De la pensée unique au service du vote Le Pen

par Martin Kellenborn
vendredi 24 novembre 2006

Ségolène Royal a donc gagné la primaire au sein du PS. Il est indifférent, au fond, de savoir si son succès tient au soutien ou non des médias. Les médias tueront demain ce qu’ils ont encensé la veille. Il suffirait d’être assez patient pour analyser les commentaires sur une longue durée et ainsi découvrir que le vin peut aisément se changer en eau et que la repentance n’est pas la première de leurs vertus.

On ferait mieux de se souvenir que c’est avec le même enthousiasme que les militants avaient dit oui au TCE, avec le succès que l’on sait, le 29 mai 2005. Après la déconvenue du 21 avril , une question doit être posée : le Parti socialiste représente-t-il encore quelque chose de crédible pour son électorat historique ? La même remarque pourrait d’ailleurs être faite pour l’UMP : le décalage entre l’opinion et ce que Le Pen appelle "les partis de l’establishment" est patent. Plus que le non français, c’est le non hollandais qui en a donné la mesure. Au plat pays, contrée de tolérance, de liberté et du consensus, le non a valu symbole de condamnation des élites.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? On a mis à l’Elysée un monarque qui est simplement censé se refaire oindre tous les cinq ans. Ce monarque ne peut plus faire grand-chose dans les domaines où on attendrait qu’il soit efficace : créer de l’activité, de l’emploi et du pouvoir d’achat. En lieu et place, il se met à régenter et enrégimenter la vie des gens : guerre aux fumeurs, aux pollueurs et aux automobilistes. Il est assisté en cela par un parlement godillot (il est consternant de voir les députés UMP avaler la couleuvre du retrait de l’amendement sur le rôle positif de la colonisation !) mais aussi par une religion puissante appellée communément pensée unique, portée par des prêtres que sont les médias, quelques associations "droit-de-l’hommistes" plus ou moins douteuses, et aussi toute une intelligentsia bien pensante, détentrice de la bonne pensée et du bon goût.

Il en résulte que s’est construit, au fil des années, une sorte de régime "Canada dry" dans lequel les apparences de la démocratie sont respectées tandis que ses fondements et sa réalité sont en lambeaux. Il faut cette fantastique chape de plomb qu’est l’idéologie de la pensée unique pour masquer le profond état de déliquescence politique et économique dans lequel nous sommes entrés.

La question des lois mémorielles est évidemment la partie la plus visible de l’iceberg. On commence par la Shoah (on se pince en pensant que Gayssot est un pur produit du stalinisme), on continue par l’esclavage, on en arrive à la colonisation, pour terminer lamentablement avec le génocide arménien (les mêmes étant ceux qui soutiennent l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne !). L’histoire n’appartient plus aux historiens, mais s’écrit à l’aune sans cesse allongée de la repentance. Dans la brèche ainsi ouverte, s’engouffrent les minorités souffrantes, comme les homosexuels, les "minorités visibles " et toutes les victimes potentielles auxquelles la société voudra bien accorder ce statut. Mais le mal ne s’arrête pas là : c’est l’islam qu’il ne faut pas critiquer, quand bien même Pete Van Gogh se fait égorger et que Rushdie et Redecker sont menacés de l’être. Demain on va réinventer le blasphème, et on créera un délit de négationnisme du changement climatique, tandis que Claude Allègre sera jeté dans un cul-de-basse-fosse.Tout cela se passe évidemment sous la protection des médias (Libé et Le Monde en tête) et avec le concours des nouveaux Torquemadas que sont la LDH et le Mrap !

Cela, c’est la partie la plus visible, celle où l’interdiction est affichée à haute voix et sanctionnée par la réprobation morale et judiciaire. Mais il reste la partie immergée de l’iceberg.

Là, rien de tel, on n’interdit pas : on lave simplement les cerveaux, à grande échelle, afin d’obtenir un acquiescement généralisé à ce qui n’est rien d’autre qu’une mort programmée de la République et de la démocratie, à ce qui constitue une descente aux enfers économique.

