Des petits trous, des petits trous... ou comment gérer un holocauste (3)

par morice
vendredi 31 juillet 2009

Dans les deux épisodes précédents nous avons pu voir qu’une firme allemande rachetée par IBM a mis au point en 1935 un appareil mécanographique ultra-performant, le modèle Dehomag D-11, capable de réaliser rapidement le tri d’un recensement d’état, ou de gérer finement une entreprise industrielle. Cet enfin pré-informatique vient d’être acheté en masse, ou plutôt loué, dès son avènement par l’administration allemande qui en utilise un nombre considérable d’exemplaires, pour l’époque. Juste avant la seconde guerre mondiale, l’Allemagne vient de devenir l’une des nations utilisant le plus de cartes perforées dans ses administrations. La plupart des grandes villes en sont équipées, et dans chaque mairie des « poinçonneurs » percent des trous à longueur de journée, et envoient des cartons complets à la ville principale de la région à laquelle elles appartiennent. A cette époque, le monde l’ignore. Le pays effectue des recensements, c’est vrai aussi, qui ont la particularité d’être extrêmement rapprochés. Tous les deux ans, les cartes sont mises à jour :1933,1935, 1937, 1939... Personne ne sait alors ce que cela signifie. On le découvrira le 24 juillet 1944.

 
Maidanek, il y a 65 ans jour pour jour, ou presque, le 24 juillet 1944... les russes délivrent le premier camp d’extermination où des traces demeurent visibles. Treblinka a déjà été entièrement rasé. Les juifs du ghetto de Varsovie y avaient été transférés, après leur long martyr. Comme ceux de Cracovie. Ce qui va sidérer les découvreurs du site, en plus des monceaux de cadavres qui ont été déterrés et incendiés, c’est l’incroyable organisation que présente le camp : on a gardé et étiqueté tous les biens saisis lors de l’arrivée des malheureux prisonniers : des hangars regorgent de vêtements, de lunettes, de chaussures soigneusement triées. Le massacre a été organisé avec méthode. En plus du crime, et de son ampleur, c’est son organisation maladive qui sidère.Très vite, se pose la question de la gestion de cet incroyable enfer. Comment et pourquoi répertorier, trier, engranger, sélectionner tous ces éléments ? Et comment le faire, étant donné l’ampleur de la tâche en aussi peu de temps ?
 
300 000 prisonniers ont transité par Maidanek, 78 000 y sont morts. Le camp créé en 1941 par Himmler n’est devenu camp de concentration qu’en 1943.... Devant l’avancée des troupes russes, il avait été décidée une première extermination le 3 novembre 1943 à Maidanek, ou des unités spéciales de la SS envoyées à Lublin (où il y avait un ghetto), à proximité, exécutèrent à l’extérieur du camp 18 000 Juifs. Un massacre orchestré sous le nom "d’Aktion Erntefest" (opération "Fête des Moissons" mauvais jeu de mots sur le terme "faucher"), qui toucha aussi les camps de Trawniki et de Poniatowa. Pour ajouter à l’horreur, les nazis firent jouer ce jour-là de la musique dans le camp pour couvrir le bruit des éxécutions, via les hauts parleurs. Ces éxécutions à la mitrailleuse recommencèrent en juillet 44, les Russes n’étant plus très loin maintenant.
 
