De quoi le peuple est-il le nom ?

par alinea
mercredi 24 août 2016

J'ai toujours refusé de considérer le peuple comme une bande de gros abrutis, telle que définie par les élites de tous les temps. Non seulement je fais partie de cette bande de gros abrutis mais où que je me tourne je rencontre sensibilité, intelligence, savoir-faire, imagination, générosité, créativité. Les puissants, de tous temps n'ont jamais rien inventé, ne savent rien faire de leurs dix doigts, sont plutôt pingres- leurs fastes étant payés par le peuple- n'ont que rarement imaginé un avenir pour leur pays et quand ils l'ont fait ce fut plus catastrophique que bénéfique, et leur intelligence n'est bien souvent que ruse, rouerie et manipulation.

Entêtée jusqu'à la céphalée, j'ai toujours pensé que le peuple était une énergie, le récipient de tous les savoirs essentiels, l'espoir. J'ai lu avec délectation les ethnologues, les sociologues, les psychologues, les aventures, les histoires de tous les coins du monde ; j'ai guetté les luttes, imaginé les ramifications, pleuré sur les meurtres de masse et sur la destruction des cultures.

Par ma nature je crains les foules, mais ne les crains pas parce que je sais qu'elles sont le ferment du progrès.

J'ai lu les contes qui trimbalent, de bouches à oreilles, toute la compréhension du monde, je sais l'ignorance qui engendre toutes les peurs et j'aime les rites sacrés. J'ai tenu bon malgré les manipulations acceptées, les obéissances, malgré l'asservissement dépourvu de ses bouées de révoltes solidaires. Je sais que la liberté peut se vivre dans un bocal autant que dans un désert, qu'elle peut se nicher dans un cœur grand comme ça, autant, peut-être plus, que dans l'errance d'un renégat. J'ai vu des princes, des ouvriers, des artisans mêlés dans une même utopie moteur de toutes nos avancées. J'ai vu des humbles se plier mais garder par devers eux, la dignité. J'ai entendu des chants, des complaintes, j'ai touché des objets façonnés par des doigts habiles, j'ai goûté des plats. J'ai tellement aimé les hommes, de labeur, les femmes de splendeur généreuse, j'ai tant rêvé faire partie d'eux. J'ai fait des choix pour y parvenir et, vilain petit canard, ils m'ont acceptée.

J'ai marché sur des chemins de terre, légère, soulevée par une foi d'appartenance, je soignais ce monde autour de moi, y prenais garde, la confiance était une sécurité dans laquelle j'étais invincible. Cela aurait pu durer toujours, j'aurais aimé ma vie.

J'avais lu les chicanes, les malveillances, les calomnies, les rejets ; je les ai subis, comme un rouage s'enraye, un disque se raye, un corps s'endolorit. On dit l'âme éternelle, mais un cœur s'endurcit. Mais ils trouvent consolations, soutiens, sourire et mains amies.

La mort qui s'installe, se répand, inexorable, est une grippe sans vaccin, sans soins, s'aliter n'y peut rien. Les vieux disparus laissent un vide qu'aucun ne comble et si parfois surgit un souvenir qu'on partage, il est vite remballé comme une incongruité, une faiblesse qu'il leur faut ravaler. À la place viennent les autres déjà très avancés dans la pâleur fade d'un monde sans ricochets sur l'eau, sans temps morts, sans latence, il leur faut des signaux, des panneaux, des barrières, des voitures puissantes qui les emmènent loin pour honorer ce que l'on n'appelle plus un gagne-pain. Pendant que leur aisance construit dans le moindre pré, la moindre friche un cube de ciment rose, les autres faillissent, vendent, se retirent, s'aigrissent. Le monde comme il va serre à la gorge le petit travailleur solitaire tandis que les agricos retraités se gavent de biftons gagnés sur le nouveau libellé mis sur leurs terres : constructibles. De la ville le peuple fut chassé, il fallait pour qu'elle devienne décor qu'il n'y ait pas de figurants, pas de gosses dans les rues ni de linge aux fenêtres où des mères penchées appellent au repas. Dans leurs nouveaux quartiers, serrés tous dans les mêmes boîtes, il n'y a guère qu'au supermarché, sur les bancs qui entourent une verdure artificielle, qu'on se retrouve un peu. Sinon chacun chez soi le soir devant Télé qui leur ouvre un monde vaste à imiter ou bien à craindre, et couvre les bruits intérieurs qu'on ne sait plus exprimer.

Les plénipotentiaires de l'empire ont oublié l'art de la discussion, de la persuasion mais maîtrisent celui du déni et du mépris.

Le peuple, lui, a l'habitude depuis le temps, d'être la bête de somme, la Bête Immonde, le pourvoyeur de fonds, et s'il n'est plus en masse de la chair à canon, un glissement s'est fait, pourtant rapide.On avait besoin de lui d'une toute autre manière, Ford s'y employa, on cria au génie, à la liberté offerte en cadeau mérité et le peuple toujours gosse s'y vautra tête baissée. Mais cela laisse des traces, indélébiles, débiles, contagieuses et congénitales, l'enfant roi naquit auréolé de rêves avoués et exaucés au rabais. Ils grossissent, s'affaissent, n'ont plus le courage d'apprendre et s'accrochent à un virtuel sans potentiel, c'est ce qui rend peut-être le monde oxymorique. Ils sont tellement ignorants qu'ils ne le savent même pas, ce qui ne les découragent pas de faire, au risque inconscient mais avéré, d'instaurer l'incompétence comme norme.

