Depardieu en Belgique : sur les pas de Victor Hugo

par LibreSF
lundi 24 décembre 2012

Dans la vie d'une nation, il est des moments où partir, c'est servir, et rester, c'est trahir. 

Qui taxerait aujourd'hui d'anti-français l'exil de Victor Hugo, loin de "Napoléon le petit" (Napoléon III) ? Détail oublié, c'est par la Belgique (Bruxelles) que commença l'expatriation de l'écrivain (1852-53), suivie par un séjour à Jersey puis Gernesey (jusqu'en 1870).

Ce rappel n'est pas inutile, à l'heure où le comédien Gérard Depardieu a rendu son passeport français au premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui s'était permis de taxer d''assez minable" l'exil annoncé de l'acteur en Belgique ! 

Pendant quelques jours, ce fut la curée médiatique, tantôt hypocrite (quand on publie complaisamment les photos de sa propriété parisienne), tantôt grossière (dans la bouche du premier ministre). Quant à la taxation confiscatoire à l'origine du départ de l'acteur, pianissimo. Mise en place par la démagogie paresseuse d'un pouvoir qui se borne à répéter "je taxe et je distribue" comme un mantra miraculeux, elle est pourtant aussi convaincante que les dénégations de Jérôme Cahuzac (ministre du Budget) sur son présumé compte en Suisse.

Gérard Depardieu, nouveau proscrit des salons parisiens, n'est certes pas Hugo, et François Hollande n'est pas Napoléon III. Mais s'il n'y a pas équivalence des situations, l'analogie est frappante. D'un côté, un bateau ivre, aux mains d'un pouvoir aussi péremptoire que dépassé. De l'autre, deux "monstres sacrés" emblématiques du meilleur de la culture française. Des "hommes océans", comme l'écrivait Alain Decaux (1).

Excessifs, flamboyants, magnifiques. Mais surtout généreux. Création, amours, discours, provocations, ce panache incomparable a apporté à la France ce qu'aucun homme politique ou chef d'entreprise ne peut lui donner : du "rêve français", du vrai, à portée universelle et pérenne, pas cette pacotille électoraliste dont on use et abuse, toute honte bue, pour vendre un programme qu'on sait déjà intenable. 

Combien Hugo et Depardieu ont-ils rapporté à leur pays ? Aucun économiste ne saurait répondre à cette question. L'acteur emploierait à lui-seul, dit-on, plus de 80 personnes. Difficile à vérifier. Mais tous s'accorderont sur le caractère incalculable du gain estimé, bien au-delà des 145 millions d'euros déjà versés au fisc. Ce qui constitue la plus éclatante réponse au "lobby du Bien" (2) qui aujourd'hui se pique d'administrer à Gérard Depardieu les leçons de morale de la nation.

L'acteur français le plus génial de sa génération, sorti de l'école à 13 ans, fils de tôlier-formeur, n'est certes pas un enfant de choeur, même si ce lecteur de Saint Augustin en surprendrait plus d'un par sa sensibilité aux mystères de la foi (3). Mais en choisissant l'exil belge, l'interprète d'Obélix a de qui tenir. Dans un pays en crise, le carnet de chèques ne résoud pas tout, comme l'illustra la gestion calamiteuse du dossier Florange. "Même le plus mauvais syndicaliste aurait obtenu mieux" qu'Ayrault face à Mittal, dixit Edouard Martin, délégué CFDT... Et si la France, la vraie, était ailleurs que dans cette politique à courte vue, tueuse d'audace et indigne des enjeux ?

S'éloigner, d'Hugo à Depardieu, c'est alors défier une "France vide" d'idées et de courage politique, au nom d'une "France libre", au diapason de l'Europe.

 

(1) Alain Decaux, Victor Hugo, Paris, Perrin, 1995, 5e partie, p.779 à 920.

(2) Laurent Joffrin, Histoire de la Gauche caviar, Paris, Points Seuil, 2006, p.202.

(3) André Mandouze et Gérard Depardieu, Lire Saint Augustin, Paris, Declée de Brouwer, 2004.


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