Des ambiguïtés de concepts comme la laïcité et la neutralité de l’enseignement
par Bernard Mitjavile
mardi 2 février 2016
On identifie souvent la laïcité avec la modernité et la neutralité en matière d'éducation mais les choses ne sont peut-être pas si simples.
Les défenseurs de la laïcité en font une valeur suprême de la République qui selon certains devraient même être ajoutée au triptyque liberté, égalité, fraternité (proposition entre autres du député-maire de Drancy Jean-Christophe Lagarde). Or contrairement à ce qu’ils affirment, la laïcité n’est pas une valeur en soi orientant l’éducation ou l’action des individus mais un principe de séparation entre les religions et l’Etat dont on peut trouver l’origine dans cette réponse du Christ à une question piège des pharisiens sur l’impôt « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». C’est si peu une valeur universelle qu’il n’y a pas vraiment de mot correspondant dans d’autres langues comme l’anglais ou l’allemand, langues pourtant parlées dans des pays tout autant démocratiques que le nôtre comme les USA, l’Angleterre ou l’Allemagne.
Historiquement, on peut voir les lois sur la laïcité de 1905 comme un moyen de calmer le jeu dans les tensions entre l’Eglise catholique et l’Etat qui ont marqué le 19 siècle en se basant sur un principe de la République « qui ne reconnaît aucune religion ». L'effort de réduire les tensions dans la société était et reste louable tant que l'on ne fait pas de la laïcité une nouvelle idole.
On est tout à fait libres de défendre un système de valeurs « laïques » ou républicaines avec la charte de la laïcité que Najat Vallaud-Belkacem voulait voir affichée dans toutes les écoles, mais alors, il nous faut reconnaître, comme l’a montré en mathématiques K. Goedel avec ses théorèmes d’incomplétude, que ce système ne peut trouver sa justification ultime en lui-même mais dans une cause qui le transcende, cause qui peut être l'idéal de la République selon Platon, l’Etre suprême cher à Robespiere ou autres, ce qui le met de ce point de vue sur le même plan que les systèmes de valeurs chrétiens, musulmans, juifs, hindouistes ou taoïstes qui font tous appel à une transcendance.
Si l’on prend une définition large de la religion, mot issu du latin religere, comme ce qui relie les membres d’une communauté autour d’une vision commune du monde (la Weltanschauung de Max Weber), laïcs ou pas, que nous soyons communistes, chrétiens, anarchistes ou musulmans, nous sommes tous religieux au sens où nous défendons tous une certaine vision du monde.
Une fois ce point clarifié, l’on voit que les défenseurs des valeurs républicaines ne sont ni plus ni moins religieux au sens large du terme que les défenseurs des valeurs chrétiennes et d’ailleurs, il faut reconnaître que ces valeurs républicaines de liberté, fraternité, égalité doivent beaucoup aux valeurs évangéliques.
Avec cette compréhension, on ne peut parler si facilement de neutralité de l’enseignement. On peut dire que l’école reste neutre en matière d’enseignement de la sexualité tant qu’il s’agit de la sexualité des souris mais s’il s’agit de promouvoir la promiscuité sexuelle avant le mariage par le biais de la distribution de préservatifs et d’encouragements à l’avortement auprès d’adolescentes ou d’enseigner la théorie du genre chez des enfants, c’est bien une vision spécifique de l’homme, de la sexualité et du mariage ou plutôt contre le mariage traditionnel que l’on promeut et non la neutralité. On fait ainsi un choix de société qu’il ne s’agit pas ici de juger mais force est de constater que l’on défend une idéologie particulière et non « La Science » comme le faisait les marxistes qui se prétendaient scientifiques ou « la Modernité ». En effet la modernité peut prendre bien des formes, y compris le retour de ce que certains appellent faute de mieux le Religieux et la science ne se prononce pas sur les choix de valeurs que font les hommes.
Bien sûr, cette absence de neutralité est encore plus évidente quand on enseigne l’histoire, par exemple l’Ancien Régime, la répression en Vendée ou la terreur révolutionnaire. Dans ce cas la neutralité prétendue évolue sans cesse selon les modes, les historiens, les idées dominantes à une époque et les manuels imposés par le Ministère de l’Education. On a toute la gamme des opinions allant de celles qui glorifient les « Grands ancêtres » révolutionnaires passant sous silence les bavures de la terreur à celles qui idéalisent l’Ancien Régime.
De même quand on enseigne l’évolution des espèces, si l’on en profite pour promouvoir une vision du monde athée, expliquant que cette théorie montre que tout est le produit du hasard et de la nécessité pour reprendre les mots du biologiste et prix Nobel Jacques Monod, alors on a quitté la neutralité scientifique et l’on défend une forme de matérialisme athée.
Ce serait plus simple de reconnaître simplement qu’il n’y a pas de neutralité en matière de valeurs et donc d’éducation et d’aller vers un véritable dialogue entre les différentes approches et valeurs en cherchant honnêtement le meilleur pour l'éducation.
Mais au lieu de cela, les tenants d’une laïcité bornée avancent masqués en promouvant leurs idées au nom de la modernité, de la science ou d’une neutralité supposée de l’Etat. Le tout est de le savoir et le démasquer en dévoilant les aprioris idéologiques dissimulés derrière une laïcité aux contours mal définis.