de la démocratie à Athènes : déconstruction d’un mensonge !

par maQiavel
lundi 18 mars 2019

 

Certaines mouvances prétendument radicales mais radicalement falsificatrices accusent les défenseurs des procédures de démocratie directe, s’inspirant du régime athénien, de négationnisme historique. Selon elles, la démocratie athénienne serait née du passage de la communauté primitive sans commerce à la civilisation marchande. A l’origine était le « Génos », forme d’organisation humaine se caractérisant par l’absence d’État, de classes sociales, de hiérarchies, de chefs, d’argent et donc de commerce. Dans ce Génos communiste, la terre appartenait à tous, le pouvoir était commun et s’exercerait dans l’intérêt de la communauté. C’est ce Génos primordial idyllique antihiérarchique et anti-marchand que la démocratie aurait rompu pour y instaurer à la place un système de prédation social et de coercition politique que l’on nomme « Etat », fondé sur l’esclavage et la circulation de marchandises.

C’est cette fable de la naissance de la démocratie athénienne que cet article aura pour objet de déconstruire.

Contexte politico-historique

Des traces d’occupation humaine sont attestées dès le Néolithique sur le site de l’Acropole. D’après Thucydide, la ville d’Athènes serait née d’un rassemblement progressif de toutes les bourgades occupant le territoire de l’Attique qui fusionnèrent en une grande cité. Au VIIIème siècle av. JC, elle devint un important centre du monde grec à cause de son emplacement géographique. 

Gouvernée par un régime monarchique, la première organisation sociale remonterait au roi Thésée qui aurait alors réparti la population en trois catégories : Les Eupatrides qui sont les chefs des familles (ou « Génos ») les plus riches, les Géôrggés désignent les cultivateurs et les Démiurges les artisans. Chaque Génos possédait plus ou moins sa propre manière de régler ses comptes sans en référer à une quelconque autorité suprême, les lois étant alors gravées non pas dans le marbre mais dans le verbe des patriarches. Vers 682 avant JC, la monarchie disparaît au profit d'un gouvernement oligarchique fortement inégalitaire dominé par les Eupatrides. Ces derniers, qui se distinguaient socialement par la naissance, étaient les seuls à disposer du pouvoir religieux, les seuls à occuper des fonctions de magistrats, et les seules habilités à prononcer et interpréter le droit. En plus de détenir le pouvoir politique, les Eupatrides disposaient d’un grand pouvoir économique car ils finirent par acquérir la plus grande partie des terres de l'Attique. 

Contexte social

Le contrôle de l'espace agricole était primordial car les terres de l’Attique, situées sur un sol rocailleux, étaient minces et peu fertiles. Tandis que les ressources agro-alimentaires de la cité étaient insuffisantes, la population s’est trouvée de plus en plus à l’étroit sur la presqu’île de l’Attique en raison d’une croissance démographique continue. Face à la concurrence des grandes propriétés agricoles détenues par l’oligarchie foncière, les petits paysans étaient peu compétitifs. Beaucoup d’entre eux, incapables d’écouler leur grain, leur huile et leur olive en période de crise, se retrouvèrent dans l’obligation de vendre leur terre, ce qui amplifiait le processus de concentration foncier de l’oligarchie eupatride. Pour survivre, les petits paysans se sont retrouvèrent forcés de vendre leur force de travail aux propriétaires terriens en échange d’une redevance qui ne leur laissait qu’un sixième des fruits de la récolte. Ces paysans, des serfs avant l’heure, pouvaient être mis en esclavage, eux et leurs familles, s’ils étaient incapables de s’en acquitter.

Dans la Grèce archaïque, les cités se combattaient fréquemment entre elles et en leur sein, les grandes familles se disputaient le pouvoir dans d’interminables vendettas claniques. Toute personne assassinée pour une raison ou pour une autre devait être vengée par un membre de sa famille.

