Débat Bayrou-Royal : Enfin ! Enfin ! Enfin !
par Bertrand Lemaire
lundi 30 avril 2007
Une simple carte de presse m’a permis d’assister au débat entre Ségolène Royal et François Bayrou (samedi 28 avril entre 11 heures et 12 h 30). Moins d’une dizaine de CRS dehors : on voit tout de suite la différence avec un déplacement de Nicolas Sarkozy. Le débat a été retransmis sur la radio RMC et la chaîne BFM TV en direct de l’hôtel Westin, dans le 1er arrondissement de Paris.
Le premier tour de l’élection présidentielle a vraiment donné des choses étonnantes.
La recomposition que j’attendais est en train de se dérouler sous mes
yeux. A la gauche du Parti socialiste, Henri Emmanuelli prépare un Congrès de Tours à l’envers et entend créer un parti prolétarien
qui, de fait, a disparu depuis l’effondrement du Parti communiste. Ce
dernier n’a plus de raison d’être depuis que la cause de la scission de
Tours n’existe plus, à savoir la reconnaissance de l’URSS comme
"avant-garde" qui se devait d’organiser le mouvement prolétarien
mondial. La droite du Parti socialiste, de fait, va devenir un parti social-démocrate (ce qu’il est majoritairement aujourd’hui). Si
François Bayrou va au bout de sa démarche (et, là, je ne vois pas
comment il pourrait maintenant faire marche arrière), il y aura un
véritable centre "démocrate", correspondant grosso modo à l’ancien
Parti radical dans une forme modernisée digne du XXIe siècle et
n’hésitant pas à s’allier tantôt avec la droite, tantôt avec la gauche.
Je pense que l’UMP va éclater entre "centristes conservateurs" et
"libéraux conservateurs".
En effet, que peut-on retenir de ce fameux débat entre Ségolène Royal
et François Bayrou ? Je crois que la conclusion de François Bayrou est
la plus marquante : il veut que les élus se prononcent sur les textes
(au Parlement), sur les projets, et pas sur qui les propose : "Ni bénis
oui-oui, ni bénis non-non". Tous les élus ont, selon lui, une
coresponsabilité dans l’avenir du pays. La France a besoin de solutions
complexes et de politiques menées à long terme.
Au cours de ce débat, il n’y a eu aucun compromis, aucun ralliement et
aucun reniement. Ségolène Royal et François Bayrou ont dialogué,
simplement. Un véritable débat d’idées. Les quatre intervieweurs
(BFM-TV, RMC, Le Parisien, Aujourd’hui en France) ont plusieurs fois
tenté d’arracher un tel ralliement à François Bayrou. En ultime
tentative, ils ont tenté de faire avouer une déception à Ségolène Royal
mais sa réponse a été claire : "A ceux qui ont écouté ce dialogue de
juger. Oui, nous avons des points communs importants", "nous pouvons
sans doute faire un bout de chemin ensemble".
Le désintérêt condescendant de Nicolas Sarkozy
qui assimile un dialogue à une compromission ou à une gesticulation
médiatique marque l’obsolescence de ce politicien imbu de lui-même et
égocentrique, persuadé que le monde se résume à ce qu’il veut et à ce
qui lui résiste. D’autant qu’il a tout fait pour empêcher ce débat qui
le marginalise.
Accessoirement, le débat a démontré une nouvelle fois les qualités personnelles de Ségolène Royal et de François Bayrou.
Au cours du débat, que s’est-il dit ?
Tout d’abord, il a été rappelé que ce débat (ce "dialogue" ont corrigé
François Bayrou et Ségolène Royal), réunissant le deuxième et le
troisième du premier tour de l’élection présidentielle, était
absolument inédit dans l’histoire de la Ve République. Mais
c’est aussi la première fois que trois candidats "républicains"
réunissent autant de voix réparties sur trois noms. L’objectif ?
"Informer les seize millions d’électeurs ayant choisi l’un ou l’autre au
premier tour sur les points d’accord et de désaccord". Selon les mots
de Ségolène Royal : "c’est la preuve que nous vivons la fin de
l’affrontement bloc contre bloc, 50% contre 50%. La France perdra tant
qu’on restera dans ce système. Il est donc très important de voir sur
quels thèmes on peut faire un bout de chemin ensemble. Je n’attends pas
un ralliement. Je respecte la liberté des électeurs. Mais je pense
pouvoir faire émerger des cohérences, même s’il y a des désaccords".
