De la facilité de rendre le CD attractif

par Stabbquadd
samedi 18 février 2006

Depuis quelques années déjà, l’industrie du disque se plaint de la baisse de ses revenus et accuse sans vergogne (et sans étude à l’appui) le P2P. Dans le même temps, les analystes et les consommateurs mettent en cause le coût de l’accès à la culture, la modification dans les usages de la culture, ou encore la baisse du pouvoir d’achat ; parallèlement, la vente de musique sur DVD ou sur téléphone portable a connu une hausse considérable par exemple. Plutôt que de rentrer dans la polémique, je propose d’étudier un dizaine de points pour permettre au CD de devenir un produit intéressant, concurrentiel même, plutôt que de n’être finalement qu’un support encombrant de musique numérisée.

Depuis quelques années déjà, l’industrie du disque se plaint de la baisse de ses revenus et accuse sans vergogne (et sans étude à l’appui) le P2P. Dans le même temps, les analystes et les consommateurs mettent en cause le coût de l’accès à la culture, la modification dans les usages de la culture, ou encore la baisse du pouvoir d’achat ( Article Ratiatum : faut-il boycotter les produits des majors ) ; parallèlement, la vente de musique sur DVD ou sur téléphone portable a connu une hausse considérable, par exemple ( Les chiffres officiels à la source ). Plutôt que de rentrer dans la polémique, je propose d’étudier une dizaine de points pour permettre au CD de devenir un produit intéressant, concurrentiel même, plutôt que de n’être finalement qu’un support encombrant de musique numérisée.


Tout d’abord, commençons par ce qui fâche, mais ce qui apparaît souvent comme le point le plus important pour les consommateurs : le prix des CD, et la répartition de celui-ci. En effet, il est évident que ce qui paraît le plus motivant dans l’achat d’un CD, c’est de rémunérer le groupe. Les amateurs de musiques n’en ont que faire des maisons de disques, de leurs actions et de leurs profits infinis, s’ils achètent un CD, c’est pour le travail de l’artiste qu’il contient, et le rémunérer est le meilleur moyen de remercier. Or, il semble aujourd’hui que cette répartition soit tout ce qu’il y ait de moins équitable, et limite les revenus des artistes, vampirisés par leur maison de disques ( Lettre ouverte de Samizdat à Monsieur Eddy Mitchell ). Voici un exemple de répartition, pour un contrat de star, qui est donc bien plus intéressée aux ventes qu’un autre artiste ( Dossier Ratiatum : prix des CD : où va votre argent ? ) !

Tout d’abord, 22% du prix du CD est pour le circuit distributif. Cela nous concerne peu, il suffirait de concurrence libre pour que ça baisse. Quant à la part de la maison de disque, elle atteint un minimum de 52% : en effet, les chiffres venant directement des maisons de disque, il est très probable que ceux-ci soient légèrement arrangés à leur désavantage, pour participer à l’instauration du climat de crainte du consommateur béta de voir la culture musicale disparaître, ce qui, soit dit en passant, est très peu probable...

Selon les chiffres donnés donc, sur un CD à 20 €, la maison de disque ne toucherait que 8,69 €. Sur cette somme 0,52 € sont dépensés en frais d’enregistrement, ce qui semble somme toute crédible. 1,82 € va à la fabrication du disque, et là je suis perplexe. Sur le premier site de presse à CD que j’ai trouvé ( Page des tarifs de Replika.fr ), j’ai pu établir un devis pour une petite série de 1000 CD 12cm (format classique), avec boîtier cristal et sérigraphie. Et là, le résultat est particulièrement saisissant : pour un particulier comme moi, qui sortirait une toute petite série de CD, je me retrouve avec un coût par CD de 0,39 € (en comptant même les frais de dossier). Et on me fera pas avaler que les majors du disque payent aussi cher le CD ou les frais de dossier (50 € pour ma commande), ni que la jaquette ridicule (généralement un bout de papier plastifié) vaut 1,4 €... Nous sommes manifestement face à une légère exagération du coût du CD, sans doute une faute de frappe...

Mais continuons : 2,69 € du prix du CD va pour la promotion. Là encore, je m’interroge, et j’en conclus rapidement : on parle ici des frais de promotion de la maison de disque répercutés sur le prix des CD, et pas du coût de la promotion de l’artiste dont c’est le CD. Alors, je propose sereinement qu’ils nous lâchent un peu la grappe avec leur promotion du genre Star Ac, etc. ; non seulement ça nous fera des vacances, mais en plus il pourront baisser les frais de promotion à 2 € ... Hourra !!! Puis, 2,17 € vont pour les frais généraux, c’est-à-dire le règlement des salaires colossaux des pontes de la direction, ceux-là mêmes qui font pression sur nos ministres... On peut facilement diminuer de plus de moitié la somme, même plus si on voulait apprendre les réalités de la vie à nos vampires nationaux. Enfin, les 1,48 € restants représentent les marges d’exploitation, soit les bénéfices de la maison de disque. Là encore, on peut réduire ça à quelques centimes d’euro, n’en déplaise aux actionnaires.