Quand ces derniers entrent dans le camp déserté par les nazis, ils découvrent les premiers corps décharnés, puis les fosses communes, gigantesques, dont certaines qui sont encore béantes. A Maidanek, camp immense, on va tout découvrir d’emblée : les "fausses" douches à Zyklon B, des chambres à gaz, (des centaines de caisses complètes !), la couleur bleue du Zyklon qui réapparaît, des années après, les trappes pour le répandre, les bouteilles de gaz asphyxiants pour finir le travail, les opercules pour vérifier s’ils sont bien morts, les portes d’acier pour ne pas s’échapper, les fours crématoires,  encore pleins de vestiges humains, leur sinistre cheminée, les monceaux d’effets personnels, de chaussures, prêts à être recyclés et soigneusement comptabilisés. Les photos des suppliciés, également, dans ce qui n’a pas été brûlé précipitamment. On découvre l’horreur complète. Tout est noté", archivé, numéroté, signé et tamponné, mais une partie des documents a été incendiée dans la fuite des bourreaux. On retrouvera cependant des témoignages précis des exactions commises. Maidanek devait au départ faire 270 hectares entouré d’une enceinte double électrifiée et contenir 500 baraquements. 120 blocks seulement furent construits à la hâte, par 35 000 à 40 000 détenus eux-mêmes. Certains registres français, référençant par numéro les juifs raflés, relient Maidanek à Drancy, via le camp d’internement de Gurs, que nous avions déjà évoqué ici. Les camps d’extermination recrutent loin, la complexité des réseaux d’acheminement, notamment ferroviaires, est patente. Début 44, les allemands ont déplacé les prisonniers restants vers Auschwitz. En partant, ils brûlent hativement les corps, après avoir pris soin de brûler les papiers administratifs et les traces écrites des massacres : ils ne pourront pas tout détruire, fort heureusement. 
 
Dès la libération des premiers camps, la presse européenne, avec le délai nécessaire en ces temps troublés, s’empare de l’effroi : le journal l’Humanité titre le 17 septembre 44 que selon les sources soviétiques et polonaises, à cette date où plusieurs camps ont été découverts, ce serait 1,5 million de personnes qui auraient disparu dans les camps d’extermination ! Or à cette date, les camps les plus importants ne sont toujours pas libérés (et on ignore toujours ce qui s’est passé à Treblinka, près de Varsovie, qui sera taxé de 850 000 victimes à lui seul) ! Le chiffre, provisoire, est déjà hallucinant mais à Maidanek seulement, on trouvera sept tonnes de cendres humaines ! Or en fait, un seul camp comme celui de Belzec, à la frontière de la Galicie, avait été responsable de presqu’un tiers de ces victimes à lui tout seul : 434 508 morts selon un journal ayant eu accès aux chiffres officiels nazis, dont un télégramme de l’un des responsables de l’opération Reinhard, Hermann Julius Hoefle. Et 600 000 selon d’autres sources, les tziganes et les bohémiens ayant été comptés à part.. Venus de Dublin., de Cracovie ou de Lvov. Hoefle, le responsable d’un demi-million de morts, restera à jamais impuni  : il avait après guerre rejoint discrètement ... la CIA, sous le nom de Hans Hartman, une CIA diablement intéressée par la piste de l’extrême-droite allemande : "Hermann Julius Hoefle, a major Nazi war criminal who went unpunished after 1945, served briefly in 1954 as a paid informant for the U. S. Army Counter-Intelligence Corps". Rattrapé en 1961 seulement par son passé, la Pologne exigeant son extradition, étant toujours en Allemagne, il se suicida l’année suivante en Autriche : "In 1961 the past caught up with him ; he was arrested for war crimes. He committed suicide on August 21, 1962 in a Viennese prison before he could be tried." Voilà qui n’est guère glorieux pour les américains, qui savaient pourtant qui il était et ce qui s’était passé sous ses ordres... Fallait-il agir ainsi avec pareil criminel ? Pourquoi l’avoir aussi longtemps protégé ?
 
Belzec démontre encore davantage une organisation sophistiquée de l’extermination, il a été bâti entre novembre 1941 et mars 1942, c’est le premier des trois camps d’extermination construits, avec ceux de Sobibor et Treblinka décidé par l’Aktion Reinhard, le plan nazi d’extermination des Juifs du fameux "Gouvernement Général", chargé de la "solution finale" hitlérienne décidée en 1941. A Belzec, les juifs étaient tués par asphyxie au monoxyde de carbone provenant de moteurs de camions extérieurs au bâtiment : autrement dit, une lente agonie pour eux. L’horreur totale. Dèbut 1942 des trains longs de 40 à 60 wagons, avec 80 à 100 personnes entassées par wagon, arrivaient déjà à la gare de Belzec. Plus de 5 000 personnes à chaque arrivée !
 
