Des bricoleurs de génie : Les Curie

par Jacques-Robert SIMON
vendredi 2 janvier 2015

Les découvertes scientifiques ne dépendent pas seulement d'un talent particulier dans un domaine donné. Elles dépendent aussi du hasard, de l'amour, du type de société environnant.

DES BRICOLEURS DE GÉNIE : LES CURIE

Jacques-Robert SIMON

 

 En 1896, Becquerel découvre la radioactivité par hasard en observant qu’une plaque photographique mise en contact avec des sels d’uranium est impressionnée bien qu’elle n’ait pas été soumise à la lumière du soleil. Le composé minéral semble donc émettre un « rayonnement ». En 1897, Marie Curie choisit d’étudier ce sujet pour sa thèse de doctorat. Son époux délaisse son propre sujet d’étude sur le magnétisme pour se consacrer à expliciter la nature et l’origine de ce « rayonnement ». Un atelier rudimentaire est mis à sa disposition dans une école qui deviendra par la suite prestigieuse.

 La découverte de la radioactivité, car il s’agit bien d’elle, a été possible grâce, bien entendu, à une bonne culture scientifique mais aussi une excellente perspicacité pour exploiter un fait du hasard. Il faut souligner que les « Curie » faisaient eux-mêmes les expériences nécessaires à l’avancement de leurs travaux (aidés cependant par un préparateur et ami André-Louis Debierne). Ainsi la séparation entre le faire et le savoir faire (le manuel et l’intellectuel) n’avait simplement pas de sens pour les « Curie ». Pierre et Marie Curie ne soupçonnaient pas la probable dégradation à terme de leurs santés à cause des produits radioactifs qu’ils manipulaient. Il faut aussi noter l’importance de la complémentarité tant scientifique qu’humaine entre Pierre et Marie Curie. Sans cette association entre un Physicien hors pair et une Chimiste de talent les processus associés à la radioactivité auraient été connus plus tard et ailleurs qu’à Paris.

 Très vite les « Curie » concentrent leurs efforts sur un minerai, la pechblende (UO2) qui émet davantage de rayonnement que les sels d'uranium précédents. Les corps radioactifs ont la propriété d’ « ioniser » l’air se trouvant à proximité, le rendant conducteur. Il suffit alors de mesurer le courant électrique entre deux armatures portées à un certain potentiel pour déterminer l’activité de la substance étudiée. Pierre Curie et son frère Jacques construiront un électromètre original qui permettra une mesure précise de l’intensité du rayonnement.

 Il est acquis qu’une petite quantité de « matière radioactive » est contenue au sein de l’oxyde d’uranium. Encore faut-il le séparer ! Plusieurs années de travail seront nécessaires pour isoler le radium qui est cette impureté radioactive. Au laboratoire 20 Kg de minerai seront traités. Plusieurs milliers de cristallisations fractionnées seront nécessaires pour isoler des traces de radium. Pour en obtenir des quantités suffisantes plusieurs tonnes de minerai furent ensuite utilisées. Le radium est en effet contenu dans la matière première en proportion de quelques décigrammes par tonne soit 0,1 g pour 1 000 000 de grammes. Pour souligner la méticulosité des expériences remarquons que Marie Curie précise que « les pesées doivent se faire très rapidement pour éviter l’absorption d’eau ». Les pesées occupaient de fait une part non négligeable des activités de Marie Curie. L’illustration du soin extrême et du brio nécessaires aux expérimentations se retrouve dans la façon de déterminer le poids atomique du radium. Marie Curie a dissous du chlorure de radium de masse connue, puis fait précipiter les ions chlorure par ajout de nitrate d'argent. En déterminant la masse du chlorure d'argent précipité, connaissant les poids atomiques du chlore et de l'argent, elle put déduire le poids du chlore dans le chlorure de radium initial, et déterminer ainsi le poids atomique du radium.

 Il fallut alors se préoccuper de l’origine du rayonnement et de son origine, d’autant plus mystérieux que celui-ci est accompagné de la production d’hélium. Vint alors la proposition d’ « une théorie des transformations radioactives atomiques ». L’énergie qui émane du corps radioactif correspond à une perte de poids qui elle même est associée à la « destruction des atomes » (en fait les noyaux atomiques se scindent). Une théorie encore balbutiante venait structurer des recherches essentiellement expérimentales.

 Les applications pratiques viendront bien après. La principale d’entre elles est bien sûr la production d’électricité par des centrales nucléaires. La première centrale nucléaire du monde à avoir produit de l'électricité a été construite aux Etats-Unis et entre en service en décembre 1951. L’Union Soviétique suit en 1954. La centrale nucléaire de Marcoule fut inaugurée en 1956. La suite fait partie de l’actualité.

 Il faut mesurer le chemin parcouru entre l’impression d’une plaque photographique par des sels d’uranium jusqu’à la construction de centrales nucléaires fournissant d’énormes quantités d’énergie sous forme d’électricité. Quels enseignements peut-on en tirer ?

 Pierre et Marie Curie ne voulaient pas être les premiers, ni les meilleurs dans quelque classement que ce soit, ils ne voulaient pas briller de quelque façon que ce soit, ils ne se sentaient pas humiliés de charrier des centaines de kilogrammes de minerai à l’aide d’une brouette. Ils durent procéder à des milliers de recristallisations fastidieuses et sans mystères théoriques … Ils avaient intériorisés cette proposition : « La vulgarité des premières places, ce qui compte ce sont les places à part. »

 De plus ils s’aimaient.

 Si des chercheurs mondialement connus, travaillant dans des lieux prestigieux, bardés de diplômes, obsédés par la recherche de fonds, qui font faire aux autres ce qu’ils sont incapables de faire eux-mêmes, pouvaient contribuer au Savoir d’une façon comparable à ce qu’apportèrent Pierre et Marie Curie, à ce qu’apportèrent leurs pères, tous seraient heureux. Mais est-on tenté de faire la comparaison ? Souvent il est avancé que l’époque des grandes découvertes est révolue en Chimie comme en Physique. N’est-ce pas plutôt que les modes de vie et de pensée ne se prêtent que très imparfaitement aux aventures associées aux percées scientifiques ?


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