Au total, on peut donc diminuer les 8,69 € de la maison de disque à moins de 3 €. Admettons que le distributeur prenne 1 €, soit un peu plus que ce que ça doit lui coûter, et si la part de l’artiste ne bouge pas, celui-ci touche déjà la moitié du prix du CD (sans compter la TVA bien entendu), si c’est un artiste confirmé, et le coût du CD tombe déjà à un peu plus de 8 €. Ajoutons la TVA pour obtenir son prix, et le CD vous coûterait alors un peu plus de 10 € ! Et je n’ose pas imaginer le résultat possible avec les vrais chiffres (puisqu’on aura constaté qu’il y a de nombreuses exagérations)...

Quant à la musique en ligne, je préfère ne même pas en parler, vu que les coûts tendent vers 0 €, tout comme la part reversée aux artistes...
Pour ma part, ce n’est qu’à l’aube du nouveau millénaire que j’ai pris connaissance du fait que sur 15 à 20 €, moins d’un euro revient généralement à l’artiste, et j’ai dès lors commencé un boycott complet des produits de l’industrie musicale. A l’époque, 20 € c’était 12% de ce que j’avais pour vivre, alors faire cet effort conséquent pour permettre à Pascal Nègre de toucher 80 000 €/mois, ça n’est pas spécialement encourageant ( fin de l’article Le Point : Pascal Nègre à pleins tubes ).

Aujourd’hui, 20 € c’est 5% de mes revenus, mais j’ai un niveau de vie légèrement supérieur. Alors, il est nécessaire de baisser le prix d’un CD pour qu’il me vienne l’idée d’en racheter. Et pour dire vrai, mon boycott n’était pas très assidu, puisque j’ai entre-temps payé 5 € un double CD du Vans Warp Tour 2004 (sur place), et 5 € également un album de M-Sixteen (groupe parisien, directement au groupe). Je n’ai fondamentalement rien contre l’achat de CD... Et pour moi, ces deux CD ont beaucoup plus de valeur que les autres CD que j’ai pu acheter dans le passé. Comme quoi un prix prohibitif ne donne aucune valeur au produit lorsqu’il s’agit d’un simple contenant. On ne peut pas dire : "Vous vous rendez compte, une chanson vaut moins d’un euro sur les plates-formes "légales", c’est inadmissible", car la valeur réelle de la chanson, c’est le cumul des prix que serait prêt à payer chacun des éventuels acheteurs. Et même avec un prix unique, il faut surtout prendre en compte le nombre d’acheteurs. Si une chanson ne valait réellement que 0,99 cents, cela impliquerait qu’après mon achat je sois propriétaire de la chanson, et que personne d’autre ne puisse l’obtenir autrement qu’en me l’achetant, ce qui est bien évidemment non seulement faux, mais également inenvisageable pour de la culture.

Voici donc l’énoncé de mon premier point :
1/ Baisser le prix des CD d’au moins 50% et rémunérer l’artiste à plus de 50% de ce prix. Un album vaudrait alors au maximum 10 €, et l’artiste en toucherait au moins 5.

Second point, et pas nécessairement des moindres, respecter les conditions du Livre rouge ( Comment ça marche : le CD-ROM ), conditions sine qua non pour appeler "CD" sa galette de plastique. Toutes les protections techniques actuelles violent donc le droit à l’appellation de CD, ce qui explique qu’ils ne soient pas lus par tout le monde et que leur producteur soit même parfois condamné pour cela au Tribunal de Grande instance (Libération : Le verrouillage des CD prend une veste au tribunal ) ! De plus, je ne connais aucun album dont la protection ait empêché la présence sur le P2P, par contre j’en connais un paquet qui ont empêché un acheteur de le lire, ce qui parfois mène à boycotter une maison de disques, ou même toute l’industrie musicale, comme c’est mon cas. Il n’a jamais été prouvé que le P2P faisait baisser les ventes, alors qu’il est plus que prouvé qu’un client ayant acheté un CD illisible se méfiera par la suite, quand il ne cessera pas tout simplement d’acheter des CD. Et comme il suffit d’un malin qui passe outre la protection pour que l’album soit partagé sur le P2P, que les "pirates" ont nécessairement de l’avance sur les protections (quelqu’un de passionné est en général créatif, compétent, et possède une approche pratique, alors qu’un employé d’une grosse boîte n’a qu’une approche théorique, et plus le nombre de personnes travaillant sur le même produit est élevé, plus il y a de chance que le produit ait des failles, Microsoft en est le meilleur exemple...), et que le P2P ne peut être contrôlé (même s’il est déclaré illégal), il est parfaitement inutile de continuer dans la voie de la protection matérielle du produit. Tout ce qui peut être lu peut-être dupliqué, et parfois même ce qui ne peut être lu ! Les internautes ont bien compris qu’il s’agit là d’une affaire de fierté et non de protection, puisque la conséquence est finalement autodestructrice (comme tout ce qu’on peut être amené à faire par fierté). Ça les décourage d’autant plus de continuer à engraisser l’industrie du disque...

