Demain une loi Hadopi pour les livres ?

par Krokodilo
vendredi 15 mai 2009

Nos députés ont fait un formidable travail de protection des droits d’auteur en votant cette loi, salués en cela par une poignée de grands artistes, mais ils doivent aller plus loin et mettre fin à un scandale qui concerne un domaine trop souvent négligé, occulté par les lumières du star-sytème et du showbizness : les livres.

 
Notre président a commencé à prendre la mesure du problème, puisqu’il a annoncé sa volonté de protéger les manuels scolaires et les droits des éditeurs :
 
« Nicolas Sarkozy a annoncé son souhait d’organiser dans les mois à venir des États généraux de la création qui traiteront notamment du problème "de la reproduction en très grandes quantités d’oeuvres par l’Éducation nationale". Signe que pour le chef de l’État, l’éducation doit être au service des auteurs, et non l’inverse. »
 
Mais on espère qu’il s’attaquera avec son énergie habituelle à un scandale vieux de plus d’un siècle dans le domaine des livres, un pernicieux système de licence globale que l’on appelle « abonnement annuel à la bibliothèque municipale », et qui concerne également les bibliothèques universitaires. Selon nos sources, une nouvelle loi est en préparation dans le plus grand secret, un Hadopi spécial livres.
 
Pour une somme dérisoire, ce sont des centaines de milliers de gens qui lisent des romans gratuitement, autant de droits d’auteur en moins pour les écrivains !
 
Sans aller jusqu’à dire que les vedettes du showbiz se dorent la pilule sous les feux de la rampe... disons qu’il paraissent souvent mieux lotis que les travailleurs de la plume, exception faite des gros vendeurs.
 
Il est temps de combattre ces inégalités injustifiées entre différentes catégories d’artistes ! La protection contre le piratage ne doit pas s’appliquer seulement à l’audiovisuel, musique, chansons, séries et films, car la situation est grave : je peux personnellement témoigner que j’ai vu des enfants de 7 ans emporter un livre à la maison (parfois trois à la fois), sans avoir déboursé un seul euro !
 
Pire : leur geste criminel est approuvé par leurs parents, attendris par un goût de la culture se manifestant chez leur progéniture de façon assez inattendue, quand il ne s’agit que d’une vocation de délinquant ou de l’attrait malsain de l’interdit.
 
Et l’argument selon lequel les gros lecteurs de bibliothèques seraient aussi les gros acheteurs de livres est fallacieux : où sont les études scientifiques qui le prouvent ? 
Les faits sont têtus : un livre lu quasiment gratuitement est un manque à gagner pour les artistes, et rappelons, comme l’a fait Pierre Arditi à juste titre, que Laurel et Hardy ont fini dans la misère, alors que leur oeuvre est immortelle. 
 
Quelle société fabriquons-nous en incitant nos enfants à lire des livres sans les payer ? Les bibliothèques municipales sont des foyers d’anarchie, des écoles du crime où l’on apprend le piratage des oeuvres et le mépris de l’artiste. Et nos écoles primaires sont complices, qui partout en France amènent quasiment chaque semaine les enfants du primaire dans ces lieux où sont probablement nées de nombreuses vocations de pirates informatiques, ceux-là même contre lesquels lutte la loi Hadopi. 
 
Hadopi ne suffit pas. Il faut s’attaquer aux racines du mal : fermons toutes les bibliothèques et médiathèques de France ! 
 
Espérons que nos députés s’attaqueront aussi au scandale du prêt de livre entre copains, le pair à pair (peer to peer), dont le principe est très simple : un consommateur qui a acheté un livre le prête à un autre pour qu’il le lise gratuitement, sans rémunérer l’auteur ! 
On estime le manque à gagner pour les écrivains à des millions d’euros... 
 
Selon nos sources, les options techniques retenues seraient l’insertion dans chaque livre électronique (e-book) d’un logiciel qui liste et transmette nos lectures à une Haute autorité et, pour les livres papier à l’ancienne mode, une puce électronique incrustée dans la reliure, couplée à un GPS pour tracer le prêt de livres.
 
Le gouvernement, pour couper court aux critiques sur une menace aux libertés fondamentales, a bien précisé, dans son avant-projet, que chacun gardera le droit inaliénable et imprescriptible de lire et relire un livre acheté légalement, et ce, pour un nombre illimité de relectures.
 
Les grands groupes de presse se sont montrés très intéressés par ce projet. Ils envisagent de lutter contre la lecture illégale des journaux et magazines en utilisant une encre biodégradable qui s’autodétruit au bout de 24 heures (pour les quotidiens) et d’une semaine (pour les hebdomadaires).
 
Ainsi, le talent des journalistes, eux aussi artistes de la plume, sera-t-il davantage respecté lorsque la lecture illicite des journaux sera contrecarrée. Un SDF, par exemple, ne pourra plus lire gratuitement le journal sur lequel il dort, mais l’usage de celui-ci comme isolant thermique sera toujours possible, c’est une situation gagnant-gagnant.
 
Lorsque la future loi aura été appliquée et les bibliothèques fermées, le problème se posera de savoir quoi faire de ces millions d’ouvrages : les vendre à la tonne, au poids du papier ? Pas rentable. Les brûler ? Certains n’hésiteraient pas à évoquer Fahrenheit 451, le roman de Ray Bradbury (superbement adapté au cinéma par Truffaut). Les donner ? Indigne d’un gouvernement libéral et contraire aux intérêts des auteurs. Le plus rationnel sera d’organiser une gigantesque vente publique de ces millions de livres d’occasion qui auront été si souvent lus illégalement.
 
Enfin ces livres orphelins trouveront leur destin, leur légitime propriétaire, celui qui aura seul le droit de les chérir, de les lire et les relire en toute légalité. (Le prêt intrafamilial sera probablement autorisé).
 
Dans son combat pour la fermeture de toutes les bibliothèques municipales, en faveur de la culture pour tous dans le respect des écrivains, le gouvernement espère l’appui du Nouvel observateur et de Denis Olivennes, président de son directoire, ancien dirigeant du groupe Fnac et inspirateur de la loi Hadopi par le rapport qui porte son nom. 
 
Une société juste est une société où les droits de chacun sont calculés au plus juste. 
 
(Pour aller plus loin sur le sujet – et plus sérieusement )
 
(Pour aller plus loin dans la déconnade, un texte humoristique anonyme venu de Russie
 sur la question des droits d’auteur, à la sauce futuriste orwellienne)

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