« Dégénération Mélenchon »
par Robert Branche
mercredi 12 avril 2017
Attention à ne pas se laisser emporté par la volonté du rejet des politiques en place : ce qui n'a pas marché en 1981 conduira à un décrochage durable de la France en 2017
En mai 1981, après vingt-trois années de pouvoir sans partage de la droite, François Mitterrand, porté par une volonté de renouvellement et de changement légitimes, gagnait l’élection présidentielle.
Pour construire cette victoire, il avait constitué une alliance avec le parti communiste et, instruit de l’échec de la campagne de 1974, arrondi les angles et son profil : il était devenu la « Force tranquille », un père rassurant pour la Nation.
Son programme promettait non seulement l’ouverture sociale, mais surtout le renouveau économique. Ce grâce à une potion magique associant relance par la dépense publique, accroissement des salaires de base, nationalisations et imposition des revenus les plus élevés. Et bien sûr la planification afin de pallier les carences de l’industrie privée.
Un an et deux dévaluations plus tard, il lança un plan de rigueur qui ne suffit pas à empêcher une troisième dévaluation qui intervint en 1983 : loin d’avoir enrayé le déclin économique de la France, il l’avait accéléré.
J’avais 26 ans en 1981 et me souviens de l’enthousiasme qui a porté cette élection – il fut aussi le mien – et la dureté de l’atterrissage ensuite. Chargé de mission à la Délégation à la Petite et Moyenne Industrie, puis à la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR), j’ai vécu cette période de l’intérieur, constatant le désarroi de ce nouveau pouvoir face aux réalités et son impréparation à celles-ci.
Aujourd’hui, 36 ans plus tard, je vois le même mécanisme à l’œuvre.
Simplement, ce n’est plus la droite qui est rejetée, mais tous les partis politiques qui ont exercé le pouvoir depuis lors : comme tous les sondages et études le montrent, deux Français sur trois ne s’y retrouvent plus et attendent un renouveau.
Et le nouveau père de la Nation, le sauveur qui ferait le ménage, n’est plus la « Force tranquille », mais la « Force du peuple » : Jean-Luc Mélenchon. Comme François Mitterrand en son temps, il a lissé son image et s’est habillé d’une faconde et d’une rondeur rassurantes. Comme lui, il a reconstruit une alliance incluant le parti communiste.
Et il a ressorti exactement la même potion prétendument magique. Il a juste remplacé les nationalisations – force des circonstances – par la remise en cause de l’Euro et du fonctionnement de la communauté européenne. Cette double remise en cause est faite dans des termes tels, que la sortie des deux sera inévitable, car nos partenaires n’accepteront jamais un diktat français.
Or ce qui n’a jamais marché, est particulièrement inadapté à un moment où les économies de tous les pays sont interdépendantes, où la performance des organisations est de moins en moins dans la centralisation, mais au contraire dans la décentralisation et la responsabilisation des acteurs. Être moderne n’est pas simplement savoir se servir d’hologrammes pour sa communication personnelle, c’est comprendre les conséquences économiques des nouvelles technologies !
De plus, la France ne souffre pas d’un niveau de dépenses publiques insuffisant – elle se situe au contraire dans le peloton de tête en la matière –, mais d’une manque d’efficacité dans leur utilisation : le débat ne devrait pas porté sur le montant, mais sur leur allocation et le mode de management de l’État qui est resté trop centralisé et jacobin.
Bonne nouvelle : le programme économique de Jean-Luc Mélenchon, comme celui de François Mitterrand en 1981, ne pourra pas être mis en œuvre longtemps, car le réel ressurgit toujours.
Mais la situation de la France de 2017 n’est pas celle de 1981 : le niveau de dépenses publiques est déjà à un niveau record, la dette publique approche une année de PIB, le taux de chômage a dépassé les 10%, les emplois industriels ont fondu, le déficit du commerce extérieur atteint des records, notre système éducatif décroche, …
Aussi à la différence de 1981, la France n’est plus en capacité de supporter un tel choc. Le décrochage serait fatal. Ne croyons pas que ce qui est arrivé en Grèce, ne pourrait pas se produire ici…
Je partage la volonté de la plupart des citoyennes et des citoyens de tourner la page et de bouter dehors des partis politiques qui, coupés des réalités, ont été dans l’incapacité de mener les réformes nécessaires dans ce pays.
C’est pourquoi, j’ai participé en 2013 à la naissance de Nous Citoyens, animé la construction de son programme, puis en 2016 accompagné Alexandre Jardin dans la création de la Maison des Citoyens, du mouvement les Citoyens et dans sa tentative d’être candidat à l’élection présidentielle.
Je vois l’attractivité des deux discours populistes portés d’un côté par Marine Le Pen, de l’autre par Jean-Luc Mélenchon, qui proposent peu ou prou le même programme économique, celui que je viens de résumer. Tous deux ont lissé leurs images, Marine Le Pen en gommant l’image de son père et du FN, Jean-Luc Mélenchon en faisant oublier ses sympathies historiques avec Fidel Castro ou Chavez, et en ayant troqué l’Internationale contre la Marseillaise.
Quant à sa proposition d’une nouvelle République, quelle est elle ? Impossible de le savoir puisque tout dépendra d’un référendum à venir. Qu’a-t-il dans la tête ? Quel est son projet pour la France ?
Oui, nos institutions doivent être réformées. Oui, il faut plus de démocratie citoyenne et plus de décentralisation. Oui, la richesse et la diversité des territoires sont insuffisamment prises en compte. Oui, la technocratie a trop de pouvoir. Oui, il faut lutter contre les inégalités. Oui, il nous faut trouver comment recréer une dynamique industrielle. Oui, il faut réformer l’Europe.
Mais voter Jean-Luc Mélenchon, c’est choisir une double révolution, économique et institutionnelle. Côté économique, ce sera un retour en arrière sans autre issue qu’une faillite annoncée, ce qui se fera comme toujours aux dépends des plus faibles. Côté institution, ce sera un chèque en blanc à quelqu’un qui rêve de Castro et Chavez, et qui vient des ors du Sénat.
Mitterrand avait poursuivi en 1988 avec la « Génération Mitterrand ». Avec Mélenchon, je crains que ce soit ensuite une « Dégénération Mélenchon ».
Est-ce à cela dont rêvent les citoyennes et les citoyens ?
Pensez-y au moment de voter le dimanche 23 avril…