De la guerre d’Algérie – N° 5

par Nicole Cheverney
lundi 15 août 2022

 

Ferhat Abbas accepte de faire participer les Musulmans algériens à l’effort de guerre des Alliés, mais demande en contrepartie « l’ouverture des discussions sur un nouveau statut de l’Algérie ».

Ferhat Abbas rend public, le 10 février 1943, son « Manifeste du Peuple algérien », suivi d’un programme de réformes. En général, malgré la déception de Ferhat Abbas de ses demandes non abouties, les Algériens dans leur majorité, trouvent « les richesses morales et spirituelles du peuple français, dans la justification de leur action présente » : (leur enrôlement dans l’armée d’Afrique). Hommage d’autant plus touchant, qu’une fois de plus, les troupes musulmanes vont se battre avec courage, lors du débarquement de Provence, comme ils l’avaient fait en 1914/18.

Ferhat Abbas réitère sa volonté profonde d’abolir la colonisation et d’établir une constitution de l’Algérie avec « participation immédiate et effective des Musulmans algériens au gouvernement de leur pays »

Le gouvernement général ne repousse pas – dans l’immédiat ce texte. Une « commission d’études économiques et sociales musulmanes », pour des réformes est créée. Mais les événements politiques dus à la guerre vont retarder son examen.

De Gaulle pose les pieds à Alger. Il est accueilli froidement par les Pieds-noirs.

En effet, ils le jugent hautain et méprisant, peu accessible, d’ailleurs il a du mal à masquer ses sentiments envers les Pieds-noirs.

A peine arrivé, il procède au remplacement de Peyrouton qui a vu clair dans le jeu de De Gaulle et des Anglo-saxons : (Anglais et Américains) que Peyrouton soupçonne être plus ou moins derrière le mouvement des « Nationalistes ».

De Gaulle nomme Catroux bien plus docile que Peyrouton.

Très ostensiblement, de Gaulle se prête au jeu anglo-saxon des « Nationalistes » qui lui remettent une « Constitution qui sera élaborée par une Assemblée algérienne constituante élue au suffrage universel par tous les habitants de l’Algérie ». Car, au mépris même des intérêts de la France, il est prévu par les Alliés et les Gaullistes une « Union Nord-Africaine » formée avec la Tunisie et le Maroc, c’est-à-dire une Fédération d’États de bric et de broc où l’on trouve un « protectorat », (Tunisie), une monarchie chérifienne (Maroc) et trois Département français ( l’Algérie), c’est-à-dire, un bout de France territorialement inaliénable.

Les Gaullistes sont en roue libre, sous l’influence des Alliés.

Catroux ouvre la fonction publique aux Musulmans tout en rappelant que « l’Algérie fait partie intégrante de la France. »

Le 22 Septembre, les Délégations financières sont convoquées où les délégués musulmans « s’abstiennent de siéger ». Ferhat Abbas et Sayah Abdelkader réaffirment leur attachement à leur manifeste et à leurs principes énoncés. Ils sont arrêtés et envoyés en résidence surveillée, ils sont relâchés à la fin de l’année « après la Commission aux réformes musulmanes dont les travaux vont inspirer le discours prononcé par le général de Gaulle à Constantine le 12 décembre 1943. »

De leurs côté, les Pieds-noirs assistent aux luttes intestines entre de Gaulle et Giraud. Ils garderont du passage de De Gaulle, « un souvenir détestable. »

De Gaulle, à Alger, va se forger après son discours de Brazzaville, une image de réformiste auprès des Musulmans. Il annonce des réformes, qui à bien regarder ne sont que des réformettes, mais dite avec une telle emphase que tout le monde y croit. Sauf...Ferhat Abbas. De Gaulle ne va pas assez loin. Le Comité de Libération décide d’attribuer à plusieurs dizaines de milliers de Musulmans, « leurs droits entiers de citoyens ». Ces droits ne peuvent pas être limités ou empêchés sur des objections fondées sur le statut personnel ».

Il va être décidé une augmentation très importante de Français musulmans dans les assemblées locales. De nombreux postes administratifs leur seront ouverts. De Gaulle ouvre également les assemblées aux représentants des Oulémas.