C’est d’abord la mise en pièces du régime républicain.

La Révolution française avait inventé le citoyen et ce fut une oeuvre remarquable, sans équivalent dans l’histoire des révolutions. Le traditionnaliste Edmund Burke ne s’en remit pas, lui qui reprochait aux révolutionnaires d’avoir fait de la géométrie politique. Pourtant, le citoyen n’était ni homme ni femme, ni ouvrier ni bourgeois, ni Breton ni Auvergnat, ni noir ni blanc, même s’il faut bien reconnaître que la citoyenneté a dû attendre. Dire que les citoyens étaient égaux en droits ne veut pas dire qu’ils l’étaient en fait, et ce fut le mérite de la gauche que de prévoir et de mettre en place des politiques redistributives. Mais ceci fut fait en raison des inégalités constatées, et non de l’origine sexuelle, ethnique ou sociale des individus.

Les discriminations positives font voler ce principe en éclats. On aurait d’ailleurs tort de tourner son regard vers Sarkozy le maudit. La première des discriminations positives s’appelle la parité, et a été mise en place par Jospin ! Au nom de quoi faut-il avoir des hommes et des femmes en proportion égale au pouvoir ? Faut-il moins de Blair et plus de Thatcher, plus de Sarkozy et moins d’Alliot-Marie ? Franchement, le peuple a du mal à comprendre. C’est d’ailleurs parce qu’il comprend mal que les médias courtisans en remettent une couche pour expliquer que les vertus du système s’imposent comme s’impose le mystère de la sainte Trinité. Circulez, rien à voir, affreux machos ! Ségolène n’a plus qu’à s’engouffrer pour exiger que l’on ne tache pas sa belle robe blanche. Dans la foulée, on commence à dire, ici et là, que ce qui vaut pour les femmes devrait aussi valoir pour les minorités visibles.

Les chose ne s’arrêtent cependant pas là. L’hybridation de la repentance et de la discrimination positive fait des petits. Progressivement se met en place un système de droits différenciés, un peu comparable à celui de l’époque franque, quand le prix à payer n’était pas le même selon que l’on avait tué un Franc ou un Romain. Grâce aux plaidoyers conjugués de nos droits-de-l’hommistes et des bien pensants bénits par Le Monde et Libé, l’univers de Sarkozy n’est pas du tout celui qu’il dit être. Objectivement, au vu des condamnations, il vaut mieux brûler une voiture que mal la conduire : dans le premier cas, c’est 100 heures de TIG, dans le second, on se retrouve sans permis et au chômage !

La partie la plus profonde de l’iceberg est encore plus étonnante en termes de mystification. Car à côté de la fable paritaire s’est installée la "grande nurserie" !

Depuis une vingtaine d’années, les sociétés européennes se sont installées dans une posture croissante de refus du risque. Il n’est pas sans intérêt, mais pas fondamental non plus, de savoir, comme le pense Zemmour, si c’est le résultat d’une montée des valeurs et du pouvoir féminin, dont l’aboutissement serait le sacre de Ségolène Royal sur la base d’un programme pourtant complètement vide. Il est important, en revanche, de comprendre que la mise en place de ce système s’accompagne d’une forte pression sur le système productif : détournement d’une part croissante de la ressource pour tendre vers le risque zéro, principe de précaution qui signifie remise en cause du progrès technologique et des valeurs prométhéennes liées à la société industrielle. De telles orientations pèsent sur la croissance, l’emploi et la compétitivité. Le tri sélectif génère une activité et donc une croissance apparente parce que la réglementation existe. Il satisfait le désir de pureté des écolos-bobos, mais en quoi améliore-t-il le revenu, la consommation et la vie quotidienne de la grande majorité de la population, qui souhaiterait d’autres arbitrages ?

