De la mort de Lénine à la prise du pouvoir par Hitler

par Jean Dugenêt
vendredi 1er octobre 2021

Il se trouve encore des nostalgiques du stalinisme notamment dans le PRCF. Ceux-ci et d’autres expliquent qu’il y a eu une sorte de duel entre Staline et Trotsky et que c’est le meilleur qui a fini par l’emporter. Je veux montrer que si Staline a effectivement réussi à mener à bien une contre-révolution en exterminant les bolcheviks et sans doute des millions de personnes, il n’a nullement pour cela fait preuve d’une grande subtilité.

Après la mort de Lénine, la révolution russe a dégénéré essentiellement parce qu’elle est restée isolée. Elle a pourtant été suivie de puissants mouvements révolutionnaires dans toute l’Europe. Dès 1917, une grève générale mobilise la classe ouvrière en Espagne.  Une grève de masse en Autriche crée une situation révolutionnaire à partir du 14 janvier 1918. Au même moment ce sont les ouvriers hongrois qui entrent en grève (18 janvier 1918) et élisent les premiers conseils ouvriers. Ce sera la révolution en Hongrie en 1919. La vague révolutionnaire déferle aussi en Norvège, en Irlande, en Espagne, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas. Je ne peux guère, dans le cadre de cet article, donner plus de détails. Il y eu aussi la guerre civile en Finlande, les mutineries dans la Mer Noire puis dans plusieurs grands ports d’Europe... C’est d’ailleurs par une mutinerie de marin que débute la révolution spartakiste en Allemagne en 1918. Mais, les révolutions ont été écrasées en Finlande, en Hongrie et également en Bulgarie en 1923.

L’histoire de l’humanité bascule

Les défaites en Allemagne (en 1918 puis 1923) ont mis fin à l’espoir que la révolution se propage dans l’immédiat en Allemagne puis dans toute l’Europe. Le prolétariat allemand subit une première défaite en 1918-19. La révolution spartakiste a en effet échoué et ses deux grands leaders Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht ont été assassinés dans des conditions où la responsabilité des socialistes du SPD est écrasante même s'ils n'en sont pas directement les auteurs. Ensuite Lénine et Trotsky essaient de redresser les erreurs du jeune parti communiste allemand (le KPD) qui mène une politique trop sectaire (gauchiste). En 1923, une nouvelle révolution échoue à cause d’hésitations au moment de l’insurrection. Trotsky avait été un moment pressenti pour se rendre à Berlin en tant qu’organisateur de l’insurrection mais la suggestion fut rejetée (Cf. « La révolution allemande » de Chris Harman p. 335.) Pour bien comprendre comment s’est fait ce tournant, je conseille de visualiser la petite vidéo sur YouTube ou Pierre Broué et Jean-jacques Marie donnent quelques explications. Ils montrent comment Staline a fini par l’emporter avant que Lénine ait pu engager le combat qu’il projetait contre lui. L’opposition entre Staline et Trotsky apparaît en effet avant même le décès de Lénine. Celui-ci en est évidemment informé. Dans un premier document, il donne son avis sur les défauts et les qualités respectives des deux leaders. Puis, voyant que ses propres décisions sont bloquées par Staline, il décide de l’écarter du pouvoir. Une confrontation de Lénine et Trotsky ensemble contre Staline n’aurait assurément pas laissé beaucoup de chances à ce dernier. Malheureusement Lénine meurt avant que la confrontation ait lieu. Ensuite, comme Jean-Jacques Marie l’explique Staline prend rapidement de l’importance dans l’appareil d’Etat du fait des conditions particulières de la Russie à ce moment. Il a obtenu de manière fortuite en avril 1922 le poste de secrétaire général du parti. Ce poste lui donnait une fonction d’organisation de l’appareil mais nullement une fonction de dirigeant politique car c’était Lénine le dirigeant reconnu par tous. Il bénéficie alors de circonstances qui lui sont très favorables puisqu’il s’est ainsi trouvé à la tête d’un appareil qui a pris une place démesurée très rapidement à cause des circonstances particulières où toute une administration se met en place pour relancer l’économie russe et pour gérer la pénurie dans les conditions difficiles d’un pays arriéré qui vient de subir une terrible guerre civile. Comme le dit Jean-Jacques Marie, Staline utilise une situation qu’il n’a pas créée. Ce sont ces conditions favorables, avec bien sûr le décès de Lénine et surtout l’échec de la révolution allemande qui permettent à Staline de prendre l’avantage sur Trotsky. C’est dans ce contexte que Staline a fini par l’emporter sur Trotsky et a théorisé cet isolement de la révolution russe en prônant le « socialisme dans un seul pays ». On peut dire qu’en 1923-24, la défaite de la deuxième révolution allemande suivie de la mort de Lénine ont fait basculer l’histoire de l’Humanité.