François Bayrou a marqué son accord sur ce point et a rappelé qu’il
avait proposé le même dialogue à Nicolas Sarkozy mais que celui-ci a
refusé. Alors même que "rien n’est plus nécessaire dans la vie
politique française que de faire bouger les lignes". "Il est incroyable
qu’il y ait eu tant de cris d’orfraie" contre ce débat alors qu’un tel
dialogue devrait être la norme. "Nous avons à bâtir en France quelque
chose qui n’y existe plus : le pluralisme. Depuis des dizaines
d’années, le parti dominant confisque le pouvoir. (...) Il faut que
chaque courant puisse donner un avis, ni toujours pour, ni toujours
contre". Le principe d’une démocratie vraiment participative a été un
point commun aux deux candidats.
Quatre thèmes ont été abordés successivement :
- Les institutions,
- L’Europe,
- Economie & emploi,
- Vie quotidienne.
Les institutions
Le sujet des institutions a marqué une forte convergence entre Ségolène
Royal et François Bayrou. Parmi les réformes techniques mais
symboliques voulues : que l’on ne puisse plus voter au Parlement si
l’on n’est pas physiquement présent. Une réforme du Conseil supérieur de
la magistrature, du Conseil supérieur de l’audiovisuel, du Conseil constitutionnel, etc. a été également consensuelle. Ségolène Royal a
rappelé qu’elle souhaitait que les membres de ces organismes soient
nommés avec une large majorité (3/5 du Parlement, 3/5 de l’Assemblée nationale dans un premier temps, en attendant la réforme du Sénat). Une
petite passe d’armes assez amusante a eu lieu sur le thème "C’est moi
qui tape le plus fort sur les groupes qui concentrent de fortes
commandes publiques et la propriété de médias".
La question du statut des élus a été plus vigoureusement attaquée par
François Bayrou que par Ségolène Royal. Certes, les "cinq ans
d’indemnité chômage" que se sont octroyés les députés avant les
élections ont été fort mal jugés par les deux. Mais Ségolène Royal a
aussi rappelé que, s’il y avait autant de fonctionnaires à l’Assemblée nationale, c’est aussi parce qu’un salarié du privé y entrant et étant
ensuite battu était de fait au chômage. Certains se sont retrouvés au
RMI alors qu’ils se sont souvent fortement dépensés pour la France. Le
principe d’un "statut de l’élu" avec une "indemnité chômage dégressive"
a semblé à peu près consensuelle.
L’Europe
François Bayrou veut restaurer la confiance entre l’Europe et les
Français. Le vote non au dernier référendum a bien sûr été
partiellement antieuropéen mais l’essentiel provient de personnes qui
ont considéré qu’un texte aussi illisible recélait sans aucun doute un
piège. Ségolène Royal a appelé à la rédaction d’un texte utile, pour
construire une Europe forte, capable de lutter contre le chômage et les
délocalisations. Ségolène Royal a rappelé qu’elle discutait de la chose
avec nos partenaires, comme Mme Merkel, M. Zapatero et M. Prodi. Et les
deux débatteurs ont insisté sur la nécessité d’un référendum.
Par contre, il y a eu un désaccord sur la question du salaire minimum européen. "Comment le fixer ?" a plaidé François Bayrou. "Si on le fixe
au niveau des pays de l’Est, nous sommes désavantagés. Si on le fixe à
notre niveau, ce sera impossible à supporter à l’Est". Ségolène Royal a
plaidé pour le principe d’un salaire minimum par pays avec une
convergence progressive au fil du temps et du développement, admettant
volontiers qu’un salaire minimum commun n’était pas pour demain.
Sur la Banque centrale européenne (BCE), les deux débatteurs ont
également été en désaccord, Ségolène Royal souhaitant une réforme
plaçant la BCE sous une autorité politique, ce à quoi François Bayrou
s’est opposé, plaidant pour les avantages d’un euro fort et rappelant
que l’Allemagne, avec la même monnaie que nous, est championne des
exportations. Il a également rappelé qu’étant élu des Pyrénées, il
avait vu le développement de l’Espagne et le bien qui en avait résulté
pour sa région. Il compte sur le même phénomène en Europe de l’Est.
