Déjà, la « Pax Romana », c’était la guerre

par Clark Kent
mardi 13 novembre 2018

Trump a tweeté aujourd’hui 13/11/2018 :

“Emmanuel Macron suggests building its own army to protect Europe against the US, China and Russia. But it was Germany in World Wars One & Two.” Et il a ajouté : “How did that work out for France ? They were starting to learn German in Paris before the U.S. came along. Pay for NATO or not ! »

Traduction : « « Emmanuel Macron propose de créer sa propre armée pour protéger l'Europe contre les États-Unis, la Chine et la Russie. Mais (l’ennemi) dans les deux guerres mondiales c’était l’Allemagne. Comment ça s’est passé pour la France ? Ils commençaient à apprendre l'allemand à Paris quand les États-Unis sont arrivés. Vous allez payer vos dettes à l’OTAN ou pas ? »

Ce morceau d’anthologie qui ne manquera pas de scandaliser les cœurs purs de ce côté-ci de l’Atlantique remplira d’aise tous les « rednecks » de l'autre côté de l'océan, car il n’est que l’expression banale de deux mythes qui ont la vie dure aux Etats-Unis, le mythe de l’Oncle Sam sauveur providentiel des peuples opprimés et celui de la « Pax Americana », garante des valeurs de la « civilisation » contre la « barbarie ».

Or, l’histoire de l’expansion des empires racontée dans les manuels et les journaux n’est pas forcément la bonne.

Le plan Marshall et les traités de coopération politique, économique ou militaire de la même période ont été présentés comme une nouvelle ère qui coïncidait avec l'abandon de la neutralité politique des Etats-Unis à l'égard des affaires internationales, et avec leur domination économique et militaire à l’échelle planétaire, y compris dans l'espace, une nouvelle Pax Romana exerçant un rôle hégémonique et une position de gendarme à l'échelle mondiale.

Cette position s’est imposée définitivement et a pris le relais de la « rule Britannia » avec la crise de Suez en 1956, lorsque les États-Unis ont menacé de suspendre le financement dont la Grande-Bretagne avait besoin, si ses forces ne se retiraient pas du canal de Suez, et de ses derniers avant-postes impériaux. .

Or aujourdhui, comme la Grande-Bretagne en 1947, les États-Unis ont de plus en plus de difficultés à maintenir leur statut militaire et géostratégique au Moyen-Orient et ailleurs. Leurs dépenses de défense représentent près du tiers de leur budget global. A la suite des fiascos militaires en Irak et en Afghanistan et après la crise financière de 2008 et la grande récession qui a suivi, les patriciens et sénateurs américains ont fait savoir qu'ils ne soutiendraient plus l'utilisation des ressources du pays au maintien d’une force militaire budgétivore et ils ont procédé à un "changement de régime" présenté comme le résultat des urnes en installant à la Maison Blanche un président attaché à un nouveau programme : « America First ».

Pour comprendre le processus de grandeur et déclin des empires, un « flash-back » à la mode hollywoodienne n’est pas inutile.

Il n'était pas inscrit dans le « destin » de l'Europe méridionale qu'elle avait pour vocation d’être romaine, et ce n'était pas non plus le projet de César. Pour lui, la conquête était un moyen d'obtenir du sénat l’attribution de moyens militaires qui lui donneraient ultérieurement le pouvoir à Rome. C'était avant tout un outil de politique intérieure et, en passant, un moyen d'enrichir les chefs militaires et les sénateurs qui le soutenaient par un pillage systématique, en même temps qu'un moyen de se procurer des esclaves... 

La « guerre des Gaules » a coupé en deux le monde celto-germanique et réduit les Celtes à devenir une annexe du monde latin. La tactique la plus courante (que Trump n’a manifestement pas oubliée) a été la politique de division : dresser les peuples les uns contre les autres. L'élément militaire a été décisif : les Romains disposaient de techniques de guerre plus avancées. 

Un tiers de la population gauloise a été éliminé physiquement. C'est ce qu’on appellerait aujourd’hui un « génocide ». Quand César passait des accords avec les chefs de tribus, c’était pour les faire prisonniers et faire massacrer hommes femmes et enfants par ses légionnaires. Pour le carnage des Belges, il a écrit : « C'est ainsi que, sans courir de danger, nos soldats en massacrèrent autant que la durée du jour le leur permit. » C’est par la violence et les génocides que la Gaule et le monde celtique ont fusionné avec la « civilisation romaine ». Le terme « gallo-romains » est une imposture du récit historique de l’histoire de France initiée par Napoléon III et diffusée par le troisième république pour faire croire aux Français que leurs « ancêtres » étaient déjà les égaux des conquérants.