Pour tuer 500 000 personnes à raison de 5 000 dans chaque convoi, il fallut organiser cent voyages donc, de mars 1942 au printemps 1943. En aussi peu de temps, soit près d’un train tous les 3-4 jours ! L’organisation était donc rigoureuse, entre le moment de l’arrivée...la mort de ses occupants... et comment se débarrasser de leurs cadavres. Les corps n’étaient pas brûlés, au début : ils étaient simplement jetés dans des fosses communes recouvertes hâtivement de terre, où ils pourrissaient lentement. Un vrai casse-tête, car beaucoup arrivant déjà morts, enfermés dans leurs épouvantables wagons à bestiaux : "The Death Brigade of some 500 Jews worked non-stop to clear the corpses. When an exceptionally large transport of 51 wagons arrived from Kolomyja in September 1942, 2,000 bodies were found dead on arrival. 100 additional naked Jews were taken off the next incoming transport to assist. Once this work was completed and the emergency over, the Volksdeutsche Heinz Schmidt marched the 100 Jews to an open grave and shot them. When he ran out of ammunition, he killed the remainder with a pickaxe handle. Schmidt was one of the most sadistic of the camp’s guards, as the above demonstrates." L’horreur existait donc. Mais le savait-on à l’époque ?
 
Quant à savoir si on savait, en effet, c’est oui. Mais les preuves précises sont venues bien trop tardivement. Une étude fouillée présente sur Internet et émanant directement de la CIA montre que les caméras photos de l’époque avaient tout saisi, mais que les interprètes des clichés de la CIA n’avaient pas compris ce qui s’y passait exactement. En avril 1944, on obtient bien une photo d’ensemble à haute altitude d’Auchswitz-Birkenau (prise à 26 000 pieds d’altitude, soit 8 000 m !). mais il faut attendre juillet 45 pour avoir d’autres clichés. Par un Lighning F-5 parti cette fois d’Italie ! "Meanwhile, the US Army Air force also started carrying out sorties in the area. The first American sortie to the Auschwitz area was carried out on July 8th by an F-5 Lightning plane from the 5th Photographic Reconnaissance Group of the 15th US Air force, operating from Bari." La chasse allemande, même en Me-262 n’a plus la maîtrise du ciel.
 
A Auschwitz-Birkenau, près d’Oswiecim, on avait en effet (enfin) obenu des clichés de qualité le 13 septembre 1944 seulement, grâce toujours aux F-5, montrant par exemple la file de prisonniers venant de Lodz, pour un gigantesque convoi de 85 wagons. On distinguait la file des juifs à peine débarqués directement menés à la chambre à gaz. Leur file d’attente pour l’identification (et le tatouage) était visible. L’un des deux fours crématoire photographié a été identifié plus tard. A ce moment là on ne sait pas à quoi cela servait : "some described the buildings as "lodge-like," "industrial looking," or having a "bakery-like" appearance". En décembre 1944, il n’y a déjà plus de trains qui y arrivaient. En octobre, Birknenau (camp d’extermination) commence à être détruit par les allemands, les photos aériennes américaines le prouvent. En décembre, c’est Auschwitz (camp de concentration) qui est évacué... et détruit en partie. Une photo du 21 décembre montre que les chambres à gaz ont été totalement détruites. Le 14 janvier 1945, les troupes US y pénètrent : c’est l’un des derniers camps découverts. L’usine voisine d’IG Farben a elle été sévèrement bombardée (940 impacts !). En réalité, les Lightning Pathfinder de reconnaissance photo envoyés l’avaient été pour photographier l’usine Buna d’IG Farben et non le camp... pris "en plus", par pur accident photographique, durant l’opération de vérification de la précision du bombardement !
 
Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que le premier camp d’extermination a été découvert il y a alors cinq mois déjà par les russes, qui ont communiqué semble-t-il leurs données. En réalité, les américains qui remontaient vers la Pologne, se doutaient, obligatoirement ce qu’ils allaient y trouver. Mais ils n’imaginaient pas pareil enfer. Eisenhower tiendra à venir témoigner au camp d’Ohrdruf, le 12 avril 1945, premier camp libéré par les américains, visiblement atterré et affligé par ce qu’il venait de découvrir. Ohrdruf est un des camps des terribles marches forcées des allemands en fuite... "Venez voir pour quoi nous nous battons" dira solennellement Eisenhower ce jour là, avouant à demi-mot qu’il savait ce qu’il s’y passait. Et en ignorant que le camp d’Orhrdruf faisait partie de ceux gérés par...IBM. Bradley avait été tout aussi choqué par ce qu’il avait vu : "The smell of death overwhelmed us even before we passed through the stockade. More than 3,200 emanciated bodies had been flung into shallow graves. Others lay in the streets where they had fallen. Lice crawled over the yellow skin of their sharp bony frames." Eisenhower avait demandé à ce que ce soit filmé, "pour le futur", pour qu’on se souvienne de la barbarie. Parmi les soldats US, Charlie Payne, le grand oncle de... Barack Obama (qui fera plus tard une confusion sur le nom du camp visité par son grand oncle).
 
La communauté juive américaine avait assez prévenu, pourtant, dès 1933 puis en 1937. En 1941, le New-York Times avait déjà fait paraître une série d’articles sur les conditions déplorables du camp de Gurs, en France de Vichy, et des expéditions "vers d’autres camps d’où on ne revenait pas". En décembre 1941, des massacres perpétrés contre les juifs à Kiev, envahi par les nazis, lui faisaient écho. En janvier 1942, le Times évoquait l’usage de gaz asphyxiants à Mathausen, une histoire certifiée par un diplomate hollandais digne de foi. En juin 1942, un rapport anglais dénonçait lui "le plus grand massacre de tous les temps" en cours. On évoquait déjà 1 000 000 de victimes. On savait, donc. On s’en doutait très fortement. "In August 1942, Geneva-based World Jewish Congress representative Gerhart Riegner cabled his New York and London offices to report the Nazi plan to murder with poison gas all the Jews in occupied Europe. Riegner’s alarming report was cabled to Jewish leader Rabbi Stephen Wise by Samuel Sidney Silverman, a member of the British Parliament." Riegner ne se trompait pas, et sera même en-dessous des chiffres. Enfin, le 21 juin 1942, une énorme manifestation juive avait eut lieu à New York pour dénoncer les atrocités commises. Trois années auparavant, il est vrai aussi, une toute aussi gigantesque réunion avait réuni à Madison Square Garden des partisans américains d’Hitler....
 
Le 26 avril 1943, on allait enfin apprendre véritablement ce qui se passait exactement à Auschwitz : un détenu polonais, Witold Pilecki, devenu Tomasz Serafinski, le seul volontaire pour Auschwitz (et peut-être le plus grand héros de 39-45 !), s’était évadé et avait transmis un rapport précis à Londres. Revenu après guerre en Pologne, il sera torturé et exécuté en 1948 par les communistes paranoïaques, comme espion américain ! Le 7 avril 1944, deux autres jeunes détenus Rudolf Vrba et Alfred Wetzler, le feront aussi. Le New York Times publiera leur récit le 20 juin 1944. Quant à savoir s’il fallait bombarder ou pas Auschwitz, c’est aujourd’hui encore un vaste problème...qui demeure loin d’être évident.
 