Economie et emploi
Les désaccords ont, là, été nombreux. François Bayrou a insisté sur son
leitmotiv : "Ce n’est pas en dépensant un argent que l’on n’a pas que
l’on améliorera les choses", considérant que les programmes de Ségolène
Royal et Nicolas Sarkozy coûteraient 60 milliards d’euros (avec, en
plus, côté Sarkozy, des réductions de recettes fiscales). Ségolène
Royal a contesté le chiffre, avançant celui de 30 milliards, mais en
insistant aussi sur le fait qu’il s’agissait là de "dépenses utiles qui
rapporteraient plus qu’elle ne coûtent".
Surtout, globalement, le leader centriste a reproché une approche
étatiste à Ségolène Royal. Un symbole a été mis en exergue : la
résolution du problème des cautions pour le loyer des gens modestes
(notamment les jeunes). Ségolène Royal propose un "service public",
François Bayrou veut interdire les cautions et rendre obligatoire une
assurance pour les locataires.
Les trente-cinq heures ont aussi été l’objet d’une belle passe d’armes,
François Bayrou étant hostile au système actuel et souhaitant largement
le libéraliser. "Oui, la deuxième loi a été mal faite. Mais quand le
Medef fait des trente-cinq heures la cause de tous les maux, c’est un
scandale car c’est faux" a affirmé Ségolène Royal. Elle a notamment
noté : "70% des salariés ont pu ainsi mieux s’occuper de leur famille",
et, grâce aux discussions et aux réorganisations en entreprises, "c’est
un accord gagnant-gagnant".
Les retraites ont aussi vu s’affronter les deux candidats. François
Bayrou a affirmé que la retraite de sa mère était de 641 euros. Une
augmentation de 5% comme voulue par Ségolène Royal, c’est 1 euro/jour.
Sur ce point, il veut être plus dépensier qu’elle. François Bayrou veut
cependant allonger la durée de cotisation tandis que Ségolène Royal
veut surtout miser sur un retour au travail des chômeurs pour financer
les retraites. L’inégalité frappant les femmes s’étant arrêté de
travailler pour élever des enfants a également scandalisé la
responsable socialiste.
Vie quotidienne
Sur la question de la police, de la sécurité et de la justice, l’accord
a été global. "Il faut moins d’arrogance" a souligné Ségolène Royal.
"Aujourd’hui, l’Etat est ce qui vient de l’extérieur. Il y a un
sentiment et une réalité d’antagonisme entre la police et les jeunes.
Il n’y a aucune chance d’instaurer la sécurité sans apaiser" a complété
François Bayrou. La restauration d’une police de proximité a clairement
été voulue.
La responsabilité parentale a été évoquée. François Bayrou a marqué son
scepticisme. Ségolène Royal a estimé qu’il ne fallait pas enfoncer des
parents déjà en difficulté, préférant la mise sous tutelle des
allocations familiales à leur suppression. Elle a également rappelé
l’expérience - interrompue lors de l’alternance suivante - des "internats
de proximité" où des éducateurs aidaient les parents et leurs enfants.
Sur la question de la carte scolaire, François Bayrou a clairement été
rigide : c’est la garantie d’un enseignement d’une même qualité pour
tous. Ségolène Royal a estimé que c’était en effet la théorie mais que
le discours sur l’égalité des chances, aujourd’hui, ne passe plus car
les différences existent entre établissements. Elle préfère donc
introduire un peu de souplesse et mettre des moyens supplémentaires
dans les établissements délaissés par les voeux des parents.
Concernant l’immigration, François Bayrou a condamné le discours
démagogue de Nicolas Sarkozy sur un durcissement des conditions du
regroupement familial "déjà très dur", affirmant un droit pour tout
travailleur de vivre avec sa famille.
Sur l’énergie, François Bayrou a estimé que le nucléaire étant un
impératif pour respecter le protocole de Kyoto, les énergies
renouvelables étant insuffisantes. Ségolène Royal a rétorqué qu’il
était certes évident qu’on ne pouvait pas sortir tout de suite du
nucléaire mais que, dans trente ans, il y aurait de toutes les façons
une pénurie d’uranium. Il faut donc accroître la proportion de
l’énergie renouvelable. Les deux ont été d’accord pour souhaiter une
remise à plat du choix de l’EPR, les investissements nécessaires étant
considérables et l’utilité à long terme (donc la rentabilité de
l’investissement) très contestable, d’autant que la question des
déchets n’est toujours pas résolue...
Conclusion
Les échanges ont été cordiaux et de très bonne tenue. Bref, un vrai
débat d’idées. Je souhaite vivement que la démocratie française de
demain soit à l’image de ce débat.