De la bataille de Lutèce au pilier des nautes

par Emile Mourey
lundi 19 octobre 2015

A Lutèce, la description du "lieu" que donne Labiénus, dans les Commentaires sur la guerre des Gaules, ne prête à aucune équivoque. Lutèce est un oppidum. Elle est dans l'île de la Cité. Elle est la capitale des Parisii. Mais elle s'étend, au sud, et peut-être au nord, à l'intérieur d'une large boucle de marécages qui se referme sur la Seine en lui assurant une protection. Cela suppose que des constructions s'étendaient jusqu'à l'intérieur de cette boucle, déjà avant la conquête. Voyez mon précédent article http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-bataille-de-lutece-d-apres-le-172983

Qu'est-ce qu'un oppidum ? Le mot est dérivé du mot latin ovidum qui signifie "oeuf". L'oppidum type est celui de Mont-Saint-Vincent, large muraille en forme d'oeuf ouvert vers le ciel, dans le sud de la Bourgogne, là où je situe Bibracte (cet oppidum reproduit très exactement l'enceinte de la première Troie, oui, la ville d'Homère). À l'époque de Napoléon III, l'avocat Garenne a repéré un ovale semblable à Alise-Sainte-Reine et au Mont Beuvray dans des vestiges de fondations. Cet ovale se retrouve déformé au Crest, en Auvergne, là où je situe Gergovie. Mais, par extension, le mot peut aussi désigner tout le mouvement de terrain considéré comme un refuge (en Auvergne, le plateau de la Serre qui prolonge l'éperon du Crest).

L'oppidum de Lutèce, c'est toute l'île de la Cité.

Le déroulement de la bataille répond à une logique, à condition de comprendre que c'est le Romain qui a l'initiative. S'il arrive par la rive gauche de la Seine, c'est parce que son objectif, celui qui lui semble le plus facile, le plus intéressant, le plus symbolique, est la ville, dans la boucle sud précitée et non l'oppidum. S'il se trouve empêtré dans le marécage de la Bièvre, c'est parce qu'il a sous-estimé l'importance de cet obstacle. S'il se porte avec une seule légion à l'opposé du dispositif, c'est pour attirer Camulogène en lui faisant croire qu'il va attaquer de ce côté-là (Camulogène pense que c'est toute l'armée qui a suivi Labiénus). On peut parler d'intoxication car Labiénus joue avec la psychologie de son adversaire pour l'amener à penser ce qu'il veut. Lors de la bataille de Gergovie, César avait agi d'une manière semblable en lançant une fausse attaque qui masquait la vraie. Mais c'est lui qui était tombé dans le piège de Vercingétorix.

Le combat est une ruse.

Mais c'est aussi, à Lutèce, le miracle de la discipline. Labiénus a réussi à transporter au moyen de seulement cinquante bateaux trois légions plus une cavalerie en une nuit seulement. Cela dépasse l'entendement. Le mot latin "transportari" ne prête à aucune confusion. Quant au mot "transmittitur", il est juste de le traduire par "envoyer de l'autre côté", mais il ne fallait par l'interprêter dans le sens " envoyer sur l'autre rive" mais dans le sens "envoyer de l'autre côté de l'obstacle que constituait le marais".

Qu'était Lutèce à cette époque ? Le fait que César y ait convoqué, quelque temps plus tôt, un conseil de toute la Gaule prouve que c'était déjà une importante localité.

Qu’il ait existé des constructions anté-césariennes en pierre, à la fois dans l’île de la cité et sur la montagne Sainte-Geneviève, j’en suis persuadé. La montagne Sainte-Geneviève, position haute dans la ville, se devait d’être honorée, au minimum, par un temple en pierre. On y a trouvé des vestiges de construction que l'on fait remonter à l'époque de l'empereur Auguste. Et pourquoi pas plus tôt ? De même, l’île de la cité, oppidum refuge en cas de danger, devait en posséder un, ceci pour être protégé par les dieux. Ce temple ne pouvait se situer qu'au centre de lîle, au point de rencontre des ponts sud et nord.

 Les archéologues nous disent que les céramiques permettent de dater un site. Or, au centre que j'indique, dans l'actuel chantier de fouilles de la Préfecture de Police, ils ont mis au jour des céramiques gauloises du IVème siècle avant J.C.. Ils devraient donc dater de même les constructions qu'ils y découvrent. Et si les importantes fondations de pierre qu'ils viennent de mettre au jour ne sont pas celles de l’église primitive de Saint Éloi, pourquoi ne seraient-elles pas celles d’un temple gaulois ? 

Suivant une inscription qui y était portée, les Parisii ont élevé à Lutèce le fameux pilier des nautes à l'époque de l'empereur Tibère, donc au début du Ier siècle. On en a retrouvé les morceaux lors de travaux menés sous le choeur de la cathédrale. Difficile de croire que ces Parisiens ne savaient construire qu'en bois, moins d'un siècle plus tôt. D'autant plus qu'aucun texte ne dit que l'empereur Auguste ait construit quoi que ce soit en Gaule intérieure. En pays éduen, la cité d'Augustodunum était tout simplement consacrée à l'Auguste du ciel. La ville d'Autun ne doit rien à l'empereur Auguste qui n'est jamais venu jusque-là. Bibracte au Mont-Saint-Vincent, Gergovie au Crest, tout cela était construit en pierres bien avant l'arrivée des Romains. Bref, aucun texte ne dit que les Romains aient colonisé la Gaule comme on le prétend. Tout ce qu'on peut dire est que les Gaulois ont évolué tout en profitant de la pax romana. À Alise-Sainte-Reine, le village des Mandubiens d'avant la conquête est toujours visible dans ses fondations de pierres, à l'endroit que César indique dans ses Commentaires

Il n'y a dans le pilier des Nautes principalement que du traditionnel authentique gaulois. Il était dédié à Jupiter très bon ? César ne dit-il pas, en arrivant en Gaule, que c'est le dieu du ciel que les Gaulois honoraient par dessus tout ? De même, Mars et Mercure. Les Romains, eux aussi, honoraient ces dieux, et alors ? N'est-ce pas en Gaule qu'on en trouve le plus de représentations ?

Spécifiques au monde gaulois, le taureau du pilier figure déjà dans l'anse du cratère de Lavau (Vème siècle avant JC). Cernunos, coiffé de cornes de cerf, portant torques, est représenté dans le chaudron de Gundestrup (II ème siècle avant JC.).

Les nautes parisiens formaient une corporation. César l'a dit, à son arrivée en Gaule, que non seulement dans toutes les cités, mais dans tous les pagus, dans toutes les localités et même jusqu'au sein des familles, il y a des associations à la tête desquelles sont placés ceux qu'on estime avoir le plus de poids ?

Non, je n'arrive pas à croire qu'avant la conquête, les Parisiens n'aient pas élevé un temple en pierre, et dans l'île de la cité, et sur la montagne Sainte-Geneviève - Mons Lucotitius. Je n'arrive pas à croire que César ait convoqué un grand conseil de la Gaule dans une maison en bois. Les importantes destructions relevées par les archéologues sur ce mons Lucotitius sont-elles de l'époque d'Auguste ? Cela ne s'explique pas... ou de l'époque de César ? Labiénus termine son récit en disant que cette action terminée, il rejoignit Sens puis César. Dans "l'action terminée", ne faut-il pas comprendre que Lutèce fut détruite et pillée pendant un ou deux jours et le butin emporté ?

Photos musée de Cluny

Emile Mourey, le 18 octobre 2015

 


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