En 1942, les allemands, moins arrogants, plus autant certains de leur victoire finale, et qui craignent désormais d’avoir à rendre des comptes un jour ou l’autre, décident d’effacer leurs traces en déterrant les cadavres accumulés à la hâte et en les incinérant au pétrole, des opérations dantesques menés par les sinistres Sonderkommando 1005. Comme ça ne suffit pas encore, ils inventèrent alors une machine à broyer les os. Leur but était clair : effacer véritablement toutes les traces. On va bâtir les fours crématoires, ou en créer de nouveaux. Au camp de Janowska, endroit ou l’enfer ne veut rien dire en comparaison (les récits du camp sont parmi les pires), en juillet 44, on va aussi tuer en masse... précipitamment, et sans prendre toujours la précaution d’enlever les papiers des exécutés : à l’exhumation des victimes, on retrouvera beaucoup de traces de l’administration allemande ... et du fameux système Hollerith : Les malheureux avaient en fait tous été suivis depuis longtemps, repérés par leur carte perforée qui leur était associée. C’est une découverte essentielle, mais à l’époque on n’y avait pas prêté attention. "The Soviet Special Commission which investigated Nazi crimes after the war, found a number of pits full of the bodies of prisoners shot during the second half of july 44 Contrary to their usual practise, the Nazis did not search the clothes of the murdered people. The Commission found identification papers in the pockets of the clothes of those shot. From these papers the identity of many of the victims was established." La commission russe trouvera 59 fosses communes, dont beaucoup transformées en brasiers. Et estimera les morts de Janowska à 200 000 au total... Un des commandos 1005 avait estimé davantage dans une déposition : selon lui, en moins de 6 mois, il avait exhumé plus de 300 000 cadavres pour les incinérer : " I worked from 6 June 1943, to 20 November 1943. During this time the team burned more than 310,000 bodies, including about 170,000 on the sand-stone of the Janowska Camp, and over 140,000 in the Lisincki Forest. This number includes bodies which were exhumed by the Kommando, as well as those which were not buried, and burned directly after shooting". Tous n’étaient pas juifs, dans ces massacrés : "After burning the bodies in the gully, near the Janowska Camp, we were taken at night on trucks to the Lisincki Forest, where we opened 45 pits full of bodies of people who had been shot. From the uniforms, marks of distinction, buttons, medals and orders we identified among the bodies Red Army men, French, Belgian and Italian war prisoners. There were also bodies of civilians among them." 
 
Il y a avait bien une organisation derrière ces abattages à la chaîne. Chaque détenu héritait d’un numéro dans un camp de concentration ou d’extermination. Un numéro sortant d’une machine, qui lui a été tatoué dès son arrivée au camp de concentration. Homme, femme ou enfant y passaient. Un numéro, et une fiche de carton qui lui est assigné quelques kilomètres plus loin.. avec des petits trous, qui vont décider si le détenu doit survivre, et devenir esclave, ou partir en fumée. Dit comme ça, c’est encore pire : jamais l’humanité ne s’était autant déshumanisée, jamais les êtres humains n’étaient descendus aussi bas. Les nazis, qui s’imaginaient obligatoirement en haut de la pyramide humaine, n’étaient eux-mêmes que la lie de cette humanité. La "race des vainqueurs" n’était qu’une tribu de bourreaux. Chaque emprisonné de camp de concentration ou d’extermination le devait en fait à un bout de carton avec des trous. Les fameux recensements à répétition de l’Allemagne avaient servi à ça, en fait. A préparer un holocauste. Dès la découverte du nom Hollerith sur des cadavres déterrés on le savait.
 
Sur ces cartons perforés, deux indications clé fixaient en effet à l’avance le sort des prisonniers : F-6 ou D-4 déterminaient l’avenir ou non du détenu : c’est indiqué à l’entrée du camp, qui possède parfois sa machine sur place : "the IBM Hollerith punch cards kept by the Germans for the Jews, Russians and Gypsies, who were registered in the camp and later killed in the gas chambers, were coded as F-6 for "special treatment" or as "evacuations" according to Edwin Black, the author of "IBM and the Holocaust." The code for "execution" was D-4." Une seule case percée par un exécutant ignorant souvent son sens décidait de la vie ou de la mort. Le fabricant de la fiche n’était pas impliqué moralement : il agissait en robot, sans aucun état d’âme. Un personnel, souvent féminin, se chargeait des cartes comme s’il s’agissait d"un secrétariat ordinaire. Les numéros n’ont en effet pas d’âme : "In the concentration camps, IBM’s code for Jews was 8. Its code for Gypsies was 12. General executions were coded as 4, death in the gas chambers as 6. Only Jews and Gypsies were systematically murdered in gas chambers." Huit ou douze, il ne fallait pas tomber sur ces chiffres, c’est tout. Les nazis venaient d’inventer la loterie de la mort. Tirage au sort à la descente du wagon, et verdict final et définitif dans les minutes qui suivent. 
 