Les armées étaient le ciment qui assurait la perpétuation de l’existence de la polis et du gouvernement. À cette époque, la principale force de combat dans les armées grecques était le corps des hoplites, une milice de citoyens constituée par des fantassins en armure lourde qui combattaient en formation stricte. On attendait des hoplites qu'ils s'équipent à leurs propres frais et ils ne recevaient aucune solde sinon une modeste indemnité journalière durant leur service actif. L'équipement hoplitique complet était assez coûteux : pour s’en faire une idée, il représentait le coût de six bœufs au temps de Solon et le prix d’un esclave qualifié au IVème siècle av. J-C. Aussi étaient-ils recrutés parmi les éléments les plus riches de la population. Les armées avaient ainsi un poids socioéconomique : les fonctions militaires de chaque individu étaient déterminées par la fortune et l’origine familiale. 

Ce tableau de l’Athènes archaïque prédémocratique contraste avec le Génos tant fantasmé par certains autoproclamés radicaux qui correspond plus au mode de vie du paléolithique qu’à la Grèce du Ier millénaire av. JC : la cité était alors sous l’emprise des grands Génos, ceux des « eupatrides », qui concentraient le pouvoir économique, symbolique, politique, militaire et dont l’occupation principale était la vendetta ainsi que la guerre contre les autres cités. Insatiable, cette caste héréditaire et consanguine consolidait ses moyens d’exploitation et perpétuait sa domination en réprimant de façon sanglantes les troubles et les révoltes suscités par les affamés qui ne voyaient d’autre remède à leurs maux qu’un bouleversement de la constitution.

 

Crise agraire et sociale

Au cours des VIIe et VIe siècles av. J.-C., la cité d’Athènes eut à subir l’une des plus importantes crises de son histoire résultant de deux phénomènes concomitants :

 

  1. Le développement de la monnaie et des échanges commerciaux : la cité doit faire appel aux ressources du commerce maritime pour importer de quoi se nourrir. Emerge alors une nouvelle classe sociale urbaine aisée, composée des artisans et armateurs qui forment la base d’une classe moyenne à Athènes.
  2. L’esclavage pour dettes : les agriculteurs grecs sont peu compétitifs face à la concurrence de plus en plus vive des terres fertiles de la Grande-Grèce récemment colonisée. De plus en plus de paysans, incapables d'écouler suffisamment leur production, sont condamnés à se vendre comme esclaves pour faire face à leurs dettes. Cette main-d'œuvre servile est utilisée par les urbains et vient donc elle-même concurrencer les petits artisans indépendants. Ces sujets peu fortunés, sur lesquels repose une part croissante de l'économie, viennent grossir le rang des chômeurs.

Le mécontentement est à son paroxysme. La mise en esclavage des paysans était devenue si intolérable que la cité était au bord de la conflagration. Quant à la classe moyenne émergente, elle vînt bouleverser le principe selon lequel les obligations militaires étaient fondées sur les origines sociales des individus : celle-ci était dorénavant suffisamment riche pour acheter des équipements d’hoplites. La guerre n’était donc plus l’apanage de l’oligarchie Eupatride. Consciente de sa force et mécontente de l’inégalité politique, cette classe moyenne va chercher à jouer un rôle de premier plan et à s’imposer face à la férule des Génos oligarchiques en réclamant la fin de leur monopole sur la sphère politique. Le système oligarchique basé sur la propriété agraire est battu en brèche face aux revendications de ces nouveaux citoyens-soldats qui incarnent une citoyenneté élargie fondée sur la propriété et non plus sur la naissance. On parle de révolution hoplitique.

La crise devint logiquement incontrôlable, les Génos oligarchiques instrumentalisent le mécontentement populaire (tant des paysans appauvris que des nouveaux riches urbains) dans leurs luttes internes pour mieux conquérir le pouvoir. Cette crise agraire et sociale se répète dans de nombreuses cités en Grèce et va avoir une traduction institutionnelle. Pour répondre à ces deux phénomènes, de nombreuses cités modifient leur constitution pour mettre fin aux troubles et deux modèles émergèrent en Grèce au VIème siècle av. JC :

 

- la tyrannie qui, dans l'évolution de la Grèce archaïque, apparaît bien souvent comme une solution transitoire. La prise de pouvoir du tyran se fait par la violence et résulte d’une lutte de pouvoir entre les Génos oligarchiques. Ces derniers n'hésitent pas non plus à faire appel à des puissances extérieures pour renverser les tyrans. 