2/ Respecter le Livre jaune (extension du Livre rouge pour l’utilisation d’un CD audio sur un lecteur CD-ROM).

3/ J’ajoute qu’il serait agréable que tous les CD du commerce possèdent des données CD-Text, ces données qui permettent à vos chaînes ou autres autoradios d’afficher le nom de l’artiste, de la piste en écoute, de l’album, etc.

Puis, et l’on entre maintenant dans des considérations purement commerciales destinées à séduire le client (ou au moins à le contenter), voici un exemple des questions qu’il m’arrive de me poser sur un groupe, et dont les réponses devraient se trouver dans tout livret digne de ce nom, à la place même du bout de papier plastifié actuel, qui d’un côté est censé attirer le consommateur pigeon, et de l’autre côté, celui pour lequel c’est trop tard, énumère les restrictions matérielles dans l’usage de ce qui ne devrait pas être appelé "CD" :

4/ Depuis quand le groupe est formé, et un bref aperçu de sa discographie, au moins les albums, avec l’année de création.

5/ Quels en sont les membres actuels, dans l’album qu’on a entre les mains, et quels sont leurs rôles au sein du groupe.

6/ Le matériel qu’utilise le groupe. Une Gibson avec un préamp Vox et un bon gros Marshall pour le guitariste, et uniquement des cymbales Zildjian pour le batteur, par exemple.

Ensuite j’aimerais bien avoir quelques renseignements sur les chansons que je suis en train d’écouter :

7/ Leurs paroles, quand il y en a !

8/ La source d’inspiration, l’histoire de la chanson. "Par exemple on était à McDo on a entendu une chanson de tel groupe et on a trouvé l’idée de mettre les guitares en contretemps de la batterie excellente. En rentrant on a tenté un truc et c’est venu naturellement. A croire qu’on l’avait déjà en nous !" ou encore "En fait cette chanson n’était pas prévue dans l’album. On était en studio et untel gratouillait sur sa guitare pour s’échauffer, et il a trouvé le riff qui tue, du coup on l’a ajouté à l’album. Ça a pas mal fait chier le producteur en vérité, parce qu’il avait déjà prévu la maquette de l’album depuis longtemps !"

9/ Si le groupe est fier de cette chanson, s’il aime la jouer, et pourquoi. Genre "Ouais cette chanson moi elle me saoule, c’est une de nos premières et je la trouve pas à la hauteur des autres, mais bon, on dira que c’est comme un bonus track..."

Enfin, pour relancer et encourager l’achat de CD, il serait intéressant de pouvoir jouir d’un avantage matériel sur d’autres supports. Dans une vieille compilation appelée "3x plus de bruit", il y avait à l’époque un médiator "3x plus de bruit". C’est un tout petit objet tout bête, mais qui peut vite devenir un porte-bonheur lorsqu’on est fan du groupe. Pourquoi pas imaginer aussi d’inclure des stickers ? Je me souviens également d’artistes dont l’achat du CD donnait accès à des réductions lors des concerts ou pour l’achat d’anciens albums. Ou encore des accès réservés, ou un statut unique sur le forum officiel du groupe (par exemple "fan incontesté") et autres avantages sur le site officiel, ou encore des réductions sur l’achat d’un vêtement à l’effigie du groupe (ça se fait beaucoup), ou encore des billets de tombola. Imaginez que vous puissiez gagner un pass backstage pour votre groupe préféré dans un de ses albums qui coûte, comme vu au début du sujet, 10 €. Est-ce que vous n’en achèteriez pas plusieurs, quitte à ce que le surplus soit offert, donné ou revendu d’occasion ? On peut aussi imaginer de permettre aux possesseurs du CD de télécharger n’importe laquelle des chansons de l’album gratuitement en tant que sonnerie.

10/ Inclure des objets uniques dans les CD.

11/ Proposer des avantages aux possesseurs du CD.

12/ Encourager la diversité ? Le Monde diplomatique : Chanson francaise et diversité culturelle

Pour conclure, je suis moi-même étonné de ce que, seul, j’ai pu trouver pour rendre le CD attractif, et je me rends compte qu’il suffirait de si peu pour renouer avec le public que je n’arrive même pas à imaginer ce qui peut bien motiver nos industries musicales à s’enfoncer volontairement dans un marécage qui risque seulement de leur être fatal ! Les plus paranoïaques d’entre nous voient déjà là une orchestration dramatique magistrale de ce qui n’est que la mort programmée du CD, le support ne présentant pas assez de "sécurité", là où les DRM, à l’inverse, permettent un contrôle total de l’utilisation du fichier sur lequel il est apposé. Mais ceci fera sans doute l’objet d’un autre article... ;)


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