Les machines Hollerith n’étaient pas exactement dans les camps, pour la plupart, mais la gestion de ces camps était dirigée par une administration qui utilisait leurs données dans les deux sens. Chaque camp avait en revanche son "Hollerith Abteilung", relié directement au Bureau du Travail, via un bureau spécial intitulé l’Arbeitseinsatz. "Nearly every Nazi concentration camp operated a Hollerith Department known as the Hollerith Abteilung. The three-part Hollerith system of paper forms, punch cards and processing machines varied from camp to camp and from year to year, depending upon conditions. In some camps, such as Dachau and Storkow, as many as two dozen IBM sorters, tabulators, and printers were installed. "Other facilities operated punchers only and submitted their cards to central locations such as Mauthausen or Berlin. In some camps, such as Stuthoff, the plain paper forms were coded and processed elsewhere. Hollerith activity, whether paper, punching or processing, was frequently —but not always—located within the camp itself, consigned to a special bureau called the Labor Assignment Office, known in German as the Arbeitseinsatz."
 
Etant louées et non achetées, valant un prix exorbitant, les machines ne restaient pas sur les sites "sensibles", susceptibles d’être un jour bombardés. "IBM machines required on-site service, whether that was in the huge Hollerith Buro situated in the I.G. Farben factory complex — housed in Barracks 18 next to German Civil Worker Camp 7, about two kilometers from Auschwitz III, also known as Monowitz Concentration Camp — or in the Hollerith Service across from the parade plaza in Mauthausen, or in the bombproof Hollerith Bunker just outside the gate at Dachau. No machines were sold, only leased. They always remained IBM property". Comme les nazis ont beaucoup brûlé de documents lors de leur débâcle finale on a longtemps ignoré le rôle joué par les cartes perforées. Le pot aux roses n’a été trouvé qu’en 2002, quand on a trouvé ces documents à Cracovie, où était installé un énorme bâtiment du Hollerith Gruppe installé au 24 Murnerstrasse, qui centralisait tout : la gestion des trains vers Auschwitz par exemple, ou ceux de Belzec.
 
A Auschwitz III même, appelé aussi Monowitz, il y avait bien en revanche des machines Hollerith, ce que confirme un témoignage, provenant des chemins de fer polonais, qui évalue son personnel à une quarantaine de personnes : " A Hollerith Büro, such as the one at Auschwitz III, was larger than a typical mechanized concentration camp Hollerith Department. A Büro was generally comprised of more than a dozen punching machines, a sorter and one tabulator. Leon Krzemieniecki was a compulsory worker who operated a tabulator at the IBM customer site at the Polish railways office in Krakow that kept track of trains going to and from Auschwitz. He recalls, "I know that trains were constantly going from Krakow to Auschwitz—not only passenger trains, but cargo trains as well." Krzemieniecki, who worked for two years with IBM punchers, card sorters and tabulators, estimates that a punch card operation for so large a manufacturing complex as Farben "would probably require at least two high-speed tabulators, four sorters, and perhaps 20 punchers." He added, "The whole thing would probably require 30-40 persons, plus their German supervisors." 
 
Chez les administrateurs de camps, en effet, tout était minuté, absolument tout !!! spécialement la gestion des trains, vitale pour la bonne marche du camp. La rigueur allemande tellement vantée était bien présente, au profit d’une extermination. Les prisonniers devaient se défaire à l’entrée de leurs valises et courir vers leur baraquement : cela évitait les révoltes ! Leur arrivée se faisait à des heures précises, au temps des trains à charbon et des voies ferrées bombardées, pourtant... A se demander comment ils pouvaient faire à moins de tout prévoir et tout calculer à l’avance, avec force itinéraires de délestage. "Central to the Nazi effort was a massive 500-man Hollerith Gruppe, installed in a looming brown building at 24 Murnerstrasse in Krakow. The Hollerith Gruppe of the Nazi Statistical Office crunched all the numbers of plunder and genocide that allowed the Nazis to systematically starve the Jews, meter them out of the ghettos and then transport them to either work camps or death camps. The trains running to Auschwitz were tracked by a special guarded IBM customer site facility at 22 Pawia in Krakow". Pour gérer tout ça, il fallait donc des milliers de cartes, ne serait-ce que pour la Pologne. Certaines venaient des USA, mais d’autres provenaient d’imprimeurs locaux, parfois à deux pas du ghetto de Varsovie même : "the millions of punch cards the Nazis in Poland required were obtained exclusively from IBM, including one company print shop at 6 Rymarska Street across the street from the Warsaw Ghetto. The entire Polish subsidiary was overseen by an IBM administrative facility at 24 Kreuz in Warsaw".
 