 

-l'arbitrage d'un législateur, chargé de pacifier la cité par consensus. L’arbitrage débouche sur deux types de régimes politiques : l’oligarchie (dont l’exemple le plus emblématique est l’oligarchie militaire spartiate) et la démocratie (dont Athènes restera l’incarnation la plus célèbre).

 

 

Réformes de Dracon

La cité fait d’abord appel à Dracon, un Eupatride, mandaté en 621-620 av. J.-C. Son œuvre est principalement législative. Il sera le premier à fixer les lois de la cité par écrit, ce qui permet de remplacer le droit coutumier interprété arbitrairement par les oligarques par un droit public que tous les citoyens peuvent consulter et auquel se référer pour échapper aux abus. Il promulguera également des lois contre la criminalité, pour faire cesser les vendettas et empêcher les Génos de s’entredétruire, qui étaient si sévères que l’adjectif draconien est resté synonyme d’inflexibilité.

Les droits politiques sont élargis envers tous les citoyens capables de s’armer qui élisaient désormais des magistrats. Le monopole économique et politique des grandes familles n'est cependant en rien attaqué, les magistrats dirigeant collégialement la cité étant toujours tous issus de ces milieux. Malgré ces réformes, les paysans subissent toujours le joug des oligarques et la crise s’amplifie. Cependant, les mesures limitées de Dracon affirment pour la première fois l'autorité de l'État au-dessus des parentés, elles instaurent un droit commun pour tous et, par là même, portent atteinte à l'arbitraire des oligarques : l’autorité du patriarche du Génos est abolit et les pauvres ne sont plus jugés selon le bon plaisir des Eupatrides.

Réformes de Solon

En instrumentalisant les très sévères lois de Dracon, les oligarques menacent de réduire en esclavage tous les paysans pauvres incapables de rembourser leurs dettes. Athènes est à nouveau en pleine crise politique et sociale lorsque les adversaires se mettent d'accord pour choisir Solon comme arbitre. Archonte de -594 à -593, législateur, auteur d’un code de lois, Solon rétablit la paix sociale par une mesure proprement révolutionnaire : il abolit toutes les dettes, qu’elles soient publiques ou privées et les emprunts avec hypothèque sur les terres ou la personne sont dorénavant interdits.

 

Il effectue des réformes constitutionnelles en se basant sur les quatre groupes socio-économiques existant alors à Athènes. Les citoyens sont dorénavant classés non plus selon leur naissance mais selon leur fortune et sont répartis en quatre classes censitaires. Les plus hautes magistratures ne sont accessibles qu'aux plus hautes classes, leur accès passant toutefois par une élection à l'Ecclésia. Ces nouvelles classes censitaires devaient atténuer les différences entre les Eupatrides et la classe moyenne des marchands. Grace à elles, les marchands obtiennent davantage de poids dans les prises de décisions de la cité.

Réformes de Clisthène et naissance de la démocratie athénienne

La tension entre les grands Génos est à son comble. Après le renversement du Tyran Hippias, des Eupatrides soutenus par les Spartiates tentent de rétablir une oligarchie. Pour les contrer, Clisthène, lui-même membre d’une des plus grandes familles d’Athènes se pose alors en champion de l’isonomie. Il s'appuie sur les pauvres, non pas pour gouverner mais pour changer les institutions et donner au peuple plus de pouvoir. Les Spartiates tentent un coup de force en faveur du parti oligarchique mais ils sont repoussés par les partisans de Clisthène. Ce dernier peut alors engager sa réforme qui associe le peuple aux institutions et au gouvernement.

À travers sa réforme de 508 av. J-C, Clisthène concéda aux thètes, la plus basse catégorie censitaire, la participation non seulement aux décisions politiques mais aussi aux fonctions politiques. Cette réforme repose sur la réorganisation de l’espace civique : les anciennes structures politiques fondées sur la richesse et les Génos furent remplacées par un système de répartition territoriale , le dème. Ce système, sur lequel se base la nouvelle organisation des institutions, casse la pratique du clientélisme social, crée un esprit civique sans parti pris régional et va durablement affaiblir le joug politique des oligarques. Les citoyens de toutes les couches sociales et de toutes les parties de la cité (ville, intérieur des terres, côte) sont ainsi représentés dans chaque tribu et doivent apprendre à vivre et travailler ensemble.