Voyons plus en détails comment le parti bolchévique, dont Staline est le secrétaire général, s’est métamorphosé. Dès la mort de Lénine, ce parti ne ressemble plus guère à celui qui a fait la révolution. En 1923, il compte 500 000 adhérents mais moins de 10 000 d’entre-eux étaient bolchéviks lors de la révolution d’octobre. En plus de cela, sa composition sociale n’est plus du tout la même. Il y a maintenant moins de 10% d’ouvriers dans ce parti, ce qui amène l'Opposition de gauche à développer le slogan : « Quarante mille membres du parti manient le marteau, quatre cent mille le cartable ». Ce parti est essentiellement investi par les fonctionnaires recrutés pour redémarrer l’activité économique, les transports… Staline occupant le poste de secrétaire général du parti se trouve de fait à la tête de tout cet appareil. Il va s’appuyer sur cette nouvelle caste d’apparatchiks pour isoler la « vieille garde » bolchevique laminée par la guerre civile. C’est sur ce terreau qu’il va pouvoir exterminer la quasi-totalité des vieux bolchéviks. La gestion de « l’ilôt du socialisme » est la raison d’être de cette caste. Les apparatchiks adhèrent donc tout naturellement à la politique du « socialisme dans un seul pays » qui justifie leurs privilèges. Comme l’a expliqué Trotsky, rassemblés derrière le slogan stalinien officiel du « socialisme dans un seul pays », il y avait tous ceux qui pensaient : « pas tout pour la révolution mondiale… pourquoi pas quelque chose pour moi aussi ? ».

Dès 1924, les partisans de Trotsky commencent à se faire exclure et en décembre 1927, le XVe Congrès déclara l'appartenance à l’Opposition de gauche incompatible avec les conceptions du Parti. Trotsky est exclu du parti le 12 novembre 1927 et il est déporté en 1928 à Alma-Ata au Kazakhstan, près de la frontière chinoise. Puis, il est banni en février 1929. Expulsé d’Union Soviétique, il arrive alors en Turquie, à Prinkipo sur la mer de Marmara, près d'Istanbul. Après quatre années passées en Turquie, il séjourne en France à partir de juillet 1933 mais il sera aussi expulsé deux ans plus tard. Il trouve un temps refuge en Norvège mais il est encore une fois expulsé. Il arrive finalement au Mexique en janvier 1937.

Staline ouvre la voie à Hitler

Mais, l’avenir de la révolution socialiste se joue au plan international et principalement en Allemagne.

Aussitôt après le tournant de 1923-24, Staline va imposer un nouveau cours à l’Internationale Communiste. C’est à partir de ce moment qu’on commence à parler de trotskysme et de stalinisme. A l’époque le terme « trotskysme » n’est d’ailleurs utilisé que par les partisans de Staline.

Après l’échec de la révolution de 1923, tout le monde continue à observer ce qui se passe en Allemagne. Jusqu’à cette date, Lénine et Trotsky considéraient que les dirigeants du KPD commettaient des erreurs avec une politique souvent trop sectaire-gauchiste. Maintenant, il ne sera plus question d’erreurs mais d’une politique criminelle délibérée impulsée pendant dix années par Staline. Celui-ci ne cherche plus une victoire en Allemagne car il veut asseoir le « socialisme dans un seul pays ».

Rappelons que le KPD (Parti communiste allemand) semblait en 1923-24 être l’organisation la plus porteuse au niveau mondial des intérêts de la classe ouvrière. Les militants du KPD avaient d’apparentes bonnes raisons pour détester le SPD. Ils s’étaient battus contre lui notamment au cours de « la semaine sanglante » du 6 au 13 janvier 1919. L’écrasement de cette révolte et sa répression menée par le ministre du SPD Gustav Noske fut terrible. Les grands leaders du mouvement ouvrier, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg avaient été assassinés le 15 janvier soit deux jours après « la semaine sanglante de la révolte spartakiste ». On peut dire que les militants du KPD avaient plus de raisons de rejeter le SPD que quiconque n’en a aujourd'hui pour rejeter Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel ou Jean-Christophe Cambadélis. Et pourtant, ce fut une grave erreur de ne pas chercher l’unité. Au début des années 30, le KPD traitait les socialistes du SPD de sociaux-fascistes au moment même où le parti nazi se développait. Les nazis pouvaient faire de l’humour cynique du style  : « Ces crétins ne savent pas ce qu’est le fascisme. Ils vont le découvrir quand nous serons au pouvoir. Nous les enverrons tous dans des camps de concentration ».