En fait, la matrice du mode opératoire romain (et de toute conquête impériale) était la répression des révoltes d’esclaves, enjeu crucial de l'histoire de la République romaine. Le mot « terroristes » n’existait pas encore. Quand des esclaves se révoltaient, on les éliminait physiquement jusqu’au dernier, comme en Sicile en - 135, ou lors de révolte de Spartacus, entre - 73 et - 71, qui s'est terminée par l'« exposition », le long de la via Appia, de milliers d'esclaves crucifiés. Le modèle, c’était l'élimination totale de l'adversaire, justifiée par une discrimination irréductible : les esclaves n'étaient pas considérés comme des hommes, pas plus que ne l’étaient le peuples combattus dans les guerres de conquêtes ultérieures.

Il était exclu que les « Barbares » puissent avoir un sens de l'honneur et de la loyauté, comme il sera exclu, pour les conquistadors espagnols, que les Indiens d'Amérique puissent avoir une âme, et on pourrait étendre l’analogie à des conflits actuels. Il était donc normal de les exterminer, d'autant plus que cela contribuait à un enrichissement conséquent des patriciens romains. 

L'économie romaine était fondée sur un système d’exploitation sommaire et efficace : massacrer ses adversaires ou les asservir, et à les dépouiller entièrement de leurs richesses. Ils commençaient par la répression, exterminaient les populations, puis, quand la résistance était réduite à zéro, soumettaient les élites qui avaient collaboré en leur accordant le plus grand des « privilèges », la citoyenneté romaine.

Corrompre jusqu’à l’os les classes dirigeantes locales a été la recette de base de la domination romaine, l’instrument de l'unification impériale. Il ne faut pas oublier que Vercingétorix avait été officier dans l’armée romaine avent de fédérer les « irréductibles gaulois ». Pour César, l'idée d'« Europe » n’avait pas de réalité ni de sens, il s’agissait de construire une Italie souveraine contrôlant des provinces... « Italy First »
En réalité, ce que les cartes des atlas historiques présentent comme un glacis figé d’un empire stabilisé est une représentation fictive : on combattait sans interruption sur le Rhin et le Danube, en Angleterre et en Espagne... La conquête de César s'est réalisée progressivement par les grands axes de communication, les agglomérations urbaines, mais les campagnes n'étaient pas contrôlées. Pendant les siècles qui ont suivi sa conquête, le territoire de l'Europe actuelle était le théâtre de guerres permanentes. La pax romana, c'était la guerre.

La période « pacifique » de l'Empire est une illusion héritée des historiens italiens de la Renaissance puis des campagnes idéologiques du second Empire (français celui-là).

L’effondrement s’est produit quand les Romains n’ont plus été en mesure de se procurer de nouveaux esclaves et de nouvelles richesses. C’est alors que le déclin (et non pas la « décadence » qui est un concept moralisateur) a commencé. L'analogie avec la période actuelle est sans doute trompeuse, mais elle est inévitable.

Aujourd’hui, le peuple américain n'est prêt à faire la guerre ni aux Nord-Coréens ni aux Iraniens, et il n’est pas nécessaire d’être un expert militaire pour comprendre que les décisions de la Corée du Nord et de l’Iran de défier les États-Unis sur la question nucléaire se fondent sur le constat selon lequel les "marines" en mesure de mener une guerre terrestre.

La différence avec le passage de relais de la Grande-Bretagne en 1947, c’est qu’il n’y a pas de candidat à la reprise du flambeau.

En dépit des timides avancées de Macron, l’Union européenne n’a ni la capacité militaire ni la volonté politique de jouer ce rôle. Le rival présumé de l'Amérique, la Chine, son principal créancier qui possède d'énormes réserves de devises étrangères, principalement en dollars américains, pourrait utiliser son pouvoir économique pour faire pression sur les États-Unis. Mais rien ne montre que les Chinois aient envie de rester enlisés dans les sables mouvants du Moyen-Orient.

Personne ne s'attend à ce que les rivaux mondiaux potentiels des États-Unis (l'Union européenne, la Russie, la Chine et l'Inde) dépassent les États-Unis en termes de défense et les dépassent à court terme dans la sphère militaire. L’Amérique n’a plus envie d’être un empire, mais elle reste le pays le plus puissant. La « Pax Americana » n’avait pas plus de réalité que la « Pax Romana », et les messages de Trump ont le mérite de faire tomber les masques pour montrer le vrai visage de la domination et son jeu de la division. Trump veut simplement rester sur le siège du conducteur et demander aux Européens, aux Russes ou aux Chinois de vérifier la pression des pneus et le niveau d'huile. Seulement voilà, les intéressés ne sont pas d’accord.

Et ça, ça agace énormément Trump !


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