Deep state : de Khashoggi à Pujadas

par Jacques-Robert SIMON
samedi 21 novembre 2020

 Comment dominer le Monde ? Comment ressentir cette ivresse qui vous prend quand vous pensez avoir le pouvoir ?

 Jamal Khashoggi est né le 13 octobre 1958 à Médine dans une famille saoudienne intimement liée à la famille royale. Son grand-père, était d’ailleurs le médecin personnel du roi Ibn Saoud, le fondateur du royaume. À la fin des années 1970, il soutient la résistance afghane contre les Soviétiques. Il se pose alors en musulman conservateur. Il réalise alors ses premières interviews d'Oussama ben Laden avec lequel il aura des relations personnelles par la suite. Il étudie par après aux États-Unis puis, de retour en Arabie saoudite, il rejoint les Frères musulmans. Sa véritable carrière de journaliste débute dans différents journaux saoudiens avant d'être nommé rédacteur en chef de ‘Al Madina’, en 1992 puis devenir rédacteur en chef adjoint de ‘Arab News’.

 Dans les années 1990, il est chargé de contacter Oussama ben Laden pour le persuader de renoncer à la clandestinité et de rentrer au pays, sans succès. Avec le temps, Khashoggi se fait le promoteur de la démocratie dans le monde arabe en critiquant les pouvoirs corrompus et en plaidant pour un accroissement de la participation politique de tous, y compris au sein des monarchies du Golfe. En 2003, il est brièvement nommé rédacteur en chef du journal Al-Watan mais, jugé trop progressiste, il en est licencié par le ministre saoudien de l'Information. En 2007, il est à nouveau nommé à la tête de la rédaction de Al-Watan mais il doit le quitter en 2010 pour avoir critiqué des mouvements Salafistes. Il collabore aussi à différents médias internationaux comme spécialiste du Proche-Orient. Demeuré lié aux Frères musulmans, Jamal Khashoggi soutient en 2011 les printemps arabes en jouant la carte de l'islam politique. En décembre 2016, Khashoggi est puni par son propre pays pour avoir ouvertement critiqué Donald Trump et il lui est interdit d'exercer son métier. En 2017, il s'exile aux États-Unis, où il tient une chronique au Washington Post. Il s'oppose alors de plus en plus ouvertement au prince héritier, Mohammed ben Salmane (MBS).

 Jamal Khashoggi s’oppose donc à MBS, la réponse apportée par celui-ci relève de la barbarie antique. Caligula dès le début de notre ère, après avoir poignardé un sénateur, sans le tuer, lui aurait fait énucléer les yeux, puis arracher les organes à l’aide d’une pince, et puis finalement, il l’aurait fait couper en deux. C’est à peu près ce qui arriva à M. Jamal Khashoggi. Le journaliste a été torturé puis démembré vif à l’intérieur du consulat d'Arabie saoudite à Istanbul auprès duquel il souhaitait obtenir un document nécessaire à son remariage. C’est la partie certaine du récit, mais il est aussi probable qu’il ait eu les doigts coupés avant d’être décapité.

 David Pujadas est né le 2 décembre 1964 à Barcelone. Reporter et présentateur de journal au sein du groupe TF1 de 1989 à 2001, il arrive ensuite à France Télévisions et devient jusqu’en juin 2017, le présentateur du journal de 20 heures de France 2. En mai 2017, il est écarté, à la surprise générale, du journal par Delphine Ernotte. On a regretté à la Présidence de France Télévisions : « On a une télévision d’hommes blancs de plus de 50 ans et ça, il va falloir que ça change ». Les nouveaux critères d’évaluation des compétences l’accablaient. Il restera cependant dans le groupe France Télévisions en tant qu'animateur d’émissions politiques. Depuis le 28 août 2017, il présente sur LCI l'émission ‘24h Pujadas’ et le magazine ‘l’info en questions’.

 D. Pujadas n’a pas subi le sort de J. Khashoggi, loin s’en faut. Le système dans lequel il évolue n’a rien de commun avec les mœurs archaïques où évoluaient ce dernier, cependant dans les deux cas une certaine élite se battait pour le pouvoir. M. Pujadas fait d’ailleurs lui-même partie d’une nébuleuse élitiste que l’on peut appeler ‘intelligence collective’ qui décide non pas de tout mais de l’essentiel et qui transforme les événements en images destinées à la multitude. Le pouvoir quel qu’il soit se doit de désigner clairement qui sont ses ennemis, les amis seront ceux qui lutteront avec lui sans même qu’on est besoin de leur demander. 

