Déclarons le « peer to peer » d’utilité publique !

par Homme Champignon
mardi 21 juillet 2009

De nos jours, la liberté et la culture ne sont elle pas plus étouffées par les droits d’auteurs et droits voisins qu’elles n’en sont protégées ? Je ne reviendrai pas sur les multiples atteintes à la liberté d’expression causées par les diverses lois HADOPI/HADOPI2… Attachons-nous à la protection de la culture elle-même.

On nous dit que le système actuel de droits d’auteurs est là pour protéger la culture et garantir les droits des artistes mais… rien n’est moins sûr !

En effet nombre d’œuvres, malgré les nombreux canaux de distribution existants, sont inaccessibles. Prenons quelques exemples :

Le film de Jean Yanne « Moi y’en a vouloir des sous », produit par la société de production Cinequanon (créée par Jean Yanne) et dont les droits actuels me semblent être la propriété de Artistes Associés, n’est pas accessible à la vente. Pourquoi ? Je ne sais pas. Il en est de même pour la représentation filmée de la pièce « Le Bourgeois Gentilhomme » avec Louis Seigner (Propriété de la Comédie Française, de TF1 vidéo et de René Château video) qui n’est pas distribuée à cause de divergences juridiques au sujet de ces fameux droits d’auteurs entre les différentes parties.

On voit donc que ce système pénalise les « consommateurs » de culture (alors que c’est tout de même pour eux qu’elle est conçue) mais qu’en est-il des auteurs ?

 Pierre Étaix (probablement à cause d’une maladresse de sa part) s’est vu dépouiller de ses droits sur ses films par une entreprise qui refusait de les éditer. Le cinéaste a dû dépenser une fortune en frais de justice pour retrouver le droit de restaurer et de diffuser ses propres films (ils étaient en train de s’abimer dans les caves du propriétaire). Il a même été obligé de se faire aider financièrement par la filiale cinéma de l’opérateur de téléphone Orange qui possède dorénavant des droits sur ces films… (Un autre procès en perspective dans quelques années ?) Ne parlons pas d’autres cas tels que Jacques Tati et autres grands artistes, qui se sont fait (légalement) dépouiller de leurs œuvres.

Le système actuel ne protège donc ni le citoyen avide de culture, ni l’artiste supposé vivre de son travail.

Penchons-nous également sur un autre problème : la sauvegarde des œuvres dans le temps. Les entreprises propriétaires des droits, les organismes officiels tels que l’INA ou des fondations privées dépensent des fortunes en conservation et préservation d’œuvres. Cependant des centaines d’œuvres disparaissent tous les jours. Pour s’en convaincre essayez de trouver un enregistrement de Sarah Bernard ou un des premiers films de George Mélies… ils ont, pour beaucoup d’entre eux, déjà disparu, victimes des guerres, faillites d’entreprises, incendies …

Le peer to peer est désigné actuellement comme le grand fossoyeur de la culture pourtant :

· Il permet un accès universel à la culture (les œuvres citées plus haut y sont disponibles alors qu’elles ne le sont pas dans les réseaux « officiels »).

· Il permet une sauvegarde des œuvres (la multitude de copies partagées sur des milliers de disques durs compense la non fiabilité de ces mêmes disques)

· Le coût de distribution est quasi nul.

Effectivement il pose le problème de la rétribution des artistes mais il a tout de même, comme nous venons de le voir, d’énormes avantages. Et si nous essayions tous de réfléchir à une méthode nouvelle de rétribution au lieu de chercher les moyens techniques, illusoires, de combattre cette évolution majeure ? La licence globale est une piste ; est-ce la bonne, je ne sais pas, mais discutons-en, proposons des méthodes alternatives et soyons innovants.

L’invention de l’écriture, puis de l’imprimerie et enfin de la diffusion (broadcasting) ont posé à la culture le même genre de problèmes. Ils ont été résolus chaque fois malgré les conservatismes et, chaque fois, les artistes n’ont finalement pas eu à s’en plaindre.

Je pense donc que nous devrions utiliser notre énergie à construire le nouveau modèle nécessaire à l’utilisation des techniques numériques et à valoriser le « peer to peer. »

J’irais même plus loin : le peer to peer doit être déclaré d’utilité publique et devrait recevoir l’aide de l’état plutôt que ses foudres.

En 1967 André Malraux, ministre de Charles de Gaulle déclarait à l’assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/andre-malraux/discours/malraux_9nov1967.asp

Au fur et à mesure du développement des machines, nous observons un développement exactement parallèle dans l’ordre de l’imaginaire. On avait dit que la civilisation machiniste ne ferait que des robots. C’est faux, elle ne fait pas du tout des robots parce qu’elle accroît et va accroître encore davantage le temps des loisirs, […] Si d’ici une génération nous arrivons, comme il est probable, à la semaine de quatre jours de travail, il est bien évident que l’imaginaire jouera un rôle géant dans les trois autres jours.

Et il ajoute :

Il faut bien admettre qu’un jour on aura fait pour la culture ce que Jules Ferry a fait pour l’instruction : la culture sera gratuite.

Passons sur le fait que ce Gaulliste convaincu voyait comme une évolution logique de notre société la semaine de 32h (la génération suivante, c’est nous), il affirme que :

· Nous allons avoir de plus en plus de temps à consacrer à la culture comme nous avons eu au XIX de plus en plus de temps à consacrer à l’éducation.

· Cette culture devra être gratuite.

Quel meilleur système que le peer to peer pour en arriver à cet idéal ? Il nous faut donc plancher dur afin de trouver le nouveau modèle qui fasse coexister la liberté d’accès à la culture et la juste rémunération des artistes.


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