Le dèmos désigne alors le corps civique de la cité, les citoyens réunis en assemblée (Ekklèsia) qui prennent une décision. Le pouvoir de faire des propositions, de prendre une initiative n’étant le privilège d’aucun individu, il appartient en principe à n’importe quel citoyen désirant l’exercer. L’assemblée du peuple ne détenait cependant pas tous les pouvoirs, certaines fonctions étant alors remplies par des magistrats. La réforme ne retint pas le vote comme mode principal de désignation des magistrats mais lui préféra le tirage au sort. La démocratie athénienne était née.

Conclusion

L’Athènes démocratique était une société fondée sur des ordres (citoyens /métèques / esclaves) plutôt que sur des classes. La différenciation entre citoyens, métèques et esclaves ne correspondait donc pas à une division de la population selon le statut social (beaucoup de métèques càd d’étrangers et mêmes certains esclaves étaient plus riches que les citoyens les plus pauvres). La division en ordre était avant tout politique. Athènes n’avait pas un régime dans lequel une « classe » détenait le pouvoir. L’assemblée étant en majorité constitué du « petit peuple », le régime était présenté comme celui dans lequel le pouvoir était aux mains des pauvres : dans les guerres, les rameurs étaient pour la plupart des citoyens faisant partie de la catégorie la plus pauvre à Athènes et leur vaillance en mer venait du fait qu’ils avaient quelque chose à défendre dans la société pour laquelle ils se battaient, car pour eux , la victoire était synonyme de liberté alors que la défaite annonçait le retour à une existence servile sous l’autorité d’une oligarchie. Leurs trières portaient d’ailleurs des noms comme « Liberté » (Eleutheria), « Démocratie » (Dêmokratia), « Libre parole » (Parrhêsia) ou « Justice » (Dikaiosynê). Autrement dit, la trière était un prolongement de l’Etat démocratique athénien.

Le régime démocratique athénien était certainement loin d’être parfait. Malgré ses défauts, la narrative selon laquelle il serait né en détruisant un Génos communiste est factuellement faux, la démocratie étant née en détruisant un régime inégalitaire qui concentrait les pouvoirs entre les mains d’un petit nombre de ploutocrates. C’est ce système dominé par les Génos oligarchique que la démocratie athénienne a remplacé pour établir l’égalité politique entre tous les citoyens. La démocratie est née historiquement comme une limite mise au pouvoir de la propriété par des réformes qui ont interdit l’esclavage pour dettes et qui ont institué une nouvelle redistribution territoriale qui cassait le pouvoir local des riches propriétaires.

Le très pragmatique Nicolas Machiavel écrivait que le choix en politique n’est pas entre le bien et le mal mais entre le pire et le moindre mal. Et le moindre mal dans une Grèce esclavagiste, était certainement la démocratie. Les soi-disant radicaux sont libres de rejeter toute forme de réformisme et de pousser leur radicalisme à un niveau paroxystique si ça peut leur procurer des orgasmes intellectuels et les faire frémir de volupté mais qu’ils s'abstiennent de colporter mensonges et autres sornettes sur un Génos communiste idéal qui aurait été détruit par le régime démocratique athénien.

 

Sources :

 

- « Le dèmos avant la démocratie », Marie-Joséphine Werlings

- « Recherches sur la nature du Génos : étude d'histoire sociale Athénienne - périodes archaïque et classique », Félix Bourriot

- « Histoire grecque, Tome I », G. Glotz

- « Les guerres grecques, 1400-146 av. J.-C », Victor Davis Hanson

- « Crise économique et sociale à l’époque archaïque d’Athènes », Jacques-Olivier Ledard

- « La naissance de la démocratie à Athènes du VIIe au Ve siècle av. J.-C. », Jean Michel Dufays

- « 621 avant JC, Dracon introduit la démocratie à Athènes », herodote.net


Lire l'article complet, et les commentaires