Voici une citation exacte de ce qu’ils écrivaient dans leur journal le « Nationalsozialist » :

« Mais ce qui est plus comique et grotesque que toutes les injures est [...] l'hommage tout à fait injustifié fait aux sociaux-démocrates désignés comme des fascistes. Présenter la masse petite bourgeoise de la IIème Internationale, la bande juive, les ennemis mortels du fascisme italien, comme fascistes, il faut pour cela une gymnastique cérébrale peu ordinaire... Mais patience ! Communistes et socialistes, autrement dit marxistes, auront bientôt l'occasion d'apprendre ce que signifie le fascisme ».

KPD et SPD étaient incapables de s’unir pour faire face à la montée du nazisme. Ils avaient d’ailleurs chacun leur organisation de combat : le « front de fer » pour le SPD et le « front rouge » pour le KPD. Trotsky proposait la politique du FUO (Front Unique Ouvrier) pour unir le SPD et le KPD contre les nazis.

Thaelmann, le principal leader du KPD tonnait : « La création du prétendu "Front de fer" social-démocrate [...] est la tentative d'une plus grande activité fasciste ». Il assimilait donc l’activité du « front de fer » (des socialistes) à une activité fasciste. Il écrivait : « Sans la victoire de notre lutte contre la social-démocratie, nous ne pourrons vaincre le fascisme ». Il donnait la priorité au combat contre le SPD plutôt qu’à la lutte contre les nazis. Il fallait selon lui commencer par battre le SPD avant de lutter contre le nazisme.

Cette ligne ultra-gauche de la « Troisième période » proclamée par Staline après le sixième congrès du Komintern en 1928 répudiait la stratégie et les tactiques développées par les quatre premiers congrès de l’Internationale communiste sous la direction de Lénine et Trotsky. En dépit de la menace montante du fascisme, les staliniens se sont opposés à toute forme d’action de front uni de la part des forces combinées du KPD et du SPD contre Hitler. Les staliniens ont préféré aller jusqu’à affirmer que la victoire de Hitler était un moindre mal que la collaboration avec les « sociaux-fascistes, » parce que, d’après les théoriciens du Kremlin, un régime nazi s’effondrerait rapidement et la voie serait alors ouverte à une victoire du Parti communiste.

Cela a amené à la catastrophe de la prise du pouvoir par Hitler en 1933 après l’élection d’Hindenburg en 1932 qui n’est pas sans nous rappeler l’élection de Macron. En effet, les Besancenot et Présumey de l’époque avaient appelé à voter pour Hindenburg, en se bouchant le nez, afin, d’après eux, de voter contre Hitler. Être trotskyste s’est aussi avoir assimilé cette leçon. Nous en reparlerons.

 

Après la prise du pouvoir par Hilter

A partir de 1933, le trotskysme entre dans une seconde phase. De 1924 à 1933, Trotsky voulait redresser le cours de l’internationale communiste. Il avait pour cela créé l’opposition de gauche. A partir de la victoire du nazisme, il estime que ce n’est plus possible. Il décide donc en 1938 de proclamer la IVème internationale et il en précise le projet révolutionnaire dans le célèbre « programme de transition  ».

Désormais seuls les trotskystes peuvent résister à cette politique mais l’avant-garde du mouvement ouvrier est encore décimée dans les années suivantes lors de la montée en puissance conjuguée du nazisme et du stalinisme. Les communistes allemands sont pourchassés en Allemagne et doivent tenter de trouver refuge à l’étranger. Mais ceux qui se réfugient à l’Est seront livrés aux nazis par Staline en application du pacte Hitler-Staline. Ceux qui se réfugient à l’Ouest seront aussi livrés aux nazis en application d’une clause de l’armistice que le gouvernement français signe à la suite de la défaite contre l’Allemagne. Puis les trotskistes subiront la répression du nazisme dans les pays occupés tout en étant encore pourchassés et assassinés par les tueurs de Staline dans les pays occidentaux. Nous verrons tout cela dans un prochain article.


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