Dans le même temps, il y a remise en cause des fondements mêmes de notre système judiciaire. On avait progressivement admis que la faute devait reposer sur l’intention de la commettre. On entre dans un système d’"objectivation de la peine", comme l’a écrit Emanuelli. L’Etat loue aux victimes l’exercice du Talion, afin qu’elles puissent faire leur deuil. Outreau n’aurait pas été pensable si, devant le crime abominable supposé, il n’avait pas fallu trouver des coupables pour réparer la douleur des victimes. On entend de plus en plus fréquemment, lors des procès, des propos de journalistes imbéciles, disant que la condamnation a été insuffisante pour permettre aux victimes de faire leur deuil. Dans le même temps, la peine doit s’adapter à l’étendue du préjudice, et le moindre accident de la route, pourvu qu’il soit mortel, devient pire qu’un braquage de banque.

Tout cela ne peut que créer une culture d’interdits liberticide. Il faut pourchasser tout ce qui est présenté comme pouvant générer un risque : harro sur les fumeurs, les automobilistes ! Au moment où la barbarie se déchaîne en de multiples 11 septembre, l’Etat, dérisoire et débile, se venge sur des citoyens culpabilisés, tant il est incapable de pouvoir garantir la paix là où ils serait légitime qu’elle le soit. Nous sommes entrés dans l’ère du totalitarisme mou !

Enfin vient le clou. La fin des années 1960 a été celle de la mort de Dieu dans les sociétés européennes, et particulièrement en France. Un tel manque ne saurait perdurer. Jésus aux orties, Gaia (tiens une femme !) est arrivée ! Le délire vert frappe de manière moins sanglante, mais combien plus efficace que l’extrémisme islamiste. Le dernier avatar en est le réchauffement climatique, peu douteux en ce qui concerne sa réalité, déjà bien moins certain en ce qui concerne ses causes, et sans doute hors-sujet en ce qui concerne les remèdes affichés.

Qui dit cela ? Lomborg, ancien de Greenpeace, menacé dans son emploi, Claude Allègre, sommé, tel Galilée, de se rétracter. Que l’on se rassure, on n’a pas encore besoin de loi contre le négationnisme sur ce sujet : les chiens de garde médiatiques font leur travail.

Le discours sur le développement durable tient plus de la pratique addictive chez ceux qui en parlent que d’une réalité tangible. D’ailleurs, "sustainable development", dont c’est la malheureuse traduction, révèle bien sa profonde nature malthusienne. En fait, c’est bien vers un sous-développement durable que nous allons.

Au fur et à mesure que l’économie transforme la société en champ de ruines, il faut bien que l’Etat serre les boulons pour expliquer que les retraites ne pourront être payées, tandis que les patrons de multinationales expliquent que l’on peut aller chercher du boulot à Bangalore. La responsabilité du désastre est alors rejetée sur les salariés, qui manquent de flexibilité.

Société régulée par la peur, société dérégulée avec la complicité de l’Union européenne, société qui scie les principes fondamentaux sur lesquels elle était assise ; la contrepartie de cette crise généralisée, c’est la remise en cause des fondements même de la démocratie. D’ailleurs, certains bobos ne susurrent-ils pas, après le référendum, que le suffrage censitaire avait du bon ?

Résumons-nous.

Il s’appelle Gérard. Il va pointer à l’usine, mais pour l’instant, il est dans les embouteillages organisés par Monsieur Baupin. Il écoute France Inter : Paoli peste contre la pollution, ajoutant qu’il est venu à pied au bureau ce matin (on est rassuré, il n’habite pas La Courneuve !). Suit l’interview d’un sociologue expliquant que s’ils brûlent des voitures, c’est qu’ils ont encore quelque chose à nous dire. Puis Roselyne Bachelot, qui sent toujours la guimauve dont elle s’habille, vient raconter comment les femmes sont formidables et comment elles vont changer la politique. Jean-Marc Sylvestre peste une fois de plus contre la résistance au changement, et vante les bienfaits de la mondialisation. Suit le professeur Got, qui fait une longue tirade contre les délinquants de la route, avant qu’on ne nous annonce que le développement industriel nous conduit à la catastrophe écologique.

Vous comprenez pourquoi votre voisin vote Le Pen ?


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