Le peuple est piégé, emprisonné, abandonné il ne saurait plus vivre, il s'est hissé jusqu'à une médiocrité moyenne , il se croit arrivé mais il ne sait pas où. Cela ne l'empêche pas de s'en mêler mais il s'emmêle et se croit fier et libre quand il n'est qu'activé par des mains anonymes expertes en prestidigitation.

Ce n'est pas rien, c'est gravissime, il a cédé son bien. Et nombre d'entre eux décrète que le bien commun c'est pas bien ; que le mérite c'est mieux, se gardant d'en définir les contours, les avatars ou les parcours ; oublieux que ce bien commun fut l'unique progrès dans sa longue destinée d'esclave, il le brade volontiers pour une flatterie, un but imprécis qui le distinguerait. L'artifice est la plus laide conquête de l'homme qui sous-tend ce qui fait sa fierté, sa grandeur, son panache : la civilisation, où il s'est efforcé au fil du temps d'en extraire toute l'authenticité de son intelligence, toute la finesse de sa sensibilité, tout son pouvoir créatif, il y patauge, y mourra quand elle s'écroulera. Toutes se sont écroulées, toutes étaient factices.

Il est des petits pans d'humanité qui, dans des coins reculés, ont passé les âges, dans le savoir parfait de leur biotope, dans le vécu semblable qui n'a rien de minable, des générations qui se succèdent. Ils ont échappé aux barbares venus pour les piller puis les asservir. On les méprise, on se méprend. Ils sont le sommet de l'espèce humaine et, par miracle, se retrouvent ça et là, disséminés, perdus dans nos contrées flétries et mourantes. Ceux-là organisent comme ils respirent des résistances passives, préservent quelques secteurs de culture, de savoirs, on ne sait jamais ; préserver le précieux essentiel à l'homme est, par son humilité même, le seul acte utile désormais. Beaucoup s'y adonnent, sans lâcher cependant leur présent confortable, ce qui fait que leurs velléités de permaculture, de ruche au fond du jardin ressemblent à un hobby à la mode qu'ils abandonneront aux premiers échecs. C'est un peu le problème de notre société actuelle, les choses essentielles sont devenues un jeu.

Il semblerait que l'on échappe à la dualité dieu/diable quand on est hors des civilisations qui l'ont inventée. Rien d'étonnant dans ce constat mais ce qu'il peut apporter c'est la prise de conscience qu'on nous propose bien hardiment l'opposition entre civilisation et barbarie ; je vous propose celle qui me paraît plus juste, entre civilisation et état de nature, la barbarie étant partie intrinsèque de la civilisation, la partie fondatrice même. On sait que notre civilisation occidentale est fondée sur un génocide mais on sait aussi que beaucoup plus anciennement, les pilleurs se sont transformés alchimiquement en seigneurs et les pillés en serfs, en esclaves, en salariés. Les peuples sont l'humanité, nos hiérarchies, calquées sur le modèle animal, mais dévoyées, ne masquent pas le fait que tous font partie d'une même espèce, d'une même population, avec ses variantes, ses adaptations ; le peuple n'est pas celui qui subit le pouvoir seulement, lui appartiennent aussi ceux qui l'exercent, depuis la fin de l'aristocratie cette distinction ne tient plus. L'avoir ne fait pas l'être et sont nobles dans le peuple plus de gens que dans le pouvoir. Une population donnée inclut sa hiérarchie, hiérarchie qui demain s'inversera ou disparaîtra.

Alors oui, alors non, nous ne pourrons pas nous faire adopter par ces tribus encore libres, certains l'ont tenté mais tous avaient à leurs basques l'artifice, et certains l'étude comme supériorité.

Ainsi nous sommes marqués à jamais, il nous faut finir, ou commencer nos vies de la manière la plus intelligente possible en utilisant ce que l'on possède ou devrait posséder : le recul, la conscience, le courage et l'esprit critique.

Je voudrais terminer par ce petit texte, en laissant tu celui dont on parle, savoir si vous le devinerez !

« Voici.......... : les trois premiers sont vieux ou malades, ils donnent le rythme au groupe en marche. Si c'était l'état contraire, ils seraient laissés derrière, ils perdraient le contacts avec leurs congénères et seraient sacrifiés. Ensuite suivent cinq individus forts, c'est la ligne de front. Au centre le gros du clan, suivi de cinq individus forts. Le dernier est seul, c'est le chef. Il contrôle tout de l'arrière, de cette position il voit tout le monde et décide de la direction à prendre.

On se déplace selon la vitesse des aînés, ils s'entraident et se surveillent les uns les autres. »

Une bande de sauvages, vous l'aurez compris.


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