Mais pour Ferhat Abbas, il ne s’agit ni plus ni moins de la part de De Gaulle de reprendre le projet Blum-Violette. Mais il n’est nulle part question de la création d’un État algérien.

Le 14 Mars 1944, Ferhat Abbas, Messali Hadj et les Oulémas se rassemblent pour fonder « Les Amis du Manifeste de la Liberté », et le diffusent au sein de la population musulmane.

Très rapidement, des divergences apparaissent entre Messali Hadj qui veut une indépendance de l’Algérie « immédiate », et Ferhat Abbas et les Oulémas qui réclament une « République algérienne fédérée à la République française ».

Ferhat Abbas et les Oulémas font de cette revendication la tête de pont de leur programme.

Un programme, une constitution, mais rien n’est prévu et évoqué par les Nationalistes de l’avenir économique de l’Algérie, de l’exploitation de ses ressources, une fois la France écartée, aucune mention, laissant cette question de côté.

Les « Amis du Manifeste » rejettent la solution fédérale de Ferhat Abbas, lors d’un congrès lui préférant l’option radicale de Messali Hadj.

Ce dernier, toujours en résidence surveillée apparaît comme « le leader » incontesté du peuple algérien.

1945. La guerre se termine en Europe. En Algérie, l’atmosphère devient de plus en plus lourde.

L’insécurité s’installe et les manifestations se multiplient. Pour la première fois les deux communautés sont arrivées à une exaspération mutuelle qui ne laisse présager rien de bon. Les Européens, par voie de conséquence se sentent menacés par la vague de mécontentement qui enfle, attisée par la propagande des Nationalistes de plus en plus radicaux, sous la houlette de Messali Hadj.

Des agitateurs excitent les fellahs et exploitent à des fins politiques, le mécontentement. Certains Européens sont conscients du danger et craignent de la part du gouvernement que la probabilité d’une répression en cas de trouble majeur, d’une part, mettrait un terme à la politique d’évolution amorcée, d’autre part, embraserait le pays et livrerait les Européens à la vindicte.

Le 8 mai 1945, éclatent des émeutes dans le Constantinois.

L’affaire de Sétif et Guelma.

Dans l’attente de sources complémentaires, je fais ici un bref résumé de ce dramatique épisode. Je consacrerai d’ici peu, un seul article étayé et complet sur Sétif et Guelma.

Sétif est une bourgade située entre Alger et Constantine. La population européenne se compose d’agriculteurs, de fonctionnaires et de commerçants. Cette région est – depuis bien avant la guerre – travaillée par la propagande des Nationalistes. « Elle n’est pas sûre ». Le préfet du Constantinois, les officiers en garnison à Sétif et en Kabylie sont inquiets de cette « fermentation ». Ils songent même à faire dissoudre le mouvement des « amis du manifeste ». Mais les autorités hésitent, et font procéder à l’arrestation de quelques meneurs.

« Le 7 mai 1945, dans la soirée, retentissent cloches et sirènes, pour annoncer la fin de la guerre ». La foule pavoise, et défile dans les rues de Sétif. Les Musulmans se scindent en deux manifestations, l’une fêtant la « libération », l’autre groupe de manifestants ne se mêle pas aux festivités, et défile aux cris de « vive Messali » et de slogans hostiles aux Européens.

Le lendemain, le 8 mai, les Musulmans, de plus en plus nombreux, organisent un grand rassemblement devant la Mosquée. Autant dire que « cela commence à sentir mauvais » pour les Européens. Les autorités préfectorales sont inquiètes et convoquent les membres du bureau des « Amis du Manifeste ». Ils leur notifient l’interdiction de toute manifestation de caractère politique. La gendarmerie et la police sont en alerte. Le commissaire de police tente de disperser la manifestation. Il est là aussi pour déposer une gerbe aux monument aux morts. Il exige le retrait des banderoles provocatrices brandies par les nationalistes. « L’atmosphère est tendue » ; les manifestants sont armés.

Un premier coup de feu est tiré par un policier, tuant un « jeune scout musulman ». Les manifestants se répandent immédiatement dans la ville dans une fureur devenue incontrôlable. Ils s’en prennent de manière indifférenciée aux Européens. « Les victimes sont nombreuses ».

