De la Vénus hottentote aux zoos humains

par jack mandon
samedi 20 novembre 2010

 "On façonne les plantes par la culture, et les hommes par l’éducation. Si l’homme naissait grand et fort, sa taille et sa force lui seraient inutiles jusqu’à ce qu’il eût appris à s’en servir ; elles lui seraient préjudiciables, en empêchant les autres de songer à l’assister ; et, abandonné à lui-même, il mourrait de misère avant d’avoir connu ses besoins. On se plaint de l’état de l’enfance ; on ne voit pas que la race humaine eût péri, si l’homme n’eût commencé par être enfant.
  Nous naissons faibles, nous avons besoin de force ; nous naissons dépourvus de tout, nous avons besoin d’assistance ; nous naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous n’avons pas à notre naissance, et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation.
 Cette éducation nous vient de la nature, ou des hommes, ou des choses. Le développement interne de nos facultés et de nos organes est l’éducation de la nature ; l’usage qu’on nous apprend à faire de ce développement est l’éducation des hommes ; et l’acquis de notre propre expérience sur les objets qui nous affectent est l’éducation des choses."
 
  Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation (1762)

Avant, bien avant le siècle des lumières qui ouvrait la voie à une humanité plus consciente et plus adulte, il y avait eu dans l’histoire un moment décisif pour le monde entier...une espèce de genèse "civilisatrice" conçue en Europe. La controverse de Valladolid ( Espagne 1550 )
L’empire aztèque vient d’être vaincu par Cortès. Une question est débattue : Les indiens sont ils des hommes ? Après de longs palabres incroyables à la mesure de la question, les sages et responsables de l’époque, ecclésiastiques et magistrats admettent que les indiens peuvent être considérés comme des sous hommes.
Le problème de fond est surtout économique...ce qui fait encore et toujours force de loi au XXI e siècle.
Les indiens refusent l’esclavage, alors pour faire fructifier ce grand continent américain, l’Afrique sera désignée comme le grand pourvoyeur de main d’œuvre abondante et gratuite. Pour l’essentiel, en esprit, c’est une romance universelle qui couvre tous les temps et toutes les époques.

Un moment clé, l’aventure coloniale mondiale du XIX e et du XX e siècles.
 

L’exploration géographique, dans son principe, n’avait pas d’objectif politique. Elle ne contenait pas forcément en germe la conquête. Il n’empêche que les explorateurs pouvaient s’émerveiller des richesses des pays qu’ils découvraient, que les peuples qu’ils décrivaient purent apparaître, aux yeux des économistes du XIXe siècle, comme autant de marchés pour les produits manufacturés de l’Europe industrielle. Apprentis anthropologues ces explorateurs contribuèrent de façon décisive à la définition intellectuelle du racisme scientifique, par leurs descriptions de populations sauvages, sortes de buttes-témoins du passé de l’homme blanc. Dans la logique tantôt chrétienne, tantôt progressiste des Européens du XIXe siècle, il apparut vite évident que l’homme blanc, parvenu à un haut degré de civilisation, devait faire bénéficier les peuples extra-européens des bienfaits de cette civilisation. Les Églises ajoutaient qu’il importait avant tout de sauver les âmes de ces peuples, en les convertissant à toutes les sauces de tous les dieux.

Les zoos humains, expositions ethnologiques ou villages nègres restent des sujets complexes à aborder pour des pays qui mettent en exergue l’égalité de tous les êtres humains. De fait, ces zoos, où des individus « exotiques » mêlés à des bêtes sauvages étaient montrés en spectacle derrière des grilles ou des enclos à un public avide de distraction, constituent la preuve la plus évidente du décalage existant entre discours et pratique au temps de l’édification des empires coloniaux.

Comment cela a-t-il été possible ? Les hommes sont-ils capables de prendre la mesure de ce que révèlent les « zoos humains » de leur culture, de leurs mentalités, de leur inconscient et de leur psychisme collectif ?

C’est la sortie du film sur "la Vénus noire" qui m’a replongé dans ce passé tellement présent.
Aventure hallucinante que celle de la "Vénus hottentote", de son vrai nom Saartjie Baartman, descendante des premiers habitants de l’Afrique du Sud, jeune femme aux formes impressionnantes, arrachée à sa terre par deux escrocs qui, en 1810, vont l’emmener à Londres puis à Paris pour l’exhiber comme une bête de foire, elle enflamme le monde scientifique et devient célèbre avant de mourir le 1er janvier 1816.
Soigneusement disséquée par Cuvier, sa dépouille fait l’objet d’un moulage qui attirera plusieurs générations de visiteurs au Muséum puis au Musée de l’Homme. Et puis voilà qu’en 1994 l’ethnie khoisan réclame la restitution de son squelette et de ses organes conservés dans des bocaux. Il faudra des rebondissements dignes d’un roman et le vote d’une loi pour qu’enfin ils soient officiellement remis à l’Afrique du Sud le 29 avril 2002.

