Devoir de mémoire
par Bruno Hubacher
vendredi 4 octobre 2019
Le révisionniste se fixe comme objectif la réécriture de l’histoire, de sorte à ce que celle-ci corresponde à sa propre conception du monde, une bien vilaine machination, sauf quand c’est l’Union européenne qui la pratique. Dans ce cas cela s’appelle « devoir de mémoire ».
Dotée d’une majorité plus que confortable, la coalition noir-rouge-verte de l’establishment, peut donc, avec le soutien appréciable de la droite identitaire, s’atteler à achever l’œuvre de l’intégration, sous les auspices du grand capital, et elle ne s’en prive pas.
Ainsi le parlement européen vient d’approuver, le 19 septembre dernier, la résolution 2019/2819 RSP appelée « Résolution du Parlement européen sur l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe », un document qui devrait faire dresser les cheveux sur la tête de tout historien qui se respecte.
On ne sait par où commencer, tellement c’est truffé de stéréotypes et de demi-vérités. Extrait non exhaustif :
« Considérant qu’il y a 80 ans, le 23 août 1939, l’Union soviétique communiste et l’Allemagne nazie ont signé un pacte de non-agression, connu sous le nom de pacte germano-soviétique ou pacte Molotov-Ribbentrop, dont les protocoles secrets partageaient l’Europe et les territoires d’États indépendants entre les deux régimes totalitaires selon des sphères d’influence, ouvrant la voie au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. »
« Considérant que si les crimes du régime nazi ont été jugés et punis lors du procès de Nuremberg, il reste urgent de sensibiliser l’opinion publique, de dresser un bilan moral de cette période et de mener des enquêtes judiciaires sur les crimes du stalinisme et d’autres dictatures. »
« Considérant que, dans certains États membres, la loi interdit les idéologies communiste ou nazie. »
Considérant que l’intégration européenne a constitué, dès l’origine, une réponse aux souffrances causées par les deux guerres mondiales et la tyrannie nazie qui a conduit à l’Holocauste, ainsi qu’à l’expansion des régimes communistes totalitaires et non démocratiques en Europe centrale et orientale, et que cette intégration a permis de surmonter de profondes divisions et de vives hostilités grâce à la coopération et à l’intégration, de mettre un terme à la guerre et de garantir la démocratie en Europe. »
« Considérant que, pour les pays européens qui ont souffert de l’occupation soviétique ou d’une dictature communiste, l’élargissement de l’Union européenne à partir de 2004 a marqué leur retour au sein de la famille européenne, à laquelle ils appartiennent. »
« Considérant que bien que le Congrès des députés du peuple de l’URSS ait condamné, le 24 décembre 1989, la signature du pacte germano-soviétique ainsi que les autres accords conclus avec l’Allemagne nazie, en août 2019, les autorités russes ont rejeté toute responsabilité dans ce pacte et ses conséquences et promeuvent désormais une théorie selon laquelle la Pologne, les États baltes et l’Europe de l’Ouest sont en réalité les véritables instigateurs de la Seconde Guerre mondiale. »
« Considérant que la commémoration des victimes des régimes totalitaires demande à tous les États membres de l’Union de procéder à une évaluation claire et fondée sur les principes en ce qui concerne les crimes et actes d’agression commis par les régimes communistes totalitaires et le régime nazi. »
« Fait observer qu’en adhérant à l’Union européenne et à l’OTAN, les pays d’Europe centrale et orientale ont non seulement pu retourner dans le giron de l’Europe libre et démocratique, mais ont aussi réussi, avec l’aide de l’Union euro, à mettre en oeuvre des réformes et à entrer dans une dynamique de développement socio-économique ; souligne toutefois que la possibilité d’adhérer à l’Union devrait demeurer ouverte à d’autres pays européens, comme le dispose l’article 49 du traité sur l’Union européenne. »
« S’inquiète vivement des efforts déployés par les dirigeants de la Russie d’aujourd’hui pour déformer les faits historiques et blanchir les crimes commis par le régime totalitaire soviétique. »
« Considère ces tentatives comme un élément dangereux de la guerre de l’information qui est menée contre l’Europe démocratique et qui cherche à diviser notre continent. »
« Se dit préoccupé par le fait que des symboles de régimes totalitaires continuent à être utilisés dans les espaces publics et à des fins commerciales, tout en rappelant qu’un certain nombre de pays européens ont interdit l’utilisation de symboles nazis et communistes. »
« Demande dès lors à la Commission d’agir de manière décisive. »
La tentative de mettre sur un pied d’égalité le communisme et le nazisme est une simplification grotesque de l’histoire qui sert sans doute à légitimer le capitalisme en tant qu’unique forme d’organisation économique et sociale.
Ce texte est approuvé par la droite libérale, mais également par une bonne partie des sociaux-démocrates et verts européens, sans oublier l’extrême droite.
La révolution bolchévique et le sort du Tsar Nicolas II et sa famille n’avait pas laissé indifférente l’aristocratie européenne, ni les industriels des deux côtés de l’Atlantique, un événement qui du coup avait fait oublier les animosités entre cousins, déclenchant la première guerre mondiale.
Ainsi, la maison de Saxe Cobourg et Gotha, l’actuelle famille Windsor, sous l’égide du duc Charles Edouard et l'éphémère roi d’Angleterre, Edward VIII, fut parmi les premiers et les plus fervents supporteurs du chancelier Adolf Hitler, considéré comme rempart contre le communisme.
Tant que celui-ci, ensemble avec le Duce, s’attaquait aux républicains espagnols et qu’il se dépensait à l’est contre l’ennemi communiste, le régime nazi fut considéré comme un allié, jusqu’à la signature du pacte de non-agression, signé par Staline, parce que la Russie n’était militairement pas prête pour une confrontation, et l’invasion de la Pologne. L’invasion de l’Autriche le 12 mars 1938 et celle de la Tchécoslovaquie le 29 septembre 1938 furent encore tolérés par la famille européenne aux valeurs humanistes et la Grande Bretagne.
Le prix payé par la Russie, dans la guerre qui s’ensuivit, 22 millions de morts, ne laisse guère de doutes sur l’identité de la victime du nazisme.
A l’échelle de temps dans l’histoire de l’humanité les modèles économiques et sociaux du capitalisme et du communisme ne représentent guère plus qu’un bref soupir. Comme toute thèse, le passage du temps les rend susceptibles au travestissement, chose que sans doute, ni Adam Smith ni Karl Marx auraient approuvé.
Ce qui est affligeant n’est pas la mise en cause de l’un ou de l’autre, mais l’absence totale d’une quelconque réflexion non partisane dans ce qu’on appelle l’élite, les milieux intellectuels. Cette soumission au dogme néolibéral rappelle des heures sombres dans l’histoire de l’Europe. Celle qui craint tant le totalitarisme.