De la « discrimination positive » à l’école ?
par Thelma Sanders
mercredi 4 juillet 2007
Les instituteurs, malgré de bonnes intentions d’ouverture culturelle, seraient-ils parfois à l’origine tout simplement de discriminations ?
Fin d’année scolaire, ma fille vient de finir le CP. Elle semble garder un très bon souvenir, aucune ombre au tableau à première vue. Les instituteurs ont-ils rempli leur mission intégralement ? D’un certain point de vue, oui, elle sait lire à peu près convenablement et elle éprouve du plaisir à écrire même si c’est truffé de fautes d’orthographe. Pourtant, pour moi en tant que parent, une inquiétude flotte dans mon cœur, l’entrée à l’école de mes enfants serait-ce aussi le signal de départ d’un long combat contre la discrimination ? Quels principes prône l’Education nationale au niveau de l’éducation de nos enfants, de leur intégration dans la société ? L’école forme-t-elle vraiment des citoyens ou se trouve-t-elle en position de fabriquer malgré de bonnes intentions des citoyens de seconde zone ?
Nous sommes fin 2006, ma fille me réclame un jour nos passeports ou nos cartes d’identité de nos pays d’origine. Nous sommes deux parents d’origine étrangère. La maîtresse frappée par cette union étrange de deux destins souhaiterait montrer aux autres élèves qu’ils existent d’autres nations sur cette chère planète ! Cette demande nous interpella, car ce n’est jamais à nos yeux une demande anodine. On comprit la démarche de la maîtresse malgré tout. Bien avant, les enfants pouvaient déjà par exemple apporter des CD de musique des pays de leurs parents. Ouverture aux autres cultures, donc la demande de documents d’identité malgré son caractère désagréable fut comprise et sourcils froncés, nous y accédâmes. Je me demandai toutefois, qu’aurais-je fait si j’avais été en situation irrégulière ?
Ce fut le début des désagréments, car ce travail d’ouverture que j’estime superficiel, une fois la classe finie, n’eut plus aucune prise sur les enfants. La brèche était ouverte, on avait pointé du doigt la différence, moqueries, singeries d’accents, de chansons commencèrent allègrement, ma fille fut obligé de se justifier : « Mais je suis comme vous, je suis née ici ! » Elle me fit remarquer que ses copains d’origine italienne ne subissaient pas le même sort. Je réagis, je fis un courrier en expliquant que la seule façon valable de valoriser les autres cultures tout comme la culture française et européenne était de présenter des livres, des expositions d’art, des films, des documentaires, les histoires des inventions, etc., tout cela sans aucun renvoi aux origines précises de tel ou de tel élève. Certes, une partie de tout cela fut fait.
Plusieurs mois après, je retrouvai dans le cahier de mon enfants, une phrase proposée par un des enfants et retenue, validée donc pour la lecture en classe : « Clara (ma fille) n’est pas de la même région que nous ? »
Il y a deux semaines à peine l’enfant alertée revient à la maison en me disant : « Maman, j’ai pleuré aujourd’hui, la maîtresse a dit qu’il y avait eu beaucoup de morts chez toi ! » Pour un enfant dont les grands-parents sont encore vivants et d’un certain âge ce genre de nouvelle a de quoi alarmer.
Hier même, un médecin trouvait que c’était extraordinaire d’être dans une configuration de couple originale, je lui rétorquai que j’aurais souhaité qu’on le rappelle moins à mes enfants dans le cadre scolaire. Nous sommes Français désormais, nous avons tourné une page de notre existence qui ne fut pas forcément gaie alors on voudrait vivre en sérénité dorénavant. Mais cela forgera le caractère de vos enfants !, me répondit- il.
Est-ce que mes enfants seraient en droit de ne pas se forger le caractère de cette façon ? Est-ce qu’il serait possible d’ouvrir des horizons culturels sans aucun renvoi aux familles qui de toute façon transmettent ce qu’ils ont à transmettre à leur propre façon et s’ils en éprouvent l’envie et la capacité.
Moi, en tant que parent parlant français, j’ai réagi, j’ai écrit, mais que font ceux dont les parents ne sont pas en mesure de s’exprimer et encaissent les quolibets de leurs camarades dès leur plus jeune âge ? Comment réagissent-ils, se rassemblent-ils avec leurs pairs, font bande à part, certains brûlent-ils les maternelles à 16 ans ? Ma fille a trouvé la force de retourner la différence à son avantage, mais cela est dû à son caractère. Elle manifeste une curiosité plus accrue pour nos cultures, elle nous défend à sa manière.
N’étant pas confrontés à ce problème, moi et mon époux, savons pertinemment d’où nous venons, que l’on soit interrogés sur nos origines, cela nous semble à peu près normal, on ne le nie pas, ce sont nos racines, nous avons même été formés et bien formés ailleurs, mais nous avons quitté nos pays comme on quitte une prison, pas envie d’en parler, pas envie d’y retourner. Il est pour nous indéniable que l’on est de là où on est nés. Nous expliquons à nos enfants qu’ils sont Français, ils ont assumé cette identité dès leur plus jeune âge, mais ils tirent également leurs racines d’ailleurs.
J’ai toutefois peur que le moment venu certains leur fassent comprendre que leur place n’est pas ici tout comme on l’a fait comprendre à d’autres jeunes issus de l’immigration et qui, malgré leurs diplômes, ont dû chercher leur fortune dans d’autres pays.
En dehors du cas personnel, la réflexion qui s’entame est « Quels citoyens français et européens voulons-nous ? » Et si nous réfléchissons plus profondément aux enjeux d’aujourd’hui, ne devrions plutôt nous approprier la pensée de Cyrano de Bergerac :
"Un honnête homme n’est ni français, ni allemand, ni espagnol, il est citoyen du monde et sa patrie est partout." ?
Mais dans ce cas, il faut que les représentants de l’Education nationale prennent conscience qu’il y a un hiatus entre les discours, les bonnes intentions officielles et ce qui se passe en dehors des classes. La rue réagit autrement à la différence, aux instituteurs de trouver la bonne voie de l’éducation citoyenne, car au lieu d’être en partie à l’origine, ils peuvent creuser les clivages. Citoyens du monde, soit, mais dans ce cas-là, faisons en sorte à ce que l’on le soit tous et à tout moment.
Pour finir, une autre trouvaille éducationnelle datant de cette année et concernant un autre enfant, à méditer dans ses conséquences :
« Toi qui es d’origine étrangère, tu dois être un exemple de sagesse pour les autres enfants ! Mais je suis Français, Madame ! »