Un premier film de Zola Maseko ( 1998 - France, Afrique du Sud )
Ce film tente d’ouvrir la voie à de nouvelles pratiques culturelles en infirmant des idées reçues qui ont traversé les siècles et nourrissent encore l’imagerie raciale populaire.

Un film actuel, la « Vénus Hottentote » d’Abdellatif Kechiche, raconte la vie de Saartjie Baartman , jeune femme originaire de la colonie du Cap, aujourd’hui province de l’Afrique du Sud.

Le regard profane du début du XIX ème fait écho au regard des spectateurs de notre temps,
Regard populaire, celui des bourgeois, des libertins, des artistes mais aussi des savants.

Ce regard obsédant nous renvoie à notre animalité humaine et c’est un déferlement d’émois jusqu’au paroxysme.

C’est insoutenable, sadique, dérangeant, éprouvant, obscène, on s’accroche au fauteuil pour ne pas hurler de rage et de dégout, l’héroïne prétend qu’elle est une artiste, mais les femmes et les hommes ne s’y trompent pas, c’est un calvaire, une souffrance, une agonie.
Les projections de chacun vont bon train et tous les mots et les maux, les sensations et sentiments sont impuissants à traduire l’ignominie.
Et la science d’une époque de trancher au sens propre et figuré.

En 1815, le professeur de zoologie, Geoffroy Saint-Hilaire, demande à pouvoir examiner « les caractères distinctifs de cette race curieuse ». C’est devant des scientifiques qu’elle est exposée nue, transformée en objet d’étude. Le rapport compare son visage à celui d’un orang-outang, et ses fesses à celles des femelles des singes mandrills.

Georges Cuvier estime que Saartjie est la preuve de l’infériorité de certaines races. Peu après sa mort, il entreprend de la disséquer au nom du progrès des connaissances humaines, réalise un moulage complet du corps et prélève le squelette ainsi que le cerveau et les organes génitaux qu’il place dans des bocaux de formol. En 1817, il expose le résultat de son travail devant l’Académie de médecine : « Les races à crâne déprimé et comprimé sont condamnées à une éternelle infériorité. »

Le positionnement des savants, des sages, des politiques, et autres officiels, qui sont censés vivre un bon niveau de conscience ,conditionnent le comportement de toute l’humanité en marche.

Il me vient à la mémoire des images fortes d’un film d’Henri Verneuil.
Un être humain impliqué dans une expérience de soumission à l’autorité de Stanley Milgram "I comme Icare", restituée dans l’intégralité de sa séquence avec les commentaires sur l’implication et les conséquences de l’expérience...

Cette expérience signifie que dans un pays civilisé, démocratique et libéral, les 2/3 de la population est capable d’exécuter n’importe quel ordre provenant d’une autorité supérieure ...il n’est pas faux d’anticiper cette pratique aux interactions conscientes et inconscientes qui régissent l’humanité...aux antipodes des fondamentaux christiques :
" Aime ton prochain comme toi même. " 
faut il se connaitre et s’aimer pour cela .

"Nous naissons faibles, nous avons besoin de force ; nous naissons dépourvus de tout, nous avons besoin d’assistance ; nous naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous n’avons pas à notre naissance, et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation." j.j. Rousseau. Emile où de l’éducation

Parmi les pulsions qui régissent notre personnalité, pour n’en citer qu’une, la pulsion sexuelle chère à S. Freud,
elle conditionne un comportement multiforme entre érotisme et sadisme.
Il est des formes d’expression qui vont du niveau animal, en passant par celui infantile, adulte, socialisé, sublimé et pathologique élargissant la palette d’expression et de communication entre les êtres humains qui éclairent spectaculairement toutes les réussites et tous les maux du monde.
Le choix du timbre qui illustre les travers et les déviances de l’humanité, n’en est pas moins représentatif d’une époque, le sceau officiel d’une ignorance qui enfle et se résorbe au gré des humeurs, des peurs des hommes et d’une inconscience manifeste.

 Nicolas Bancel et Pascal Blanchard, De l’indigène à l’immigré, Gallimard, coll. « Découvertes », Paris, 1998.

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