Détruire la tricherie exégétique
par Pierre Régnier
jeudi 1er décembre 2016
Parallèlement à la publication de Détruire le fascisme islamique, l'important petit livre de Zineb (1), il me paraît nécessaire de réfléchir aussi à l'utilisation qui est faite de l'exégèse au sein des trois grandes religions se réclamant de la filiation spirituelle d'Abraham.
Il y a trois siècles et demi, dans son Traité théologico-politique Spinoza explique que le Dieu de l'Ancien Testament adaptait son discours à la faible capacité de compréhension du peuple hébreux auquel il s'adressait. Mais il ne fait pas de ce peuple "à la nuque raide" le rédacteur des textes par lui attribués à son Dieu et sacralisés. Aujourd'hui encore, dans les trois principaux monothéismes, ces textes doivent être considérés comme étant intégralement la Parole de Dieu.
C'est surtout dans l'islam et dans le christianisme, principalement dans sa composante catholique, que me paraissent aujourd'hui très graves cette attribution maintenue et la justification de ceux des textes "divins" qui appellent à maltraiter et massacrer. L'exégèse de ces textes (leur analyse critique pour en trouver la "bonne interprétation") est l'instrument de cette durable justification.
Dans l'islam, la violence présentée comme une volonté de Dieu est un fondement théologique. Le messager d'Allah et les rédacteurs du Coran la présentent comme toujours aussi justifiée, au septième siècle de notre ère, que dans l'Ancien Testament, mais ils enseignent aussi qu'elle le sera, dans le futur, jusqu'à la totale soumission de tous les peuples de la terre à Allah.
C'est ce qui fait la violence de cette religion particulièrement épouvantable. C'est ce qui la fait comparer, avec raison, aux pires régimes fascistes que le monde a connu durant le dernier siècle. C'est ce qui a fait, dans ses conquêtes et ses "justes punitions", ses dizaines de millions de victimes durant les 14 siècles de son existence.
Mais l'église catholique, de son côté, n'a toujours pas vraiment rompu avec sa notion, qui était celle de l'évêque Augustin, de bonne persécution par elle pratiquée par amour alors que les impies la pratiquent par cruauté. Les nombreux appels à massacrer "pour de bonnes raisons qu'il faut savoir bien interpréter en acquérant la bonne compréhension par la bonne lecture" sont toujours explicitement justifiés dans le Nouveau Catéchisme (1997, guide spirituel pour le 21e siècle selon Jean-Paul 2) et dans les notes explicatives de la Bible de Jérusalem qui l'a suivi de peu.
Pour l'Église, c'était bien Dieu qui ordonnait à Josué d'aller massacrer tous les habitants des cités de Canaan, en veillant à ce qu'il ne reste pas un seul survivant. Et les exégètes de la Bible de Jérusalem font de ce Dieu le même que celui de Jésus. Pour eux Josué-Jésus était un seul et même personnage biblique : "Dieu sauveur", qui fait entrer son peuple, l'humanité, dans la Terre promise, figure du royaume à venir, le Royaume des Cieux. Curieux Dieu d'amour qui a besoin de commander un génocide pour dispenser son pacifiant message valable universellement !
Certes, Jésus n'a pas, jusqu'à accepter d'en mourir, enseigné avec des termes d'aujourd'hui que seuls les appels à l'amour sont des appels de Dieu. Il n'a pas explicitement rejeté le pire de l'Ancien Testament. Il n'a pas même demandé à ses adeptes de cesser de le prendre pour le bon prophète Elie qui égorgeait 450 faux prophètes pour plaire à Dieu. Il n'a pas condamné l'évangélisation et la conversion par la torture dans l'Inquisition, par la kalachnikov et la ceinture d'explosifs. Mais son enseignement d'amour était radicalement différent de celui des théologiens fous qui dominent encore le catholicisme d'aujourd'hui, pour lesquels la bonne criminalité de Dieu est seulement "dépassée" ou/et "mal comprise".
Durant 18 siècles, le christianisme a évité de s'interroger sur la compréhension criminogène de l'Ancien Testament. Il a posé le problème en termes de "haïr ou pas le peuple juif ?" qui croyait cette compréhension justifiée. Et il a, pour le maheur des siècles à venir, choisi la haine. C'est seulement le Concile Vatican 2 qui, au siècle dernier, a enfin rejeté cette autre folie spirituelle criminogène.
Si c'est seulement leur date et leur contexte historique qui font la validité - voire leur caractère édifiant - des appels "de Dieu" à massacrer, il y a scandaleuse malhonnêteté exégétique et, tout simplement, spirituelle.
L'actuelle exégèse catholique fait toujours du refus de la raison - celle qui conduit au rationnel comme au raisonnable - une véritable condition de la foi. Mais, d'une certaine manière, l'obscurantisme athée est en France devenu, avec la fausse Gauche aux pouvoirs (politique et médiatique) bien pire encore. Le "néo-nagationnisme" des gouvernants, qui ne veut pas connaître les fondements théologiques de la violence islamique est tel que c'est à des chercheurs du CNRS qu'on a récemment donné mission de trouver les causes de la pratique du djihad meurtrier !
Les islamistes et leurs complices aux pouvoirs tiennent à ce que tout le monde confonde dans un seul mot la très compréhensible crainte de l'islam, l'islamophobie, et la haine des musulmans. Ils ne qualifient jamais celle-ci, pour la condamner fermement comme ça doit être fait, de musulmanophobie comme ils qualifient, pour les condamner justement, la christianophobie (haine des chrétiens) et la judéophobie (haine des juifs)... Et l'Académie entérine la tricherie, qu'on retrouve désormais dans les dictionnaires.
Même les victimes du double sens imposé dans l'utilisation du mot "islamophobie" ne cherchent pas à utiliser le mot qui permettrait de mettre la tricherie en lumière. Ils protestent quand on les accuse d'être islamophobes, ce qui est pourtant un droit (2) au lieu d'affirmer qu'ils ne sont nullement musulmanophobes.
Il faut dire aussi l'égarement des historiens et autres défenseurs bien intentionnés de la laïcité. Ils la "sacralisent" au moment même où les islamistes, loin de s'en inquiéter, réalisent qu'elle peut favoriser et consolider leurs conquêtes des pays démocratisés et soucieux de garantir les Droits humains, comme la France républicaine.
Croire que simplement "séparer de l'État" l'enseignement de la "bonne criminalité", toujours valable, du Dieu de l'islam est insensé et dangereux. Refuser fermement toute idée de ce qu'on nommera plus tard la laïcité fait partie des fondements originels les plus importants de la religion coranique. Mais l'enseignement de la "bonne criminalité seulement dépassée" du judéo-christianisme est tout aussi insensé et dangereux.
La lâcheté des politiciens et intellectuels occidentaux, face à la très directe criminalité islamique, découle de leur acceptation, parce que la criminalité qu'elle alimente n'est qu'indirecte, de la délirante exégèse chrétienne.
Il n'est nullement fatal qu'on en reste là.
Pierre Régnier
auteur de Désacraliser la violence religieuse (2016, éditions du Panthéon)
(1) éditions Ring (2016)
(2) En 2005, dans son rapport annuel, le Haut Conseil à l'Intégration rappelait qu'en France "La pratique de la religion étant libre, l'islamophobie, c'est-à-dire la peur ou la détestation de la religion islamique, ne relève pas du racisme"