Pour ceux qui doutaient encore de la présence dIBM à Auschwitz, et il y en a eu en 2001 à la sortie du livre d’Edwin Black, une autre découverte de 2002 allait remettre les pendules à l’heure : le fameux bureau recherché était tout simplement dans l’enceinte de l’usine IG Farben, à deux kilomètres d’ Auschwitz, trahi par le numéro de téléphone de son bureau chez IG Farben : "Archivists found the Büro only because it was listed in the I.G. Werk Auschwitz phone book on page 50. The phone extension was 4496. "I was looking for something else," recalls Auschwitz’s Setkiewicz, "and there it was. Chez IG-Farben, les registres des ouvriers-prisonniers portaient l’estampille "enregistré par Holllerith". Un archiviste, en 2002 a fini par retrouver une centaine de registres, prouvant la gestion par Hollerith à la fois de l’usine IG Farben, mais aussi du camp d’où provenait sa main d’œuvre si bon marché. "Many of the long-known paper prisoner forms stamped Hollerith Erfasst, or "registered by Hollerith," indicated the prisoners were from Monowitz. Now Auschwitz archivist Setkiewicz has discovered about 100 Hollerith machine summary printouts of Monowitz prisoner assignments and details generated by the I.G. Farben customer site."Selon l’archiviste, l’implication d’Hollerith était totale, permettant en particulier de sélectionner les compétences ouvrières : " the Hollerith office at IG Farben in Monowitz used the IBM machines as a system of computerization of civil and slave labor resources. This gave Farben the opportunity to identify people with certain skills, primarily skills needed for the construction of certain buildings in Monowitz." L’incroyable organisation du massacre était bien due à l’usage forcené de la mécanographie et des machines Dehomag-IBM.
 
La présence d’IBM à tous les stades était donc patente. Les allemands comptaient et recomptaient, par camp, par région, par pays.... Les comptables de la mort aidés par des machines ultra-modernes. Le diable avait troqué son trident contre une trieuse de cartes à trous. Plus de 2 millions de juifs déplacés ou enfermés rien que pour la Pologne, près de 11 millions au total en Europe selon les estimations allemandes, surévaluées. Au final, on aura 5,978 millions de juifs morts, dont, la moitié presque pour la Pologne seule (2,8 millions sur 3,3 millions !) sur une population juive totale estimée cette fois à 8,3 millons. 72% des juifs d’Europe ont donc été assassinés. Au musée de l’holocauste US, les micro-fims disponibles montrent l’ampleur de la gestion par système Hollerith : les documents provenant de "l’Abteilung Hollerith" sont à profusion ! On mettra des années à les découvrir : les américains ont eu la présence d’esprit de photographier les documents en micro-films, dès la fin du conflit, mais se sont aussi empressés de ne pas les laisser en accès direct au public : ils mettaient en cause une de leur plus grande société informatiques de l’après-guerre ! Les microfilms ont été scannés par la société Crawley, qui vient de numériser le stock de photos de Time pour le mettre en ligne, grâce notamment à un scanner a Zeutschel OS 10000. 153 115 pages ont été ainsi enregistrées. Parmi celles-ci, les preuves accablantes de l’implication d’IBM et de sa filiale allemande.
 
Mais ce n’en était pas fini des découvertes. IBM avait ouvertement aidé à réaliser l’holocauste, en toute connaissance de cause, car les gens qui étaient à la tête de l’entreprise avaient plus que des amitiés hitlériennes : c’étaient des adeptes et des convaincus. Et aux Etats-Unis, dans les années vingt, ils n’étaient pas les seuls, comme nous le verrons bientôt...
 
 
 

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