 D. Pujadas est membre d’un club d’ ‘influenceurs’ Le Siècle regroupant des dirigeants de tous les milieux, politiques, économiques, culturels ou médiatiques. En particulier, la plupart des Inspecteurs généraux des finances en sont membres. Au 1er janvier 2011, Le Siècle comptait 751 membres et 159 invités en attente d’une décision pour leur admission. Des personnalités diverses et d’horizons très différents font partie de cette association : Thierry Breton (ancien ministre), Pascal Lamy ( Directeur de l’OMC), Alain Minc ( Président d’une société concessionnaire d'autoroutes), Christian Noyer (ancien Gouverneur de la Banque de France), Dominique Strauss-Kahn (ex-directeur général du FMI), Jean-Claude Trichet (ancien Président de la Banque Centrale Européenne), Jacques Attali (Conseiller d’État), Bernard Pivot, François Bayrou (ancien ministre), Jean-Pierre Chevènement (ancien ministre), Rachida Dati (ancienne ministre), François Hollande (ancien Président de la République), Nicolas Sarkozy (ancien Président de la République), Emmanuel Macron (Président de la République), Lionel Jospin (ancien Premier ministre), Alain Juppé (ancien Premier ministre), Jack Lang (ex-ministre)…

 D. Pujadas, aux côtés de Serge July, Arlette Chabot, Jean-Marie Colombani, Michèle Cotta, Alain Duhamel, Laurent Joffrin, Patrick Poivre d'Arvor, Anne Sinclair et quelques autres journalistes, est au contact des personnalités les plus éminentes pour constituer un club de réflexion et d’influence transpartisan.

 Les époques antérieures ont vécu des fascismes incarnés, un leader, un führer ‘charismatique’ était mis sur le devant de la scène et tout était sensé venir de lui. Cependant, le fascisme n’a jamais été hors sol et une large fraction de la société le soutenait et l’animait. Cette incarnation a été jugée de nos jours inutile et contreproductive. Une élite mondialisée et connectée n’a pas jugé nécessaire de remettre sa destinée entre les mains d’un Homme. L’élite, une ‘intelligence collective’ donc, a un but, sauver le Monde, sauver leur monde. Les ennemis que ‘l’intelligence collective’ veut terrasser sont ceux qui la critique, ceux qui ne sont pas féministes, libéraux et un peu écologistes. ‘L’intelligence collective’ n’est pas de gauche ou de droite, la notion même de politique lui est insupportable. Elle n’est pas ‘ailleurs’ non plus, elle est partout, partout où l’on peut instiller des messages.

 La néo-propagande se veut invisible, incolore, inodore et sans saveur. Elle doit être infusée avec lenteur mais inéluctablement comme les saveurs de thé sortent du sachet sans pouvoir y retourner. Elle ne souhaite pas prévenir un type de comportement, elle a pour but de changer l’âme des masses, de la transmuter. Elle souhaite supprimer toutes les vérités, toute croyance, toute recherche, pour ne plus laisser place qu’à leurs certitudes. Bien loin d’ériger un Duce en modèle, c’est le système, c’est l’élite qui le sert, qu’il importe d’idolâtrer. La teinture idéologique est celle tout à la fois de Dati, Attali, Macron, Jospin, Sarkozy… idéologie commune dans laquelle ils baignent bien au-delà des égratignures qu’ils s’infligent sur les plateaux TV. Ils pensent tous que les décisions politiques à prendre sont trop délicates pour pouvoir les confier au peuple. Lors de la constitution de 1791, malgré son caractère révolutionnaire, la bourgeoisie avait déjà séparé les citoyens actifs (les plus fortunés) des citoyens passifs (les autres). La propagande va donc uniquement consister à ‘occuper’ les citoyens passifs pour qu’ils fassent tout sauf ce qui peut les sauver : s’unir.

 Les actualités télévisées ne représentent qu’un infime maillon dans une immense chaîne qui permet d’entraver les esprits, mais elle est représentative des autres moyens : il faut noyer le bon sens, l’esprit critique dans une mer de sarcasmes. Les pauvres ne doivent plus devenir que des populistes, des racistes, des machistes, des suprématistes, des antisémites, des islamophobes, des homophobes… Ceci permet de ne pas entendre ce qu’ils disent. D’ailleurs, les mots qu’ils choisissent ne sont pas ceux, plus précieux, qui conviendraient. On ne cherche pas à les comprendre, juste à les mépriser.

 M. ben Salmane fait partie de ces fous du passé qui tendent malgré tout à disparaître, l’avenir du despotisme réside dans cette sorte de matière grise dont M. Pujadas est un des neurones avec quelques dizaines ou quelques centaines de milliers d’autres dans le Monde.

 


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