29 morts européens sont à déplorer.

Simultanément, « l’émeute se répand » comme un torrent en furie sur un rayon de 25 kilomètres, jusqu’à Guelma, une autre ville du Constantinois.

« Le Sous-Préfet, grâce à son sang froid limitera le nombre de victimes. » Mais c’est dans les petits villages du bled que la situation atteint son paroxysme ».

Des groupes de manifestants surexcités attaquent les fermes des Européens. « Les colons sont massacrés, "dans des conditions particulièrement atroces", les centres municipaux incendiés, le chemin de fer est coupé ».

Les autorités dénombreront plus de 120 Européens tués.

Les Européens sont assiégés par une foule hostile ; pour les autorités il faut les secourir. Elles font appel à l’armée et à l’aviation.

La répression en représailles, qui s'en suivra sera brutale.

1500 Musulmans tués sont à déplorer.

Cet épisode dramatique sera largement surexploité par les Nationalistes algériens, qui, dans une surenchère de chiffres comptabiliseront 40 000, 50 000 tués musulmans par la répression.

En réalité, seulement 5 % de Musulmans sur les 10 000 présents à Guelma auront participé de manière active, aux troubles, aux attaques et aux tueries ; (à des degrés divers de violence).

Les opérations militaires se multiplient. La région est quadrillée et les douars sont « ratissés ». Ferhat Abbas est mis aux arrêts, ainsi que le docteur Saadan.

3696 arrestations auront lieu dans le Constantinois.

99 condamnations à mort seront prononcées pour les auteurs des massacres d’Européens.

329 à des travaux forcés.

64 aux travaux forcés à perpétuité.

En revanche, de très nombreux Musulmans après ces tragiques événements, viennent présenter aux autorités françaises leur témoignage de loyalisme.

Le 15 mai 1945, les autorités demandent « la création et l’armement immédiat de gardes civiques ».

Albert Camus profondément remué par les événements du Constantinois (Sétif-Guelma), y voit « la rupture définitive entre deux communautés ». Il envisage le pire, et l’avenir lui donnera raison.

Il écrit dans « Combat » :

«  cette crise politique s’est établie aujourd’hui dans une atmosphère de haine et de défiance qui ne peut rien améliorer. Les massacres de Guelma et de Sétif [des Européens ] ont provoqué chez les Français d’Algérie, un ressentiment profond et indigné. La répression [par les autorités ] qui a suivi, a développé dans les masses arabes, un sentiment de crainte et d’hostilité  ».

Conscient qu’il est l’heure d’agir sans tarder, le Gouvernement Chataigneau dresse « un plan d’amélioration rurale », il veut développer les travaux hydrauliques, 250 000 hectares en terres irriguées, des canaux d’irrigation vont couvrir la région d’Alger à Orléanville.

Les restrictions imposées par la guerre, a réduit considérablement les quantités d’engrais. On les importe afin de maintenir à flot le rendement agricole.

1749 écoles seront ouvertes, les universités déjà ouvertes aux Musulmans issues des catégories sociales privilégiées, verront leur accès ouvert à tous.

Les élections seront ouvertes aux Musulmans qui accèdent aux fonctions de maires.

Or, au moment où des améliorations notables se mettent réellement en place, Messali Hadj, toujours recroquevillé sur son projet d’indépendance totale de l’Algérie, fait pression sur les populations musulmanes, notamment dans les bleds, pour les dissuader de s’inscrire sur les listes électorales.

Les pressions sont telles, que sur 60 000 inscrits, seulement la moitié exercera son droit de vote.

De son côté, Ferhat Abbas et le docteur Saadane sont toujours incarcérés. Le docteur Bendjelloul à la tête de la Fédération des élus musulmans, obtient 7 sièges. Les socialistes 4, les communistes 2.

Le docteur Bendjelloul réclame ce en quoi il croit toujours : l’assimilation et la citoyenneté à tous les Musulmans d’Algérie, « sans aucune distinction de sexe, de catégorie, de classe sociale », la suppression du Gouvernement Général et la création d’un collège unique. Le projet échoue.

 

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