Des chiennes et des porcs : les remous de l’affaire Weinstein
par Lucchesi Jacques
mercredi 25 octobre 2017
Un producteur américain dénoncé par quelques actrices pour ses manières indélicates envers les femmes : et voilà que les ligues de vertu féministes s’emparent de l’affaire pour demander des comptes à l’ensemble des hommes, dans tous les secteurs professionnels. Il n’est pas du tout certain que cette attitude belliqueuse et clivante aboutisse à davantage d’égalité.
Les rapports entre le pouvoir et le sexe sont souvent explosifs. Chez beaucoup d’hommes – mais ça peut être aussi des femmes -, le pouvoir agit comme un excitant qui abaisse les freins moraux. Ils ont alors le sentiment d’être libérés des obligations qui pèsent sur l’humanité ordinaire ; ils veulent ainsi le prouver, d’abord à leur proche entourage mais aussi à ceux et celles qui détiennent, face à eux, un autre pouvoir, que ce soit celui de la séduction ou de l’argent. Dans les abus où ils se laissent facilement entraîner, il faut chercher aussi la part de la revanche sur la vie, la volonté – folle – d’en épuiser tous les possibles.
Le monde du cinéma et du show-business est particulièrement propice à ce genre de comportements, car tout n’y est que mise en scène et exaltation des désirs, tant devant les caméras que dans les coulisses et les officines. Les places sont chères pour participer à cette foire aux illusions et beaucoup sont prêt(e)s à faire pour cela les concessions qui s’imposent. C’est ainsi que Marylin Monroe obtint ses premiers rôles, et combien d’autres moins célèbres qu’elle ! Telle est la loi –tacite – à Hollywood depuis plus d’un siècle. Tout le monde sait cela, même ceux et celles qui feignent hypocritement de le découvrir à l’occasion de l’affaire Harvey Weinstein. Au demeurant, l‘ex-patron de la société Miramax n’a rien de sympathique, mais cela n’en fait pas non plus un monstre. Son erreur aura été de croire un peu trop à l’omerta de la profession en une époque avide de transparence.
Reste que c’est à la justice américaine d’examiner si les accusations contre lui sont fondées et de fixer en conséquence sa peine ; pas à l’opinion publique qui, toute à ses débordements passionnels, ne réclame jamais que des boucs-émissaires. En outre, c’est dans cette affaire l’homme privé qui doit être jugé, pas le producteur maintes fois récompensé qu’il a été. Aussi, la décision ultra-rapide de lui retirer les nombreuses distinctions qui ont jalonné sa carrière est certainement une injustice de l’establishment cinématographique envers lui. Passe encore que l’état français l’ait déchu de sa Légion d’Honneur : elle n’a pas été créée pour les gens du « showbize ». Mais les Oscars, oui, et leur attribution doit rester au dessus de ce type d’allégations. Doit-on pourfendre l’œuvre d’un Roman Polanski ou d’un Woody Allen au motif qu’ils ont été tous deux compromis dans des affaires de mœurs ? Non ! Jusqu’où cette moderne chasse à l’homme, prétention extravagante de la morale néo-puritaine sur l’art, va-t-elle remonter dans le temps ? Qui seront ses prochaines cibles ? Errol Flynn ? Charlie Chaplin ? Manifestement, la comptabilité victimaire ne s’exerce pas que dans le champ des nations et de leurs rapports historiques.
Cette tornade médiatique, qui montre à quel point la confusion règne dans les esprits, ne pouvait pas se limiter au seul territoire américain. Elle a été presqu’aussitôt récupérée par les féministes françaises, lesquelles s’y entendent fort bien en matière de victimisation et de puritanisme. L’affaire Weinstein n’était qu’un début ; il leur fallait maintenant entreprendre une vaste campagne de nettoyage dans tous les secteurs professionnels. D’où cette pétition au libellé injurieux, balance ton porc, qui invite les femmes, harcelées ou pas, à la dénonciation de tout comportement masculin un peu trop permissif avec elles.
Cette thérapie collective fonctionne plutôt bien puisque depuis, il ne se passe pas un jour sans qu’un petit baron de la politique ou du spectacle ne soit mis à l’index ; sans que des actrices et des journalistes ne révèlent qu’elles ont été victimes de pressions ou d’attouchements dans leur jeunesse (on se demande pourquoi elles ont attendu si longtemps pour en parler). Tout cela pourrait paraître presque risible si ce n’était lourd de conséquences et de dérives funestes. Se rend-on bien compte du caractère quasi fasciste d’une telle injonction ? Mesure-t-on le climat de paranoïa généralisée dont elle est porteuse ? Avec elle c’est l’honneur des hommes – de tous les hommes – qui est jeté aux chiennes. Personnellement, je ne sais laquelle de ces deux métaphores animalières est la plus obscène.
Le pire est peut-être que cette pétition est relayée - et avalisée - par une secrétaire d’état pour l’égalité des femmes et des hommes, elle qui devrait logiquement, dans sa situation, calmer le jeu plutôt que de souffler sur les braises. Bel exemple d’esprit partisan ! Et d’inviter en toute candeur les hommes à se joindre à cette croisade féministe ; alors qu’ils devraient s’insurger contre la réputation qui leur est faite et déclarer, eux aussi, « pas en mon nom ».
Au demeurant, je ne suis pas en train de pêcher par angélisme. Les hommes ne sont pas des porcs, ils ne sont pas des anges non plus. Et je déplore sincèrement que beaucoup d’entre eux aient, aujourd’hui encore, des comportements déplacés, abusifs, voire violents envers les femmes. Ceux-là, sans nul doute, doivent s’amender et s’obliger à plus de respect envers elles. Mais ça ne peut pas être par la contrainte policière et l’humiliation du pilori. Cela ne peut pas passer, non plus, par la criminalisation du désir qui circule naturellement, depuis toujours, entre les sexes. Dans cette évolution forcément partagée, les femmes ont aussi un rôle à jouer : non pas celui de sempiternelles victimes, comme une minorité de mères fouettardes voudraient, avec calcul et profit, le leur faire endosser, mais bien de personnes libres et désirantes face à d’autres êtres désirants. C’est la condition nécessaire à un vivre-ensemble plus harmonieux. Ainsi l’égalité et le dialogue finiront par s’imposer sur la défiance et la rancune.
Jacques LUCCHESI