De l’Ukraine, du Yémen, des poids et des mesures

par Laurent Herblay
samedi 2 avril 2022

Bien sûr, l’horreur de la guerre d’invasion menée par la Russie en Ukraine, avec son cortège de morts, de destruction et de millions de civils en exode ne doit pas être minorée. En outre, cette invasion porte aussi pour les Ukrainiens la possibilité d’un retour à un ordre totalitaire se rapprochant de l’ère soviétique d’autant plus violent qu’ils vivaient largement librement. Mais le contraste entre le traitement de la guerre en Ukraine et celle au Yémen interroge. Pourquoi un tel deux poids, deux mesures ?

 

Horreur si proche, traitement si différent

Bien sûr, le contexte n’est pas exactement le même, puisque la guerre au Yemen est une guerre civile avec des rebelles aidés par l’Iran et un gouvernement soutenu par l’Arabie Saoudite. Mais cette guerre dure depuis maintenant plus de 7 ans, et a fait 377 000 victimes selon l’ONU, dont 60% de manière indirecte, du fait de la famine, du manque d’eau potable et des maladies. Cela faisait dire à l’ONU fin 2021, que « le Yémen est la pire et la plus grande catastrophe humanitaire au monde, et cette catastrophe continue de s’aggraver (…) 80% de la population a besoin d’une aide humanitaire ». Pourtant, on ne peut pas dire que bien des média en parlent souvent. Bien sûr, le pays est plus éloigné du nôtre, géographiquement et culturellement, mais ce sont 30 millions de personnes qui vivent un enfer depuis 2014.

Pour tout dire, en une journée, bien des média semblent en faire autant sur l’Ukraine que tout ce qu’ils ont pu faire sur le Yémen en 7 ans. Pourquoi une telle différence de traitement ? Et pourquoi l’Arabie Saoudite ne se voit pas reprocher son intervention militaire dans un pays voisin pour défendre un exécutif qui lui est favorable ? En outre, l’Arabie Saoudite n’est pas vraiment un modèle, une dictature plus autoritaire que la Russie, pays qui peut faire exécuter un journaliste hostile dans une ambassade à l’étranger, ou qui peut exécuter 81 personnes en un jour. La différence de traitement entre Moscou et Riyad pose question et semble très arbitraire. Bien sûr, le pétrole saoudien est important pour ses clients, mais la Russie n’est pas moins riche en matière première… Les ventes d’armes peut-être ?

Dans ce monde bien orwellien, il semble que le simple fait d’être l’allié des Etats-Unis permet d’échapper à toute pression, même pour une intervention dans une guerre ayant fait des centaines de milliers de morts dans le but d’assurer son aire d’influence. A contrario, un pays refusant d’entrer dans la sphère d’influence de l’Oncle Sam, et traité comme hostile par Washington, fait face à une mobilisation internationale extrêmement forte pour des faits proches. S’il me semble légitime de sanctionner la Russie pour la guerre déclenchée en Ukraine, l’absence de toute conséquence pour l’intervention saoudienne au Yémen me semble alors particulièrement injuste et révèle l’arbitraire effarant de notre monde occidental à l’indignation bien trop sélective et partiale. Selon que l’on soit russe ou saoudien…

Et que l’Oncle Sam se présente en grand défenseur de la liberté est totalement ridicule. Washington a beaucoup trop de sang sur les mains, avec deux guerres menées en Afghanistan et en Irak au 21ème siècle, dont le nombre total de victimes dépasse sans doute le million. Et cela a laissé ces pays dans un chaos profond, aux conséquences calamiteuses pour leur population, et au-delà. Comment les Etats-Unis peuvent donner la moindre leçon à la Russie avec un tel passif, que l’on pourrait compléter par tout ce qu’ils ont fait depuis au moins cinquante ans, entre les armes chimiques utilisées au Vietnam, les coups d’Etats en Amérique Latine, et les guerres illégitimes au Moyen Orient. Pire, difficile de ne pas y voir un moyen de pousser plus loin encore leurs intérêts, commerciaux comme géopolitiques.

Par-delà l’horreur que m’évoque le destin de l’Ukraine, en proie à une invasion que certains pensaient d’un autre temps, avec le spectre d’un retour à une société profondément totalitaire, je reste profondément mal à l’aise par la singularité du traitement de cette guerre par rapport à ce qui se passe au Yémen, ou s’est passé ailleurs dans le monde, notamment à l’instigation de l’Oncle Sam. Poutine est-il seulement plus critiquable globalement que Riyad, ou même Washington, depuis 20 ans ?

 


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